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Politique

Ousmane BADIANE, chargé des élections de la Ld : ‘Nous soupçonnons le pouvoir de ne pas vouloir organiser les élections’

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Ousmane BADIANE, chargé des élections de la Ld : ‘Nous soupçonnons le pouvoir de ne pas vouloir organiser les élections’

A la Ld et au Front Siggil Sénégal, Ousmane Badiane est le spécialiste incontournable des questions électorales. Il a été mandaté par ce pôle de l’opposition pour la récente rencontre entre le ministre de l’Intérieur et les partis politiques légalement constitués. L’ancien président intérimaire du conseil régional de Dakar revient avec nous sur ses impressions sur le processus électoral, le nouveau découpage administratif, le contentieux que l’opposition a avec le pouvoir, le nouveau ministre de l’Intérieur…

Wal Fadjri : Vous venez de rencontrer, pour la première fois, le ministre de l’Intérieur sur le processus électoral et le découpage administratif. Comment s’est passée la rencontre ?

Ousmane Badiane : Ce que nous avons d’abord dit à cette réunion, ce sont les convocations. Lundi (26 octobre) après notre réunion du Front Siggil Sénégal (Fss) et jusqu’à 16 h, on a fait le point avec les partis, mais aucun n’avait reçu une lettre d’invitation. L’information, nous l’avons apprise par voie de presse. Cela nous avait étonné parce que, pour toutes les réunions convoquées par le ministre de l’Intérieur sur cette question, les partis recevaient leurs invitations à temps, avec l’ordre du jour précis pour débattre des questions. On ne peut pas, au pied levé, convoquer un parti pour dire qu’on va discuter de telle ou telle question. Cela, nous l’avons dit au ministre. Cette lettre-là (il montre la lettre) est datée du 27 octobre (la réunion a eu lieu le 28 octobre). Nous l’avons reçue à notre siège vers 19 h.

Aujourd’hui, il y a eu un nouveau découpage administratif. Ce qui a profondément bouleversé la carte électorale. Les collectivités locales passent de 441 à 528. Ce que nous déplorons, c’est que le ministère a mis les partis devant le fait accompli. La carte électorale est complètement modifiée alors qu’elle est très importante dans le dispositif électoral. C’est la configuration des bureaux et lieux de vote sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger. Il n’y a pas d’informations sur les études d’impacts démographiques, socio-économiques, sociologiques, culturels, etc. La preuve, il y a eu des problèmes. Nous avons dit au ministre qu’il aurait dû demander l’avis des partis même si la décision revient au gouvernement.

Wal Fadjri : Vous regrettez alors de ne pas avoir été associés…

Ousmane Badiane : Oui. Ils ont tout fait seuls. A quoi sert maintenant l’information. Ils ont même installé les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets. Ces derniers ont pris fonctions et ont prêté serment. Nous pensons qu’avant d’en arriver là, ils auraient pu organiser une concertation, retenir de façon générale les avis des partis. Ils en ont fait une affaire purement administrative. Maintenant, à la lumière de cette nouvelle distribution des électeurs sur l’ensemble de ces nouveaux territoires, il y a forcément des bouleversements des circonscriptions électorales. Certaines populations qui votaient dans une circonscription, peuvent se retrouver dans une autre circonscription. La conséquence pour les partis, c’est qu’un parti qui veut investir un candidat, il faut qu’il sache maintenant, où est-ce que le candidat se trouve dans les nouvelles entités. Les élections, c’est dans quelques mois. Ce n’est pas un travail simple puisque pour investir quelqu’un dans une circonscription, il faut qu’il soit inscrit dans cette circonscription.

Il y a ensuite d’autres implications sur le processus électoral. Les tribunaux régionaux et départementaux interviennent dans le processus électoral. Est-ce que dans ces nouveaux départements et régions, ces institutions ont été créées ? Manifestement, cela n’a pas été créé puisque le ministre a dit qu’on va les rattacher aux tribunaux existants. Si, tel est le cas, cela fausse l’esprit de la réforme qui avait voulu créer un rapprochement des administrations aux administrés.

Tout cela, nous l’avons dit au ministre parce que ce sont les partis qui concourent à l’expression des suffrages et non le ministre de l’Intérieur. C’est lui qui organise les élections. Ce n’est pas non plus la Commission électorale nationale autonome (Cena). Nous avons dit au ministre de l’Intérieur de ne pas nous mettre demain dans des situations très difficiles où nous allons même avoir des problèmes par rapport à toutes les informations que nous devons avoir pour faire les listes, les investitures, etc. (…). Le ministre semble dire que les partis représentés au Parlement ont été consultés. Combien de partis sont représentés au Parlement par rapport aux 144 existants ? En démocratie, tout n’est pas de renvoyer les gens au Parlement. C’est l’ensemble des partis qui briguent le suffrage des Sénégalais qui doivent être informés.

Wal Fadjri : Lors de la dernière rencontre du Fss, le porte-parole du jour exigeait une discussion autour du processus électoral entre le camp dit présidentiel et le Fss. Qu’en pensez-vous ?

Ousmane Badiane : C’est une façon de parler pour dire qu’il y a deux grands pôles : celui présidentiel et l’opposition. Mais s’il s’agit du processus électoral, tous les partis légalement constitués sont concernés ; les partis ont une égale dignité. Même le Pds qui est au pouvoir, n’a pas plus de pouvoir que les autres qui n’y sont pas. Mais une chose demeure, il y a un contentieux entre l’opposition regroupée au sein du Fss et le pouvoir. Et cela, c’était bien avant l’élection présidentielle parce que dès le début, les partis de l’opposition ont contesté la procédure d’inscription à partir de la refonte totale du fichier électoral. Wade avait pris une décision annulant toutes les listes électorales, et instauré une nouvelle procédure d’inscription avec l’introduction de la biométrie dans le processus électoral. Nous contestons la fiabilité de la biométrie. Nous avons réalisé un audit du fichier à la veille de la présidentielle du 1er au 26 janvier. Nous avons contesté beaucoup de choses : le fichier, sa fiabilité, sa pertinence, la procédure d’inscription, etc. Résultat : il y a eu beaucoup d’irrégularités et de fraudes. Ce que confirment les rapports de la Cena (il les pointe du doigt).

C’est pourquoi, au lendemain du scrutin, les leaders avaient dit au président de la République que le scrutin est terminé maintenant, il faut qu’on l’évalue comme cela se faisait traditionnellement. Ce qu’il a systématiquement refusé, poussant ainsi les partis à boycotter les législatives. On a dit au ministre qu’il n’est pas souhaitable qu’on organise trois élections et qu’aucune d’elles ne soit évaluée. L’évaluation n’est pour accuser personne. Le scrutin est quelque chose qu’il faut sans cesse perfectionner ; ce qu’on ne peut faire qu’à la suite d’une évaluation. Et cela s’est toujours passé ainsi. Ce qui doit être le cas en démocratie.

Wal Fadjri : Cela n’a pas été fait ?

Ousmane Badiane : Non. Et, nous avons dit au ministre qu’avant d’engager les locales, il faut évaluer d’abord ce qui est déjà fait. Cela nous permettra de corriger les erreurs, les manquements et autres maladresses dans les scrutins à venir. C’est cela fortifier une démocratie. Le ministre nous a dit qu’il a pris bonne note de cela. Mais qu’ils ont déjà, à leur niveau, procédé à l’évaluation depuis les trois dernières élections. Il a dit aussi que la Cena a fait son évaluation. On lui a dit que c’est bien beau mais, c’est une évaluation administrative. Le rapport fait par la Cena est un rapport sur son activité. Ce que nous voulons, c’est une évaluation politique de ce scrutin. Nous sommes aussi des acteurs. Il faut qu’on puisse se retrouver autour d’une table, voir les manquements.

Il ne faut pas que chaque entité, à son niveau, se retire, fasse son bilan, le garde par devers elle. Non, ce n’est pas ça l’évaluation. Il faut une évaluation collective. C’est ça que nous avons toujours fait. En 1988, quand il y a eu le contentieux, l’ensemble des partis se sont réunis autour d’une table pour une concertation nationale. C’est cela qui a donné le Code Kéba Mbaye. En 1996, lorsque nous avons eu les élections locales contestées, c’est Wade qui était le chef de file de l’opposition. Nous avons tapé sur la table et nous avons imposé au gouvernement une concertation nationale. C’est cela qui a donné l’Onel. Après l’alternance, quand nous avons dit que nous voulons aller plus loin dans notre démocratie, nous nous sommes réunis à l’école de Police pendant deux mois. On a travaillé ensemble et on a dit que maintenant, on doit avoir une Cena pour aller plus loin dans le processus électoral. C’est ce genre de concertation que nous voulons.

Aujourd’hui, le plus grand contentieux, ce sont les modifications de la Constitution. C’est cette dernière qui définit et réglemente les règles du jeu. S’il n’y avait pas respect des règles du jeu, Wade ne serait pas au pouvoir. Ce que nous constatons avec lui, c’est la modification de toutes les règles de façon unilatérale et sur la base de ses seuls intérêts. Ça, ce n’est pas acceptable. Il a opéré 14 modifications en huit ans. Ce qui fait, en moyenne, une modification tous les sept mois. Même le quart bloquant qu’il avait réclamé en 1992, il l’a enlevé. Les gens ont raison de parler de monarchisation.

Wal Fadjri : Après avoir boycotté les législatives et les sénatoriales, qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir prendre part aux locales ?

Ousmane Badiane : Un parti ne boycotte jamais des élections de gaieté de cœur. S’il le fait, c’est parce qu’on l’y a poussé. Nous sommes partie prenante pour participer aux locales. Ce sont des élections de proximité. Tout parti veut avoir des élus dans les différentes circonscriptions. Ce que nous déplorons pour cette révision exceptionnelle, c’est que les partis qui sont les fers de lance du processus electoral, ne sont pas impliqués. Dans aucune collectivité locale, nous n’avons reçu de lettre émanant de l’autorité administrative pour dire aux partis : voilà les sites tel que je les installe, tel qu’ils fonctionnent etc. Tout se passe comme si les locales ne vont pas se tenir en mars 2009.

Wal Fadjri : Voulez-vous dire que le pouvoir n’est pas prêt à organiser des élections en mars prochain ?

Ousmane Badiane : On est obligé de douter parce que tout ce que le pouvoir dit, le lendemain, il fait le contraire. C’est comme un jeu de dupes. Cela aussi, ce n’est pas acceptable en démocratie. Si les règles sont biaisées et que la personne qui est au cœur du dispositif ne cherche que ce qui l’arrange, cela débouche sur des frustrations et des actes de violence. Nous ne voulons pas en arriver là. Wade a été le principal bénéficiaire du dialogue politique et de la concertation. Il doit les préserver.

Wal Fadjri : Croyez-vous qu’il sera possible de faire tout ce que vous avez évoqué avant la date des locales ?

Ousmane Badiane : Nous sommes très sceptiques. Nous soupçonnons même le pouvoir de ne pas vouloir organiser les élections, bien qu’il fasse semblant. Ces locales devaient avoir lieu le 18 mai 2007. Ils les ont reportées avec la loi dite loi Aminata Tall. Il fallait organiser les élections et faire le découpage après. C’est plus cohérent et plus logique. La raison, c’est très simple. A l’époque, ils n’étaient pas prêts, à l’interne, pour aller à des élections. A chaque fois qu’ils commencent leurs renouvellements, cela se termine par des violences. Jusqu’ici, le Pds n’a pas terminé ses renouvellements. Et si ces derniers ne sont pas terminés, il ne peut pas aller aux locales. C’est pourquoi, nous ne serons pas surpris si, malgré tout ce qu’ils disent, ils viennent un jour pour dire aux Sénégalais qu’il y a encore des problèmes et renvoient les élections.

Wal Fadjri : Quelle appréciation faites-vous du nouveau ministre de l’Intérieur, à la suite de ce premier contact ?

Ousmane Badiane : Le premier contact avec lui, c’est un regret. Il a évacué la presse. Il n’a pas participé à toute la réunion. Après la pause-café, il a dit que la presse ne participe pas. Moi-même je me suis levé pour dire : ‘Monsieur le Ministre, la presse a toujours participé aux rencontres de délibération entre les partis politiques et le ministre de l’Intérieur’. Il dit a non, chacun à son style et que lui, c’est cela le sien. On lui a dit : ‘On vous le concède, mais on a le droit de vous rappeler ce qu’on avait l’habitude de faire’. C’est le ministère même qui invite la presse et elle rend compte. La presse, de mon point de vue, sert de témoin. Il n’y a rien à cacher sur le processus électoral. Le fait de renvoyer la presse est une impression qui est négative.

Ensuite, on a eu des problèmes sur le déroulement de la séance. C’est vrai que maintenant, il y a beaucoup de partis politiques et ce n’est pas facile à gérer. Mais sur la liste, il y avait une quarantaine d’inscrits et il y a eu une limitation du temps de parole : 3 minutes pour chaque intervenant. Je n’ai pas bien apprécié cela. A l’avenir, il ne faut pas convoquer les partis à 16 h ou à 17 h. Il faut prendre tout le temps nécessaire. Ce ne sont pas des rencontres administratives. Ici, il s’agit des acteurs politiques qui se concertent. Donc, il faut créer des conditions, à l’avenir, pour discuter largement des questions. L’intervention d’un parti sur des questions capitales ne peut pas se résumer en trois minutes.

Au-delà de tout cela, il faut des préjugés favorables ; que la personne qui est là veut bien faire. Il faut dire que c’est un homme (Cheikh Tidiane Sy, Ndlr) qui a un parcours remarquable, une grande expérience. Mais, il gère un département qui est très sensible, qui est le département des élections. Qui dit élections, dit la question de la dévolution du pouvoir et le pouvoir est toujours l’objet d’un enjeu. C’est pourquoi, il faut toujours faire preuve d’esprit d’ouverture et créer des conditions minimales de fonctionnement de la démocratie (…).

Wal Fadjri : Avez-vous évoqué la question de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ?

Ousmane Badiane : Non. Mais, c’est le Fss qui pense dans son mémorandum que nous devons avoir une Ceni. Parce que ce Cena-là, telle qu’elle existe, ne joue pas son rôle. Avant la Cena, il y avait l’Onel et c’est sous l’Onel qu’on a organisé l’alternance, un référendum, les locales ; mais c’est l’ensemble des acteurs qui avaient pensé, quand bien même l’Onel a joué son rôle, qu’il fallait aller plus loin pour l’élargissement de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est pourquoi, nous avons créé une Cena. Et tout ce que l’Onel n’avait pas ou qui l’affaiblissait, on a dit qu’il faut l’enlever et donner plus de crédit à la Cena. Finalement, elle a tous les pouvoirs, mais dans la pratique, elle n’a pas joué son rôle. Ce que nous avons vu au résultat final, c’est que la Cena a fait moins que l’Onel qui n’avait pas tous ses pouvoirs (…). C’est pourquoi, l’opposition veut une Ceni dont les pouvoirs seront consignés dans la Constitution pour donner plus de force aux décisions que cette institution prendra.



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