Jeudi 18 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Top Banner
Politique

Regards croisés sur 2007 - La grande cassure

Single Post
Regards croisés sur 2007 - La grande cassure

APE - Aller au-delà de la position du Président Wade

Ecrire sur l’événement ou le fait marquant de 2007 peut se révéler un vrai dilemme cornélien. Presque tout a été si marquant chez nous qu’il n’est pas hérétique de considérer le Sénégal comme un vrai laboratoire pour le chercheur en sciences sociales. Entre cette hypocrisie qu’est la gestion du sport et la déliquescence prononcée et prolongée du pouvoir, au sens wébérien, sous toutes ses formes (politique, économique, religieux, social…), il y a de quoi réfléchir en vue d’une thèse de doctorat. Pour autant, il me semble plus à propos de conclure 2007 ou d’ouvrir 2008 (c’est selon) sur la note d’espoir que constitue la relance du débat autour des Accords de partenariat économique grâce à l’appropriation, par les hommes politiques au pouvoir, du discours militant des Organisations non gouvernementales (Ong) sur le refus de signer les Ape.

L’idée de négocier des accords de libre-échange régionaux et réciproque pour remplacer le régime des préférences commerciales non réciproque entre l’Union européenne et les pays Acp est apparue pour la première fois, dans les discussions et débats des spécialistes du commerce international et des partenaires au développement, en 1996. C’est, toutefois, en 2002 que l’Union européenne s’est engagée résolument dans des négociations avec ses partenaires des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (Acp) pour mettre en place des Accords de partenariat économique, qui devront désormais régir l’ensemble de leurs transactions commerciales selon les dispositions de l’accord de Cotonou (Ac) qui réglementent et encadrent toutes les relations entre les deux zones pour la période 2000-2020. Il faut signaler que l’accord de Cotonou, en introduisant le débat de la réciprocité des accords préférentiels, a attiré l’attention de tous les pays Acp sur la nomenclature institutionnelle (le cadre, la configuration, le contenu) et l’impact que pourraient engendrer ces Ape sur le mode de fonctionnement de leurs économies respectives. Mais il y a, à ce jour, dans les pays d’Afrique, un déphasage entre la réflexion scientifique devant conduire et guider l’action politique et les décisions prises par certaines autorités étatiques à propos de ces fameux Ape.

Deux chercheurs, Sanoussi Bilal et Francesco Rampa dans un ouvrage publié par European Centre for Development Policy Management (Ecdpm, Maastricht, 2006), ouvrent une piste de recherche et proposent une grande réflexion autour des «Ape alternatifs et alternatives aux Ape» (c’est le titre de l’ouvrage). Dans ce document de 141 pages, ils exposent les quatre questions techniques qui méritent une très grande analyse de la part des autorités politiques africaines avant le 31 décembre 2007 : a) Qu’arriverait-il si certains pays ou région Acp décidaient de ne pas conclure d’Ape avec l’Union Européenne ? b) Quel régime commercial l’Union européenne aurait-elle à offrir pour répondre à leurs besoins et à leurs intérêts ? c) Au cas où certains Etat Acp décident de conclure un Ape avec l’Union Européenne, comment déterminer si l’Ape négocié est bon ou mauvais ? d) Et enfin, à quelle solution alternative pourrait-on comparer le nouveau régime issu des négociations ? Pour répondre à ces interrogations qui engagent l’avenir des Etats Acp, il est nécessaire de comprendre les termes de référence de la négociation des Ape selon l’optique de Cotonou signé le 23 juin 2000. Zones de libre-échange

En effet, l’objectif premier de l’Ac est d’une part, de contribuer à la réduction et à terme l’éradication de la pauvreté pour un développement durable et d’autre part, de favoriser l’intégration progressive des pays Acp dans l’économie monde (article 34 de l’Ac) à travers trois principaux axes : la politique, le développement, la coopération économique et commerciale. Sous cet angle, on remarque que l’accord de Cotonou inaugure une coopération économique et commerciale pour un renforcement des capacités productives, d’approvisionnement des pays Acp, ainsi que leur capacité à attirer les investissements directs étrangers. Les principes clés de l’Ac sont la réciprocité, la différentiation, l’intégration régionale approfondie et la coordination du commerce et de l’aide.

Les Ape traitent des entraves aux échanges commerciaux, des contraintes d’offre des pays Acp et de la question de la compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (Omc). Ils visent aussi à mettre en place des zones de libre échange (Zle) pour remplacer les préférences commerciales non réciproques actuellement accordées par l’Ue aux pays Acp aux termes de l’accord de Lomé. Ainsi, les pays Acp ont été divisés en six régions dont chacune devrait en principe signer un accord de libre échange avec l’Union européenne et finaliser sa propre union douanière. L’Ape de base, actuellement défendu par la Commission européenne, est un Accord de libre échange (Ale) réciproque, compatible avec les règles de l’Omc, en vertu duquel les pays Acp devraient libéraliser quelques 80% de leurs échanges avec l’Union Européenne (Ue), tandis que l’Ue offrirait, probablement, un accès en franchise de droits aux pays Acp, pendant une période d’environ 12 ans. Cet accord renforcerait les initiatives d’intégration régionale et couvrirait également la libéralisation des services, de même que les investissements, la concurrence, la facilitation des échanges et d’autres mesures de «derrière la frontière».

Cette vision stratégique est, très certainement, louable, dès lors qu’elle pourrait accélérer l’intégration économique africaine. Mais, les Ape préconisent la libéralisation de 90% des échanges entre l’Ue et les pays Acp : «100% du marché européen sera ouvert contre 80% de celui des pays Acp, avant même l’installation des unions douanières dans les différentes régions.» Dans cette dynamique, les Acp ne pourront protéger que 20% de leur marché en désignant ce qui est convenu d’appeler les produits dits sensibles, autrement dits qui génèrent plus de valeur ajoutée, plus de main d’œuvre et ayant des effets multiplicateurs beaucoup plus importants dans l’économie. A ce niveau, se pose la question du choix des secteurs à protéger, car aucune étude d’impact n’a encore été réalisée dans la plupart des pays Acp, afin de déterminer avec exactitude les produits qui peuvent être considérés comme sensibles.

Pour toutes ces raisons, l’ouvrage de Bilal et Rampa, qui campe le débat sur l’avenir des relations commerciales entre l’Union européenne et les pays Acp, en montrant les différents schémas qui sont techniquement et juridiquement possibles, peut se révéler d’une très grande utilité. En effet, les relations commerciales entre l’Ue et les pays Acp ont été marquées par l’existence de préférences commerciales non-réciproque. Mais en introduisant l’idée de la compatibilité des relations avec les accords de l’Omc, l’Union européenne oblige dans une certaine mesure les pays Acp à accepter la mise en place d’accords de libre échange (Ale) sur les produits d’origines agricoles et industriels. Pour atteindre ses objectifs, elle a mis sur pied une batterie de mesures visant à organiser l’accès au marché des services, aux règles portant sur les investissements et la concurrence. Pourtant, nos deux chercheurs démontrent qu’un accord de libre-échange n’est pas la seule solution à l’accès au marché entre l’Ue et les pays Acp compatible avec les accords de l’Omc, et qu’en matière d’accord de libre échange et de traitement préférentiel, les règles de l’Omc font l’objet de plusieurs interprétations. Ainsi, la question de la compatibilité des préférences commerciales avec les règles de l’Omc n’implique nullement de conclure des accords en matière d’investissement, de concurrence ou encore de service. L’étude démontre, avec pertinence, qu’il existe une série de scénarios alternatifs pour lesquels les pays Acp et l’Ue peuvent opter et que l’avenir des relations commerciales entre l’Ue et les pays Acp mérite une approche novatrice basée sur des stratégies économiques démocratiquement définies et qui se départissent des pesanteurs considérés jusqu’ici comme invariables. Elle révèle aussi que la réciprocité n’est pas un passage obligé à l’établissement d’un Ape entre l’Ue et les pays Acp et que «les Ape envisagés dans le cadre des négociations actuelles ne sont qu’une forme parmi bien d’autres». Il est donc légitime et acceptable d’envisager des Ape alternatifs dont le fondement ne serait pas la réciprocité comme le voudrait l’Ue qui estime que l’essence des Ape réside à la création de zones de libre-échange réciproques.

Canaux de réflexion

D’une manière générale, on voit pourquoi nos dirigeants embouchent la trompette des Ong et préfèrent négocier une alternative aux Ape plutôt qu’un Ape, soit parce qu’ils ne sont pas convaincus des bienfaits d’un Ape, soit qu’ils cherchent une éventuelle solution de repli au cas où l’Ape ne serait pas conclu. En tout état de cause, une alternative peut toujours servir de point de comparaison pour évaluer le résultat des négociations des Ape.

Suite à cette brève présentation nous pouvons saisir la pertinence de la contestation des Ape actuels. En effet, la règle de la réciprocité d’une part et la compatibilité aux règles de l’Omc d’autre part, constituent les obstacles ou les points de discorde majeurs à l’aboutissement d’un accord de partenariat économique entre l’Ue et les pays Acp. L’adoption de ces deux notions dans un accord risque de compromettre l’avenir des économies africaines à travers quatre canaux : 1) Le premier canal se manifeste par la perte de recettes douanières évaluée à un milliard d’euro pour l’Afrique subsaharienne, ce qui risque de créer des déséquilibres au niveau des fiances publiques au moment où pratiquement les pays de l’Uemoa ont renoué, après une décennie de politiques d’austérité et de rigueur budgétaire dont la motivation principale est l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), avec un cycle de croissance économique positif. Même si l’Union européenne propose des mécanismes de compensation, ils ne suffiront pas à combler ces pertes de ressources. L’Europe devrait plutôt envisager des solutions durables qui associent ses possibilités technologiques, scientifiques et financières avec la main d’œuvre et les ressources minières africaines pour intégrer d’avantage la dimension du développement économique dans les Ape. 2) Le second est lié au démantèlement progressif du système productif africain, notamment dans le secteur agricole et industriel dont le coût social et économique n’a pas encore été calculé et intégré dans les Accords de partenariat économiques (Ape) par l’Union européenne. 3) Le troisième canal fait référence aux risques d’instabilité politique que pourraient créer ces Ape, suite à l’explosion du front social à cause des licenciements ou des dépôts de bilan des entreprises africaines déjà fragiles, peu compétitives et incapables de faire face à la concurrence européenne. 4) Enfin le dernier canal de transmission des chocs négatifs sur les économies africaines est le risque de paralysie de tous les efforts déployés depuis 1990 pour aboutir à l’intégration économique régionale. A travers ces Ape, l’écart entre les pays moins avancés (Pma) et les non Pma pourrait d’avantage se creuser.

La dernière leçon que nous pouvons tirer du comportement des Européens est qu’ils ont raison de vouloir se positionner sur le marché africain au moment où toutes les prévisions économiques des spécialistes du développement montrent que l’Europe risque d’être à l’horizon 2030, une périphérie de l’économie mondiale et que plus de 80% des futures transactions commerciales seront fort probablement contrôlées par la Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine), les Etats-Unis d’Amérique et le Japon. Il ne restera que 20% que l’Europe devra partager avec le reste des pays asiatiques, d’Amérique Latine et d’Afrique.

Ce que l’on retient de la relance de ce débat sur les Ape par nos chefs d’Etat est qu’il ne faut pas désespérer de l’Afrique, car il y a quelques années derrière nous, ce discours de refus ne serait pas sorti de la bouche d’un Président africain… Sur ces Ape proprement dit, pourquoi pas une coalition, dès 2008, au-delà des clivages traditionnels, car ce n’est pas le combat d’un homme, mais celui pour le futur de tout un continent au même titre que le combat pour l’environnement.

Abdoulaye SAKHO*

*Agrégé des Facultés de Droit - Directeur-fondateur du Master Droit de la Régulation - Ucad

 



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email