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Politique

Rappel a Dieu de Mamadou Dia : Roland Colin, son ancien directeur de cabinet, raconte leur dernière rencontre en France

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Rappel a Dieu de Mamadou Dia : Roland Colin, son ancien directeur de cabinet, raconte leur dernière rencontre en France

Le décès du premier Premier ministre du Sénégal n’affecte pas seulement le peuple sénégalais. Beaucoup de ses connaissances expriment leur tristesse de voir celui que l’on appelle affectueusement ‘le Grand Maodo’ tirer sa révérence, dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 janvier 2009, à l’âge de 98 ans. Parmi ses connaissances, il y a un de ses plus proches collaborateurs, Roland Colin qui fut son directeur de cabinet. Pour ce dernier, le président Mamadou Dia a mis toute sa volonté à la libération des peuples africains.

Wal Fadjri : L’ancien président du Conseil du gouvernement du Sénégal, Mamadou Dia, vient de s’éteindre. Vous aviez dirigé son cabinet. En apprenant son décès, quels sentiments vous habitent ?

Roland COLIN : C’est un sentiment de tristesse. Mamadou Dia nous a donné beaucoup d’enseignements dont il faut maintenant garder la mémoire. C’est quelque chose de capital.

Wal Fadjri : Que peut-on retenir de lui ?

Roland COLIN : On peut retenir de lui le fait que c’est un des grands patriotes combattants de la liberté. Toute la vie de Mamadou Dia a été orientée vers la volonté de libération des peuples africains. Il en a été un des artisans fondamentaux. Les évènements qu’il a connus dans sa vie, notamment à la suite du conflit de 1962 (avec le président Senghor qui l’accusa d’avoir fomenté un coup d’Etat, Ndlr) ont contribué à le mettre un peu en marge de l’histoire d’une manière tout à fait indue. Plus les choses vont, plus on se rend compte qu’il a une place beaucoup plus importante que l’opinion publique a pensé.

Je suis tout à fait satisfait de voir que Mamadou Dia a réintégré l’histoire sénégalaise et africaine. Vous savez que j’ai écrit un livre-témoignage - vous savez que j’ai été son compagnon. A l’occasion de la promotion de ce livre, j’ai été impressionné de voir à quel point, les hommes et les femmes de ce pays que j’aime, sont en train de découvrir et de redécouvrir l’homme. Il y a vraiment des leçons pour l’avenir, surtout que l’Afrique est aux prises avec les difficultés que l’on sait. Je crois que le témoignage sur des hommes comme Mamadou Dia représente un jalon important. Je dirai même plus : Mamadou Dia était un démocrate viscéral, profondément persuadé que la démocratie et le développement sont les deux faces de l’aventure humaine. Mamadou Dia a lutté toute sa vie. Quand j’étais à ses côtés dans son gouvernement, il mettait en œuvre ce que l’on appelle aujourd’hui la démocratie participative. Donc c’était aussi un champion de la démocratie. Aujourd’hui, ceux qui parlent de cette démocratie participative le font de façon un peu abstraite. Mamadou Dia, lui, l’a mise au concret avec cette aventure de l’animation rurale dont il a été le grand promoteur. Cette aventure rurale a été un outil fondamental de la démocratie post-coloniale intégrée au développement. Il y a là une vision fondamentale des choses. D’ailleurs, la mondialisation à visage humain a commencé dès le lendemain de la colonisation. Le message de Mamadou Dia a été malheureusement et tragiquement interrompu par douze ans de prison cruelle et injuste qui lui ont été imposées. On a parlé de coup d’Etat, mais il n’y a jamais eu de coup d’Etat au Sénégal. Il y a simplement eu des divergences sur quelques points fondamentaux. Mamadou Dia avait une vision de l’avenir que d’autres n’avaient pas.

‘Il était un démocrate viscéral, profondément persuadé que la démocratie et le développement sont les deux faces de l’aventure humaine’

Wal Fadjri : Que dites-vous aux nouvelles générations qui ne connaissent Mamadou Dia qu’à travers ces évènements de 1962 ?

Roland COLIN : Je leur dis que la crise de 1962 n’est pas du tout ce qu’on en a présenté. La crise de 1962 était essentiellement la difficulté vécue par une classe dirigeante de sortir de la colonisation. Mamadou Dia voulait une émancipation vraiment profonde et totale. Senghor était beaucoup plus hésitant. Je ne sais pas si des gens souvent mal intentionnés ont soufflé sur le feu ou pas, mais l’on a accusé Mamadou Dia de vouloir confisquer le pouvoir alors que c’était le contraire. Mamadou Dia n’a jamais voulu s’emparer du pouvoir à des fins personnelles. Il voulait au contraire que le pouvoir procède du peuple. Tout ça a été un évènement particulièrement tragique. J’ai toujours pensé - je l’ai dit à l’un comme à l’autre - que leur compagnonnage était miraculeux. Ils avaient une complémentarité qui avait vocation à figurer comme une référence majeure non seulement pour le Sénégal, mais aussi pour l’Afrique. Les douze ans de prison de Mamadou Dia ont interrompu toute la portée que ce compagnonnage aurait dû être.

Wal Fadjri : Par rapport à ce conflit de 1962, certains ont accusé des puissances étrangères, notamment la France, à cause du contexte de la guerre froide et le fait que des gens accusaient Mamadou Dia de prôner des idées communistes…

Roland COLIN : Qu’il y ait la guerre froide, c’est vrai ; qu’il y ait des sensibilités très fortes qui aient eu peur du socialisme africain de Mamadou Dia, c’est vrai aussi. Mais jamais, Mamadou Dia n’a été communiste. Au contraire, Mamadou Dia a toujours été socialiste, mais au sens démocratique du terme. Quand on parle, aujourd’hui, de social-démocratie et de socialisme démocratique, c’était la position de Mamadou Dia dès le départ. Mais il y a eu des gens qui ont eu peur, et puis, il y a eu des intérêts moins avouables à la clef de tout cela. En effet, des milieux économiques et financiers voyaient d’un mauvais œil ce que la démocratisation devait apporter par rapport à la rupture de l’économie de traite. Mamadou Dia est parti en guerre contre l’économie de traite et disait, dès la loi-cadre, qu’un pays qui ne mettrait pas fin à l’économie de traite, ne pouvait en aucune façon se considérer comme indépendant. Par conséquent, il fallait mettre en place une économie qui serait sous le contrôle du peuple sénégalais. Cela n’est pas du tout du communisme. C’est tout à fait autre chose. Au contraire, Mamadou Dia était partisan de l’économie sociale et passionné de coopérative. C’est cela qu’il voulait mettre en place et qu’il avait commencé à mettre en place avec son animation rurale, ses coopératives de développement. Cela menaçait les puissances marchandes qui contrôlaient le système arachidier au Sénégal.

‘Mamadou Dia était partisan de l’économie sociale et passionné de coopérative. C’est cela qu’il voulait mettre en place et qu’il avait commencé à mettre en place avec son animation rurale, ses coopératives de développement. Cela menaçait les puissances marchandes qui contrôlaient le système arachidier au Sénégal’

Wal Fadjri : Vous qui avez connu cette période senghorienne, que pensez-vous de l’état de la démocratie sénégalaise aujourd’hui ?

Roland COLIN : La démocratie sénégalaise - je ne suis pas citoyen sénégalais, mais un ami proche - a beaucoup de chemin à faire. Justement dans le sens d’approfondir cette voie d’économie sociale. Dans la conjoncture où nous sommes, il y a une leçon à tirer des époques pionnières non seulement pour le Sénégal, mais pour toute une série d’autres pays. Moi qui ai fréquenté des universités africaines et guidé des étudiants de différents pays africains, je mesure de plus en plus que des expériences fondatrices sénégalaises des années 1960 devraient être considérées comme des voies devant inspirées des recherches nouvelles, des pratiques nouvelles d’autant plus que la grande crise dans laquelle nous sommes tous plongés, a fait volé en éclat la certitude de ceux qui pensaient que l’économie néolibérale, l’économie de marché allait régler tous les problèmes. Il faut inventer des voies nouvelles. A ce titre, un homme comme Mamadou Dia fait figure de pionnier. Et ses messages sont tout à fait très stimulants aujourd’hui. J’en ai la profonde conviction. Ce qui m’a toujours impressionné et ému, c’est de voir cet homme, qui disparaît aujourd’hui dans sa 98e année, garder sa tête et sa lucidité, son cœur et ses convictions jusqu’au dernier souffle. Il y a là également des exemples magnifiques à prendre.

Wal Fadjri : Durant ces dernières années, il a produit des ouvrages critiques sur les régimes des présidents Diouf et Wade…

Roland COLIN : Il a toujours eu une liberté d’expression ; il a toujours refusé de taire ses convictions. Et il l’a fait tout au long de sa carrière et notamment dans les années récentes. Il avait monté une cellule de travail qu’on appelle le Grenier du patriarche. Mais il s’exprimait régulièrement. Maintenant qu’il nous a quittés, ce serait intéressant de recueillir ses écrits, y compris ceux des années récentes. Vraiment, l’homme est matière à réflexion et à inspiration. Ce que je trouve de remarquable, c’est que quand il faisait acte d’opposition, ce n’était jamais pour faire prévaloir des positions personnelles ou pour attaquer des individus. C’était en accord avec ses convictions et de ses idées. Mamadou Dia est resté un humaniste tout au long de sa vie avec une vision spirituelle très forte. L’islam de Mamadou Dia est un islam tolérant, d’ouverture et d’amour des autres. Cela qui doit être pris en compte dans les temps que nous vivons.

Wal Fadjri : Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

Roland COLIN : Je l’ai vu pour la dernière fois il y a quatre à cinq mois. C’était lors de sa dernière visite en France, au mois de septembre dernier. Comme d’habitude, nous avons passé un grand moment ensemble. Je l’ai trouvé lucide, comme toujours. J’avais l’impression que ce vieil homme avait la capacité de transférer du courage, de l’énergie et des convictions. En une heure d’entretien avec Mamadou Dia, j’avais eu l’impression de ‘recharger mes batteries’, sans compter la verdeur et la vigueur de son intelligence, de sa mémoire qui était prodigieuse jusqu’au dernier moment. Il était capable, malgré son handicap. Mais cet homme aveugle voyait beaucoup plus loin que la plupart des autres. Cela m’a beaucoup impressionné.



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