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SENEGAL- FRANCE- COOPERATION MILITAIRE : Pourquoi Paris ne lâche pas sa base de Dakar

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SENEGAL- FRANCE- COOPERATION MILITAIRE : Pourquoi Paris ne lâche pas sa base de Dakar
NETTALI - C’est « Le vieux nègre et la médaille », comme avait intitulé son livre-culte, l’écrivain Camerounais Ferdinand Oyono. Le rapport que l’homme noir a avec la récompense est particulier. Elle lui fait oublier toutes les péripéties qui lui ont justement fait la mériter ou la refuser. Il en est ainsi de la France et de ses anciennes colonies.

Ces temps-ci, la France n’a de cesse de décorer, avec la plus prestigieuse de ses enjolivures, des Sénégalais. C’est au compte-goutte qu’elle le faisait. Maintenant, c’est en veux-tu, en voilà ! Bien sûr, le premier venu ne peut arborer la croisette de la Légion d’honneur. C’est l’une des distinctions les plus recherchées. Mais là, Marianne ne revisite-t-elle pas ce qu’elle a toujours connu ? Un renouveau du pacte colonial ? Ce qui a fait sa force, de Terre-neuve à Bora-Bora, dans le Pacifique, du Tonkin Indochinois à ce qu’elle a appelé le Soudan, la France l’a obtenu de son armée ou de ses explorateurs.

Médailles donc. Ici, on a décoré (après beaucoup d’autres) l’historienne Penda Mbow, l’homme d’affaires et dirigeant sportif, Diagna Ndiaye, président du Cnoss et nouveau médecin du football. Tout dernièrement, comme une grêle, les décorations se sont abattues sur plusieurs têtes. Le président de l’Assemblée nationale, Macky Sall (tiens, tiens, voudrait-on faire mal à certains qu’on s’y serait pas pris autrement) ; le chef d’état-major de la marine nationale et dernier aide de camp du président Abdou Diouf, le colonel Ousmane Ibrahima Sall ; le général Bakary Seck (officier parachutiste), actuel inspecteur général des forces armées, sans oublier le patron de la gendarmerie, le général Abdoulaye Fall : tous l’ont reçue.

Mais pourquoi en ce moment ? Ils le méritent au regard de leur personnalité et de leur cursus professionnel, certes. Zidane doit, dans la même logique, être décoré de l’Ordre national du Lion pour avoir eu la bonne idée de se blesser lors du fameux match d’ouverture de la coupe du monde 20002. Echanges de bons procédés. La naïveté la plus simple verrait dans ces subites reconnaissances une sorte de contrition de l’ancienne puissance coloniale. Justement, c’est le général De Gaulle qui disait que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.

Quel est le lien ? Il est simple. La décoration a tout simplement et bonnement remplacé les verroteries et l’alcool, dans un contexte annoncé de démantèlement du dispositif militaire français en Afrique. Les Français, lors de l’époque coloniale, aimaient décorer les chefs locaux qui les aidaient à mater les récalcitrants. La France décore quand elle veut plaire, apaiser et satisfaire. Il ne faut pas se leurrer. Dakar est la porte de l’Amérique du Sud, à quelques petites heures de partout en Europe occidentale et en Afrique de l’Ouest. Bonne rade en eau profonde, avec un aéroport qui peut accueillir des forteresses volantes et un hinterland qui donne sur un espace profond, elle est tout sauf rien pour la dernière puissance coloniale encore présente sur le sol africain.

La chose militaire est ainsi faite. Les puissances ont besoin de territoires extérieurs pour être présentes hors de leurs champs de souveraineté et/ou pour tester leurs capacités. Ainsi, ce n’est ni à Lyon ou à Bordeaux que la France teste son feu nucléaire, mais à Reggane puis Colomb-Béchar, en Algérie (au début des années 60), et, récemment, à Mururoa et Fangatofa, en Polynésie (pour les tests de qualification de la simulation).

Marianne peut tout lâcher sauf la ville de Leuk Daour. La capitale sénégalaise demeure un enjeu stratégique majeur. Lors de la guerre des Malouines, en 1982, des Tornado britanniques faisaient relâche, avec l’assentiment de Paris, dans cette presqu’île (pour ne pas dire plus). Avec sa base de Dakar, la France peut parler, le menton haut, avec ses alliés…

Plusieurs questions s’entrechoquent. Le réseau des cinq bases militaires françaises actuelles – Djibouti (2 800 hommes), Dakar (1 100), N’Djamena (1 000), Libreville (800), et Abidjan 1 000), soit actuellement une dizaine de milliers d’hommes, si on y inclut l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, reste unique en son genre. Il a peu bougé depuis la vague des indépendances des années 60 ; il avait fait de la France, durant des décennies, le « gendarme » du continent, surtout dans un contexte de « guerre froide » – rôle que lui laissaient volontiers les Américains, comme le rappelle avec justesse le journaliste de Rfi, Philippe Leymarie.

Les temps ont changé. La France regarde désormais vers l’Europe de l’Est autant que vers son ancien empire du Sud. Elle n’a plus les moyens ni la volonté d’entretenir un dispositif qui est parfois vivement critiqué – on l’a vu en Côte d’Ivoire, ces dernières années –, qui n’a plus l’utilité géopolitique des débuts de la Ve République – l’époque Jacques Foccart –, et qui, par ailleurs, coûte cher ...

L’idée est simple : redéploiement des moyens français autour de trois bases : Dakar, Libreville, Djibouti. Mais Dakar et ces autres villes valent bien des contorsions diplomatiques et militaires. Cependant, la vocation de ces installations changerait notablement : elles seraient commandées à un niveau supérieur, celui d’un général ; elles s’occuperaient en priorité de tout ce qui est multilatéral, en liaison avec les organisations régionales, et surtout l’Union africaine. Au lieu d’être des « boucliers » au service d’un seul pays, voire des abcès de fixation politiques, ces bases deviendraient des centres de soutien en entraînement et matériel aux « Brigades de paix » que l’Union africaine cherche à mettre en place, dans chaque grande région du continent.

BASES MAJEURES

En fait, ce serait une extension du système Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la Paix) expérimenté depuis huit ans. Avec des cycles d’entraînement et manœuvres sur deux ans, à tour de rôle dans chaque grande région du continent – Ouest, Centre, Est et région australe – avec la participation de la plupart des pays de chaque sous-région (francophone, anglophone et lusophone mêlés), comme l’explique l’armée française.

Cela tombe sous le sens : l’armée française est la seule force occidentale qui possède des bases majeures sur le continent africain, les Américains se contentant, comme des lions en cage, de faire tourner leur porte-avions sur les eaux alentours, exception faite de Diego Garcia, sur Madagascar et l’océan Indien.

Autre explication : le prochain sommet de l’OTAN, prévu à Strasbourg-Kehl, en 2009, devrait entériner le retour de la France dans le commandement intégré de l’alliance atlantique. Si De Gaulle ne se retourne pas sur sa tombe à Colombey-les-deux-églises, Sarkozy reniant par là ce qui a toujours fait l’essence du gaullisme, ce sera sans doute parce que les enjeux ne sont plus les mêmes. Guerre contre le terrorisme et nouvelle alliance franco-américaine obligent.

Le maintien de ce dispositif permettra à Paris d’avoir de bons atouts en vue d’éventuelles négociations avec ses pairs atlantistes. Les accords de défense avec les pays africains avaient été signés, au début des années 60, dans un contexte de guerre froide. Là où les jeunes armées africaines bénéficiaient d’une assistance militaire certaine et efficace, la France avait par la même occasion de stratégiques terrains de manœuvre.

Ainsi, c’est seulement au Sénégal, depuis les indépendances, qu’elle n’a pas eu à sortir sa fameuse Légion étrangère (le corps de l’armée française le plus engagé) pour restaurer un ordre étatique. D’où sans doute les décorations qui tombent à la flopée sur des figures sénégalaises. On ne sait jamais, peut-être aussi pour avoir des alliés sûrs au cas où la tendance qu’a Dakar à se rapprocher de Washington se préciserait…



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