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Politique

Sidiki KABA, Président de la fédération des ligues des Droits de l'Homme(Fidh) : «Il faut craindre que les prochaines élections au Sénégal ne se passent dans des conditions de violence»

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Sidiki KABA, Président de la fédération des ligues des Droits de l'Homme(Fidh) : «Il faut craindre que les prochaines élections au Sénégal ne se passent dans des conditions de violence»

La tension préélectorale que vit le Sénégal préoccupe le président de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’homme, le Sénégalais, Sidiki Kaba. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, en marge de la présentation, au centre d’accueil de la presse étrangère, de l’ouvrage «Shirin Ebadi iranienne et libre», de Mme Shirin Ebadi, la Prix Nobel de la Paix 2003, Sidiki Kaba dit craindre que les élections ne se déroulent dans des conditions de violence. C’est pourquoi il appelle tous les acteurs de la vie démocratique à un dialogue politique pour éviter au pays de sombrer dans la violence. Il est aussi revenu sur l’arrestation de Jean-Paul Dias, la candidature d'Idrissa Seck et sur le rapport de son organisation sur la situation des défenseurs des Droits de l’homme en Afrique et dans le monde.

Wal Fadjri : La situation politique au Sénégal est en ébullition. Quel regard portez-vous sur les relations heurtées entre le pouvoir et l’opposition durant cette période pré-électorale ?

Sidiki Kaba : Les conditions d’élections démocratiques et libres risquent d’être remises en question avec le climat actuel de répression de la liberté d’expression qui frappe aussi bien les opposants, les journalistes que les cinéastes. On vient de constater, en quelques mois, que plusieurs hommes politiques ont fait la prison : Yancoba Diattara du Fidel, Ibrahima Sène du Pit, Amath Dansokho qui est poursuivi, Jean-Paul Dias qui est en prison. L’année dernière c’était Idrissa Seck, les journalistes comme Madiambal Diagne, le Groupe Sud Communication, Abdourahim Agne. La liste est longue et cela atteste le climat qui est en train d’être délétère. Il faut craindre que les élections ne se passent dans des conditions de violence. Si nous sommes arrivés à ce point, c’est parce que les élections législatives ont été reportées dans des conditions qui ne sont pas propres à un Etat de droit et à une société démocratique. Ensuite, c’est aussi dû à la radicalisation de l’opposition en raison de ce report et de la répression qu’elle subit. Il faut rapidement établir un dialogue démocratique en y associant l’ensemble des acteurs de la démocratie de manière à ce que le Sénégal affronte les élections présidentielles et législatives, l’année prochaine, dans les meilleures conditions de transparence et de liberté.

Wal Fadjri : Cela veut-il dire que vous avez peur de ce qui se passe au Sénégal ?

Sidiki Kaba : Malheureusement, ce sont des actes qui affectent l’image démocratique du Sénégal qui était cité comme un exemple de démocratie avec l’arrivée au pouvoir du président Abdoulaye Wade le 19 mars 2000, dans des conditions qui ont rendu la démocratie sénégalaise majeure. Mais les actes de répression auxquels nous assistons, font qu’il y a de vives préoccupations que la situation ne dégénère.

Wal Fadjri : Pour mettre sous mandat de dépôt Jean Paul Dias, on a fait appel à l’article 80. Mais le président de la République ne s’était-il pas engagé à supprimer cet article ?

Sidiki Kaba : Il s’est prononcé depuis longtemps pour la suppression de l’article 80 et c’était un acte majeur pour montrer que les libertés démocratiques étaient garanties pour tous par la constitution sénégalaise. Mais cela n’a pas été fait. Pire, cet article fourre-tout qui permet d’arrêter tout opposant est une façon de contrôler les hommes politiques et de les réduire au silence. Pour un Etat qui veut s’offrir en exemple aussi bien en Afrique que dans le monde, c’est à la fois contre-productif, inefficace et inacceptable. L’on espérait que, très rapidement, des actes forts, dès le début de l’alternance, seraient posés de nature à créer les conditions d’une liberté d’expression, d’une liberté d’association. Bref d’une vie démocratique saine où tous les partis politiques, les hommes politiques, les gens de la société civile, les artistes pourront tous s’exprimer sans peur et sans risque d’être attelés devant la Dic qui est devenue, aujourd’hui, un instrument au cœur de la République parce qu’elle permet d’arrêter tout citoyen qui fait un jugement critique contre le régime en place. Or le format de la démocratie, c’est précisément exprimer une opinion sur la politique du pouvoir.

Wal Fadjri : Au-delà du dialogue politique, quelle sortie de crise proposeriez-vous ?

Sidiki Kaba : Dans cette situation qui commence à se bloquer, ce que nous pouvons faire, c’est appeler à un dialogue démocratique. C’est la condition d’une ambition propice à l’exercice des libertés et en même temps de l’organisation future d’une élection où tous les candidats, dans la démocratie, la liberté, la transparence, pourront participer au jeu démocratique. La violence ne sert à rien parce que tous les pays, qui ont expérimenté les situations de blocage, ont connu des coups d’Etat, des guerres civiles. L’exemple, à côté de nous, c’est la Mauritanie, la situation en Côte d’Ivoire… Tout cela est intervenu à la suite de contentieux électoral ou de contestation d’élection dans son organisation et dans la proclamation de ses résultats. Le Sénégal doit emprunter la voie de la sagesse, celle qui consiste à se conformer aux principes de la démocratie pour éviter une situation qui aurait des conséquences imprévisibles pour le pays, les populations et la sous-région.

 Wal Fadjri : Pourtant, le président de la République a toujours dit qu’il tend la main pour le dialogue politique. Où est-ce que cela coince ?

Sidiki Kaba : Ce sont les acteurs politiques qui doivent répondre à cette question. Il est clair qu’une démocratie est faite de débat. Mais c’est un débat dans le cadre des règles d’organisation de la démocratie. Il faut qu’à tous les niveaux, aussi bien des opposants et des gouvernants, l’on mette cet élément en avant. Ce qui sert la démocratie, ce n’est pas l’utilisation du pouvoir ou de la surenchère. Mais le plus important, c’est de pouvoir débattre de toutes les questions nationales avec comme seul objectif d’amener le pays vers des élections qui seront le reflet sans conteste de la volonté populaire.

Wal Fadjri : Quelle est la part de responsabilité de l’opposition et du pouvoir dans ce manque de dialogue politique ?

Sidiki Kaba : Il faudrait que chacun comprenne que cette surenchère conduirait à un blocage de la société. Or chaque fois que l’on constate des blocages, il peut y avoir des acteurs non démocratiques qui peuvent surgir et remettre l’ordre constitutionnel.

 Wal Fadjri : On agite le dossier judiciaire d'Idrissa Seck pour l’empêcher de se présenter à l'élection présidentielle. Est-il plausible que l’on s’oppose à sa candidature pour cette raison-là ?

Sidiki Kaba : Notre pays permet à tout citoyen, quel qu’il soit, de briguer la magistrature suprême. C’est le fondement de la République. Tous ont le droit constitutionnel et démocratique de participer aux affaires politiques à travers un programme. Il va de soi que dans ce cas d’espèce, il ne faut pas que la justice soit utilisée à des fins de répression démocratique.

 Wal Fadjri : Vous venez de publier un rapport sur la situation des défenseurs des Droits de l’homme dans le monde. Quelle est la situation en Afrique ?

Sidiki Kaba : Le bilan est mitigé dans les pays qui sont en conflit, les pays qui sont en crise. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a eu quelques progrès que nous avons retenus cette année avec l’élection de Mme Ellen Johnson Sirleaf à la présidence du Liberia, la perspective d’élections en République démocratique du Congo où il y a eu une guerre civile qui a fait plus de trois millions de victimes, trois millions de déplacés et trois millions de réfugiés. Mais notre préoccupation s'est portée sur le Darfour (Soudan) où il y a eu une grave crise humanitaire. On a même parlé d’une situation génocidaire du fait qu’il y a eu près de trois cent mille morts et deux millions de réfugiés. C’est énorme ! Beaucoup de situations révèlent qu’il y a à faire pour le respect des Droits de l’homme.

 Wal Fadjri : Et le cas de la Tunisie où le président de Reporter sans frontière a été empêché d’assister au sommet mondial de l’information et de la communication ?

Sidiki Kaba : Les défenseurs des Droits de l’homme sont dans une situation difficile dans ce pays. La Ligue tunisienne des Droits de l’homme fait l’objet de harcèlement du fait que plus de trente procès lui sont actuellement intentés par le régime en place. Son président avait été attaqué. Aujourd’hui, le passeport de Souhayr Belhassen qui est vice-présidente de la Fidh, a été volé. Elle n’arrive pas à obtenir un nouveau passeport depuis trois mois. Ce qui l’empêche de mener ses activités de défenseur des Droits de l’homme, en violation des conventions et des déclarations qui sont en faveur des défenseurs des Droits l’homme qui doivent pouvoir faire leur travail. Mais il y a eu aussi le cas des défenseurs des Droits de l’homme en Ethiopie, au Rwanda et en Côte d’Ivoire qui se sont trouvés dans des situations déclinées en terme de détention arbitraire, d’actes de torture. Mais c’est en République démocratique du Congo où nous avons été beaucoup plus préoccupé. On y a enregistré plus de deux morts et des militants ont été contraints de s’exiler. Ce qui signifie que la vigilance est encore de mise.

 Wal Fadjri : Quelle est la situation du Sénégal dans ce rapport ?

Sidiki Kaba : Nous avons noté la situation des journalistes, particulièrement ceux du groupe Sud Communication. Près de ving-huit personnes de ce groupe avaient été arrêtés dans des conditions que l’on sait, à la suite de la diffusion d’un élément à la radio. Ils ont tous été attraits devant la Dic et ensuite Babacar Touré et six autres ont comparu devant le tribunal correctionnel hors classe de Dakar pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Ensuite il y a le cas Joe Ramaka Gaye qui n’a pas pu publier son film (Si Latif avait raison) qu’il a fait ici en France. Tout cela atteste que la liberté d’expression est bafouée.

Propos recueillis par Moustapha BARRY (Correspondant permanent à Paris)



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