Le régime socialiste avait usité la pratique des embastillements d’opposants dès le lendemain de l’élection. Wade qui en fut, entre autres, la victime, a inauguré celle du déballage post-électoral. Mais, quelque six mois après ces déclarations, aucune suite ne semble leur avoir été donnée.
Avec des oukases rappelant le stalinisme triomphant, le président de la République nouvellement réélu avait menacé de ses foudres ses challengers de l’élection de la veille. Une sorte de justice des vainqueurs pointait son bout du nez. Avec des éléments à charge et une intime conviction solidement ancrée, Me Wade avait brandi des dossiers contre Niasse, Tanor, Dansokho et Idrissa Seck. Dénominateur commun à ce quarteron : celui d’être des adversaires du secrétaire général national du Pds à la présidentielle. Une pratique qui exhale, à mille lieues, le règlement de comptes. Même si Wade s’en défend. ‘Quand j'ai été élu, j'ai lancé des enquêtes. On a jugé beaucoup de gens. Pour certains leaders politiques, les enquêtes étant longues, j'ai dit qu'il faut suspendre, provisoirement, les poursuites. Parce qu'ils (les opposants, Ndlr) vont déclarer partout qu'on veut les empêcher d'aller aux élections. On a suspendu les poursuites, mais elles existaient déjà. Je ne veux pas que l'on dise que le président Wade, une fois élu, fait la chasse aux sorcières. Ces sorcières, elles étaient là (sic). Ce ne sont pas de nouvelles sorcières (re-sic). Maintenant qu'on a fait des élections et élu un président de la République, il faut que la vie de l'Etat continue ; que la justice fasse son travail’.
Une adresse volontairement reprise dans un wolof châtié pour que la multitude en eût connaissance. Et pour l’occasion, le président de la République fraîchement réélu n’avait pas manqué d’apostrophe. Au peuple sénégalais, il demandait de ne pas être ‘surpris si M. Amath Dansokho est poursuivi’. Parce que, ‘étant ministre de l'Urbanisme, il a vendu des terres aux abords de l'aéroport et même à l'intérieur. Maire de Kédougou, il a fait une mauvaise gestion financière. L'inspection générale d'Etat m'a remis le dossier. J'ai demandé de le transmettre à la chambre de discipline financière. Si les délits sont établis, cette dernière va lui infliger des amendes. Elle peut, également, demander au gouvernement de traduire l'individu en justice. Dans le cadre de la coopération décentralisée, il a reçu d'une petite commune française 17 millions de francs. Cet argent a disparu d'après ce que l'on m'a dit’. Voilà pour l’’acte d’accusation’ contre Amath Dansokho.
Son ancien collègue de groupe parlementaire, Moustapha Niasse, a, quant à lui, deux dossiers, Wade dixit. ‘Le premier, c'est l'achat de sa maison qui se trouve sur la Corniche. Il a expliqué, il y a deux ou trois ans, à la presse sénégalaise qu'il l'avait achetée. Le patrimoine national, quelqu'un se l'approprie, on me dit que c'est un homme politique, on ferme les yeux’. Et de faire l’historique de cette acquisition dont on venait, comme par enchantement, de découvrir la non-conformité avec les règles de la comptabilité publique. ‘C'est Senghor qui, en un moment donné, avait décidé de vendre des maisons qui étaient occupées par des assistants techniques français. Il a pris un décret et a attribué ces maisons. Certains en ont profité pour les acheter. A quel prix ? Onze millions payables en 19 mensualités ! C'est un don. L'Etat doit être défendu’. Ce n’en était pas encore fini pour l’ancien directeur de cabinet de Senghor. ‘En tant que ministre des Affaires étrangères, il avait ouvert un bureau consulaire à Hong Kong pour vendre des passeports aux Chinois. Un jour, les Français se sont réveillés et ont trouvé le cadavre d'une Chinoise dans la Seine qui avait, par-devers elle, un passeport diplomatique sénégalais. La presse sénégalaise en a parlé. Moustapha Niasse vendait des passeports à des Chinois qui voulaient se rendre aux Etats-Unis ou ailleurs. Il l'a reconnu. Il n'a pas reversé l'argent au Trésor. Je lui demande, seulement, de rapporter la preuve. Et quand on lui demande cela, il dit qu'aux Etats-Unis, on vend des passeports’.
Ousmane Tanor Dieng et son ‘co-accusé’ Habib Thiam étaient prévenus devant le tribunal de Wade pour avoir ‘vendu des licences de pêche aux bateaux chinois pour une valeur de 20 milliards de francs Cfa’. Selon l’accusateur, ils l'ont reconnu dans un procès-verbal de police et ont certifié avoir, avec le produit de la vente, acheté des véhicules pour leur parti.
Quelque 6 mois après cette adresse aux allures de réquisitoire, c’est comme si ces affaires avaient été immergées dans les entrailles de l’océan, quelque part entre Dakar, Genève et Paris. Ni convocation, ni début d’enquête. Au nom d’impératifs politiques, d’exigences non écrites ou par la concurrence d’’affaires’ plus accablantes - boycott des législatives par l’opposition significative, cession du terminal à conteneurs, retrait des Américains de la Plate-forme de Diamniadio, rapport des architectes sur les travaux de l’Anoci, etc. - une sorte d’amnésie collective semble avoir distrait Wade et ses ‘consultants’. Jusqu’à la prochaine occasion !
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