Vendredi 19 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

Sénégal: Réflexion sur le processus électoral

Single Post
Sénégal: Réflexion sur le processus électoral

Abdoulaye Wade a gagné l'élection présidentielle du 25 février 2007 pour deux raisons.

D'une part, il a organisé, de manière méthodique (communication intense à travers les médias d'Etat, notamment la télévision, promesse de postes et de divers avantages, mise en valeur de son appartenance à la communauté mouride, etc.), la prolongation de son état de grâce auprès de certains grands électeurs, des transhumants et d'une bonne frange de la population, majoritairement mais pas toujours analphabète, qui ne lui tiennent nullement rigueur de ses manquements et ne veulent voir que ses réalisations. D'autre part, il a mobilisé les services et les moyens de l'Etat pour exercer une certaine maîtrise sur le vote et bénéficier de plusieurs avantages, par rapport à ses concurrents, rompant ainsi l'égalité entre les candidats.

Le premier avantage, c'est la gestion par le ministre de l'Intérieur (membre actif du parti au pouvoir) de l'ensemble du processus électoral, sans que l'opposition puisse exercer un contrôle fiable sur le contenu réel du fichier électoral. Au demeurant, le nombre d'inscrits chiffré à 5 millions paraît peu réaliste, eu égard à la taille de la population du Sénégal (11,3 millions environ), dont 50 % a moins de 18 ans (l'âge légal de vote). Déclarer un fichier électoral de 5 millions, c'est donc supposer que 90 % des Sénégalais de plus de 18 ans (résidents dans les villes et villages du Sénégal ou à l'étranger) ont pu braver toutes les difficultés (notamment, pour les ruraux, la distance séparant leur lieu de résidence aux centres d'inscription) pour s'inscrire sur les listes électorales. Or, comme on le sait, plusieurs personnes adultes n'ont pas pu s'inscrire lors du renouvellement des listes électorales. Dans mon propre entourage, j'en ai décompté plusieurs. Ce qui rend peu plausible le chiffre de 650 000 adultes non inscrits pour tout le Sénégal (y compris les émigrés). Par conséquent, la base électorale, du fait de son manque de robustesse, entache d'emblée la fiabilité du processus électoral.

En second lieu, l'équipe du président sortant a pu disposer d'une copie électronique du fichier électoral. A contrario, les autres candidats n'ont, jusqu'au jour du vote, pas reçu les listes d'électeurs (la tradition initiée en 2000 ayant été sciemment ignorée par le ministère de l'Intérieur) et ont ainsi travaillé sans réelle visibilité sur leur cible. Or, l'exploitation du fichier permet, comme c'est le cas dans les grandes démocraties, d'organiser la gestion des relations avec les électeurs, jusqu'au niveau du quartier ou du village de résidence, de tester leur opinion sur les candidats en lice et de convaincre les indécis à travers des stratégies de nature différente. Aux Etats-Unis, des cabinets de conseil privé développent, en toute légalité, des bases de données sur les électeurs et sur l'historique du vote, puis les mettent, contre rémunération, à la disposition des candidats et des partis politiques.

En troisième avantage du candidat sortant, c'est la gestion de la distribution des cartes d'électeur, notamment celles des retardataires, qui pouvait être contrôlée en donnant un coup de pouce aux électeurs supposés être des partisans du pouvoir et qui, dans certains centres de distribution, étaient accompagnés par leur responsable local pour contourner les longues files d'attente et retirer les cartes. On peut donc penser, sachant qu'il était plus facile, toutes choses égales par ailleurs, de recevoir sa carte si l'on était connu, au niveau local, comme un partisan du candidat sortant, qu'il est fort probable que les électeurs qui voulaient retirer leurs cartes et qui n'ont pas pu le faire, étaient majoritairement des partisans de l'opposition ou des électeurs dont le sens du vote était inconnu.

En quatrième lieu, la répartition des électeurs selon les bureaux de vote (parfois au sein d'un même centre) a paru, le jour du vote, trop inégale pour être uniquement le fait du hasard. Le Sénégal ayant une longue expérience de l'organisation du vote, il est difficile de croire que les services du ministère de l'Intérieur n'avaient pas programmé la longue attente devant certains bureaux de vote (qui a découragé plusieurs électeurs, qui ont pu juger que le jeu n'en valait pas la chandelle), justifiant un report de la fermeture des bureaux qui s'est révélé insuffisant pour permettre d'épuiser les files d'attente. En appliquant une simple règle de proportionnalité (par rapport à 2000 ou 2001), le ministère aurait dû doubler au moins le nombre de bureaux de vote, en les faisant passer de 8 400 à 17 000 ou 18 000 (au lieu des 12 400 installés), sachant que le fichier électoral déclaré a été multiplié par 2,5 dans la période. Il faut d'ailleurs vérifier si la disposition de l'article L.64 du Code électoral (qui pose : 'Il ne peut y avoir plus de 900 électeurs par bureau de vote dans les communes et communes d'arrondissement et plus de 500 électeurs par bureau de vote dans les communautés rurales') a été partout respectée.

Un dernier avantage du candidat sortant résidait dans le fait que l'opposition ne disposait pas des moyens de contrôler les opérations dans les 12 400 bureaux de vote déclarés. Or, la Commission électorale nationale autonome (Cena), du fait de ses réelles attributions et du mode de nomination largement administratif de ses membres et de ses délégués sur le terrain, est loin de constituer un gage de transparence des opérations électorales. Et, dans les faits, elle joue plus un rôle de conseiller des autorités de l'Etat, pour lui signifier quelques corrections qui, pour l'essentiel, ne gênent nullement le parti au pouvoir. Au surplus, rien ne prouve que l'administration territoriale veille, partout dans tout le pays, et de manière systématique, à la neutralité et à l'impartialité attendue d'elle. On est même tenté de penser que, pour éviter d'handicaper la progression de leur carrière, peu de représentants de l'Etat oseraient défier le parti au pouvoir et s'élever au-dessus des contingences partisanes. Ceci était valable avant l'alternance de 2000.

Aïssata Tall Sall, porte-parole du candidat Ousmane Tanor Dieng, ne peut donc facilement convaincre lorsqu'elle proclame que 'l'élection de février 2007 est la plus tronquée de l'histoire du Sénégal'. Rien ne permet de le penser. Ce qui a fait dire à Abdoulaye Wade, lors de sa conférence de presse du 1er mars 2007, qu'il a, dans la passé, été dépossédé de plusieurs victoires électorales (ce qui est une hypothèse valable, mais pas forcément juste) et que donc l'opposition devrait, aujourd'hui, accepter sa défaite (en usant implicitement du principe du parallélisme des procédures et en constatant, avec fatalité, qu'il existe des biais favorables au candidat sortant qui font qu'il est quasi-impossible de le défaire s'il sait les utiliser à son profit). Ce faisant, en maintenant constant le processus électoral, la défaite d'Abdou Diouf, en mars 2000, constituerait plus un accident historique, le candidat sortant de l'époque ayant tenu à jouer jusqu'au bout le jeu de la transparence qui lui a été fatal, qu'un précédent qui va se répéter dans le futur. Tout président nouvellement élu, pour peu qu'il défende, sans scrupules, ses intérêts, serait ainsi assuré d'effectuer deux mandats et, s'il prend en compte ceux de son camp, il pourrait même donner un coup de pouce au candidat qu'il aurait choisi pour lui succéder, s'évitant ainsi toute mauvaise surprise lorsqu'il quittera le pouvoir.

Au total, les multiples facteurs ainsi relevés prouvent qu'au vu du développement institutionnel du Sénégal et de l'absence de contre-pouvoirs efficaces, le ministère de l'Intérieur peut, a priori, difficilement organiser des élections transparentes et dignes de confiance.

Deux voies s'offrent alors : soit, compter sur le régime en place, le ministre de l'Intérieur et son équipe au niveau central, territorial et local, pour le respect d'un code déontologique dans la gestion du processus électoral ; soit, créer, comme plusieurs partis politiques le suggèrent depuis longtemps, une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui aurait entièrement en charge l'organisation et la supervision du processus électoral au Sénégal et dont les membres, nommés pour un mandat unique, et appuyés par des experts recrutés par appel d'offres, proviendraient, de manière équitable, du monde de la justice, de la coalition au pouvoir, des partis de l'opposition et de la société civile. La première tâche de la Ceni consisterait à auditer le fichier, afin d'établir une liste d'électeurs fiable et non contestable.

L'expérience montre que cette dernière voie est meilleure parce que moins susceptible d'être transgressée par des responsables qui refuseraient de jouer le jeu républicain. C'est du reste le choix retenu par plusieurs autres pays en développement du monde, en Afrique (Nigeria, Afrique du Sud, Bénin, Togo depuis le 2 février 2007, etc.) et ailleurs (Inde). L'opposition sénégalaise devrait en faire un préalable absolu à la participation aux prochaines élections législatives. Le maintien du statu quo ante ne pouvant, ipso facto, que prolonger le plébiscite obtenu par le président sortant à la présidentielle. En définitive, la réforme ainsi proposée est indispensable pour donner une crédibilité au processus électoral et faire retrouver au Sénégal son rang de porte-étendard de la démocratie en Afrique qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Moubarack LO
Web Blog: http://www.moubaracklo.blog.lemonde.fr/

 

 



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email