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Politique

PAPE IBRAHIMA SECK, ÉCRIVAIN ET POLITOLOGUE BASÉ À PARIS : « Les retrouvailles entre Wade et Idy ne sont pas un exemple de morale politique »

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PAPE IBRAHIMA SECK, ÉCRIVAIN ET POLITOLOGUE BASÉ À PARIS : « Les retrouvailles entre Wade et Idy ne sont pas un exemple de morale politique »

Pour le président Wade et son ancien Premier ministre, leurs retrouvailles en perspectives sont guidées par l'ambition de réunifier la grande famille libérale. Mais pour l'écrivain et politologue, Pape Ibrahima Seck, basé à Paris, les deux hommes sont avant tout mués par leurs intérêts personnels. Dans cet entretien exclusif qu'il nous a accordé, l'auteur de « La stratégie culturelle de la France en Afrique », explique pourquoi les futures retrouvailles entre Wade et Idy dans le Pds et au sein de l'Etat sont contraires à toute éthique et morale politique.

L’actualité politique  au Sénégal est aujourd’hui dominée par le futur retour d’Idrissa Seck au Pds. Quel est le point de vue du politologue que vous êtes, dans ce débat ? 

Si ce type de débat prévaut, c’est que le Sénégal va en rade !

A vrai dire, ce débat ne présente aucun intérêt pour la bonne marche de nos institutions et le progrès de notre pays : il s’agit, en l’espèce,  de questions de politique politicienne, de partage d’un patrimoine (le parti) et comme dirait Idrissa Seck, de partage d’un prodigieux « butin de grands bandits » (le pouvoir, ses privilèges et délices). Cela dit, en tant qu’observateur parce que ça peut avoir des incidents sur la vie politique nationale et sur la gouvernance au Sénégal, j’ai formé un point de vue.

Pouvez-vous l’exprimer ?

Bien sûr ! je pense qu’Idrissa Seck et Abdoulaye Wade, rien ne les distingue sur le plan idéologique. Ils se réclament tous du libéralisme. Je ne sais pas trop ce que valent les idéologies en matière de gouvernance politique. Idrissa Seck a été substantiellement nourri aux mamelles politiques, idéologiques et éthiques formé par Abdoulaye Wade qui lui-même a toujours été obnibulé par la prise, l’usage et la détention du pouvoir. Seck a servi Wade, plus que tout autre, pendant les moments souvent difficiles de ce dernier. Ils se connaissent très bien. Et j’imagine s’ils désirent se retrouver c’est que chacun y trouve son compte personnel. Wade, pour asseoir sa gouvernance, d’une part, et assurer ses arrières tout au moins politiques, d’autre part. Et Idrissa Seck, son aspiration à gouverner le Sénégal, une aspiration qu’il n’a jamais cachée.

Après les accusations de détournement des deniers publiques portées par l’un contre l’autre, la libération puis le blanchiment  de Idy par Wade lui-même, avant qu’il ne l’accuse à nouveau au lendemain de sa réélection, les deux hommes se retrouvent comme si de rien n’était. Tout cela n’est t-il pas flou et suspect à vos yeux ?

Apparemment il n’y a qu’Abdoulaye Wade et Idrissa Seck qui savent ce qu’il s’est  réellement passé : Wade l’a dit et redit ; Seck, oubliant ses sourates et dépistant ses dévotions, n’a pas contredit. Ni leur entourage proche, ni des citoyens comme vous et moi ne le savent. Dire que ce sont ces hommes qui nous gouverne ! Dans ce qui les oppose, l’ambition est indiscutable : un vieillard tard venu au pouvoir et non encore rassassié au point de le récurer, d’une part, de l’autre, un homme encore jeune mais de vieille pratique, pressé de posséder l’intégralité du pouvoir. Egalement probant dans ce qui les oppose est l’argent en masse énorme, une manne que l’un comme l’autre n’a pu gérer, posséder voire planquer que par voie de détention du pouvoir politique. Tout le monde sait qu’ils sont arrivés au pouvoir en rats d’Eglise, c’est-à-dire fauchés, ce qui, après tout n’est pas une tare.

Cela dit, du point de vue de la morale politique, ça pose problème. Parce qu’on ne peut pas prétendre gouverner un pays suivant les règles de transparence, suivant les règles de vérité, bref suivant toute considération d’éthique et de bonne gouvernance et avoir de pareils comportements. Ou bien les citoyens dont on est le mandataire doivent être au courant et, par conséquent, il est absolument illégitime et même moralement répréhensible de dire « il y a que lui et moi qui savons, il ne dira rien je ne dirai rien ». Ou bien, dans une autre mesure, on considère qu’on fait défection au mandat des citoyens et on bafoue les règles élémentaires de la morale élémentaire.

En ce qui concerne ces retrouvailles, je vois que sur le plan de la morale politique ce n’est pas un exemple. Parce que tout porte à croire que les dirigeants qui se précipitent ne sont animés que par le désir d’accéder au pouvoir et de le conserver, de se faire de l’argent sur le dos des contribuables, et puis de ne pas respecter la parole donnée.

Aujourd’hui le jeu que fait Abdoulaye Wade est un jeu d’équilibre qui est commandé par des nécessités conjoncturelles de  politique politicienne, et qui, en aucun, cas n’obéissent à une éthique de nature à être enseignée aux citoyens et surtout à la jeunesse. Compte tenu de la personnalité de l’homme, en son for, il a des choses à se reprocher, notamment, une mal gouvernance faite de toutes sortes de turpitudes évitables si tout simplement, il avait au préalable une culture démocratique et une culture de l’Etat, choses qui lui font cruellement défaut. Le jeu d’Idrissa Seck est quasiment le même, sur les mêmes fondements avec des inflexions psychologiques et pratiques qui lui sont propres ; à cela s’ajoute le fait indéniable qu’il a senti que Wade lui coupait l’herbe au pied et, pire, lui ferme le champ. Connaissant parfaitement le père d’emprunt, le fils d’infortune a déployé une tactique politique pour le démasquer et, à mon avis, il y est parvenu, ne serait-ce qu’en le poussant habituellement à dire tout et son contraire ! 

La banalisation de l’éthique politique au Sénégal est telle qu’on peut se poser la question de savoir si les hommes politiques prennent réellement cet aspect en considération… 

On peut se poser la question mais c’est une déviation du sens de la politique. Et c’est une déviance morale des hommes politiques qui sont en charge des responsabilités de notre pays. Il n’est pas normal, il n’est pas légitime de dire une chose et son contraire, même dans sa propre chambre, à fortiori de le dire à des gens qui réfléchissent et qui vous ont mis là où vous êtes. Donc la décence sur le plan moral, et l’exigence sur le plan éthique commandent un tant soit peu qu’on respecte les citoyens,  qu’on respecte les valeurs de la République. Que valent ces départs et ces retrouvailles si ce n’est vis à vis des valeurs de la République, des valeurs de justice, des valeurs de solidarité ? Absolument rien.

Mon sentiment est que ce qui est entrain de se passer ne recoupe en rien l’intérêt des Sénégalais, l’intérêt de la marche de l’Etat et la considération des valeurs de la République. 

Donc Wade et Idy pensent avant tout à leurs intérêt personnels... 

Et de ceux de  leurs sont proches qui ont tous intérêt à conserver le pouvoir. En tout état de cause, je persiste à croire que toutes ces manœuvres ne trompent plus, et ne recoupent en rien l’intérêt général. D’ailleurs on ne parle pas de l’intérêt du Sénégal dans cette affaire. Abdoulaye Wade a besoin d’élargir un parti  politique, de « refonder » un parti « dont mêmes les chaises lui appartiennent », en vue peut-être de stabiliser une base d’autant plus qu’il sent que son parti souffre d’une hémorragie interne : il est comptable en expert de la mal gouvernance du PDS et de la mauvaise régulation de sa base politique et électorale. Parce qu’il y des tensions entre les membres de parti, tout le monde le sait. Les vieux militants de base qui se sont toujours battus sont supplantés par des transhumants qui hier ne réclamaient que la mort de Abdoulaye Wade, des hommes qui ont été placés par Idrissa Seck qui n’ont pas osé comme certains d’aller le rejoindre quand il a été marginalisé, mais qui eux-mêmes ont été marginalisés au sein du parti, tout cela fait un peu sable mouvant.  

Quel est l’intérêt de Wade dans ces retrouvailles ? 

D’abord, Wade a nécessairement et politiquement besoin de reposer ses pieds sur du sol ferme. Ensuite, il n’est pas dit qu’il est éternel. Il faudra bien partir un jour. Et il doit penser à sa succession. Je crois savoir que son grand frère que j’ai eu l’honneur de connaître qui est écrivain et poète comme moi, est décédé il n’y a pas longtemps. Cela veut dire que nous ne sommes pas des immortels. Donc, il faut qu’il pense à assurer ses arrières et ce n’est sûrement sans quelque inquiétude. Souvenez-vous : « qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu’il craint ». Wade qui 

Vous voulez dire qu’il fait revenir Idy dans l’optique de sa succession ?  

Fatalement, il pense à sa succession. Ça me rappelle l’épisode de Houphouët Boigny. Il y pense, qu’il le dise ou non. Tout homme souhaite que son héritage soit préservé. Maintenant quel est cet héritage ? je ne sais pas. Du point de vue d’Abdoulaye Wade, dans son patrimoine il y a notamment le pouvoir. Il souhaite que son parti reste au pouvoir. Et dans cette perspective, c’est un parti qui est flottant, qui n’est pas ferme du tout, qui est tiraillé par des dissensions. Tout les monde le sait au Sénégal. Ses militants le savent. Donc c’est peut être dans cette perspective là que Wade agisse. Pour assurer ses arrières, au moins politiques.  

Pourtant il n’y a pas si longtemps que ça, le portrait- robot de son successeur qu’il avait dressé correspondait à son fils karim… 

Je ne connais pas son fils, je ne l’ai jamais vu physiquement. Pour le portrait, si c’est quelqu'un qui est jeune, Karim est jeune. Si c’est quelqu'un qui connaît profondément le Sénégal, je ne pense pas qu’il le connaisse profondément. Avant l’alternance, il était étranger au Sénégal. Sur le plan universitaire, ramenées au Sénégal, ses qualifications sont massivement ordinaires. S’il s’agit de compétences professionnelles, si c’est quelqu'un qui connaît bien l’Afrique, je ne crois pas que ce soit son cas, alors qu’il ne connaît pas bien le Sénégal. La gestion de dossiers économiques a révélé que ses relations étrangères, notamment en France, sont limitées et douteuses.  Donc, objectivement, moi, je ne vois pas qui le président visait réellement dans son portrait- robot.  

Comment voyez-vous la future cohabitation entre Idy, Karim et Macky Sall, tous désignés comme des potentiels successeurs du président ? 

Honnêtement les histoires du Pds, telles qu’elles se présentent, ne m’intéressent pas. Mais quoi qu’il en soit, ils sont obligés de cohabiter parce que le maître des lieux est encore là, il n’acceptera jamais d’être supplanté voire contesté au PDS et,  s’il a la possibilité physique de se présenter en 2012, il le fera. Maintenant la politique c’est un rapport de forces. Chacun va essayer de tirer la couverture de son côté. Avec ses hommes, ses compétences, et ses moyens. Mais personnellement, en tant que citoyen et spécialiste de science politique, je me refuse d’enfermer la transmission du pouvoir comme étant exclusivement réservé à un triumvirat élitiste d’un parti politique. Cette logique patrimonialiste doublée d’une vision royalement mécaniste est détestable. Elle montre deux choses au moins : la régression démocratique de nos institutions, d’une part, d’autre part et part conséquent la fin d’un cycle politique historiquement amorcée depuis deux générations ; en troisième lieu, Wade qui a porté tant d’espoir et arrivé au pouvoir par la grande porte démocratique, risque de  rayer sa marque dans l’Histoire... Adieu Mandéla et Lumumba !  

Partagez-vous tout de même la conviction de ceux qui soutiennent que la succession de Wade se jouera entre ces trois hommes ? 

Je ne lis pas dans le mare de café. Parler de la succession de Wade au Pds est plus facile que de parler de la succession de Wade à la tête de l’Etat. Parce que tout ce qui est entrain de faire Wade, il ne dit pas qu’il le fait dans l’intérêt du Sénégal. Il dit «  je travaille pour le Pds ». Maintenant cela a des ricochets sur le Sénégal, sur l’Etat. Je ne suis pas dans la confidence des dossiers du Pds, pour pouvoir me prononcer objectivement. Mais je sais que, et c’est tout à fait normal en politique, la guerre sera rude entre ces trois-là.

Qu’auriez-vous à proposer au président Wade, en tant que spécialiste de la stratégie politique ?

Je vais vous surprendre : Wade doit savoir et intérioriser qu’il n’est qu’un humain. D’avoir enfin présent à l’esprit que le peuple sénégalais est un grand peuple.

Utiliser son intelligence et ses ressources de stratégie politiques au service du Sénégal et se départir de l’obsession sans éthique de conservation du pouvoir. S’entourer d’une équipe restreinte de compétences indiscutables, constituer une équipe gouvernementale sur les mêmes critères, donner l’impulsion, les laisser travailler et les écouter ; redonner à l’Administration (réduite en potiche depuis 2000) sa place ; appliquer une gestion archidiocésaine des ressources et du patrimoine national car il n’est pas propriétaire du Sénégal ; dans la foulée, reconsidérer la création du Sénat et le nombre pléthorique de parlementaires et autres hauts conseillers. Réaffirmer et pratiquer la laïcité des institutions.Vous ne direz qu’il est difficile de tirer du sang de la pierre ! Mais je crois que , s’il veut, rien n’est perdu. Je crois que l’humain est, par nature, perfectible.

 



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