Dans une tribune intitulée Un Premier ministre à surveiller : ses propos le trahissent, Thierno Bocoum, président du mouvement AGIR, alerte sur les récentes déclarations du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, tenues lors d’une interview à la RTB à Ouagadougou le 19 mai 2025. Bocoum y voit une vision « confuse, populiste et dangereusement relativiste » qui brouille les lignes entre démocratie et autoritarisme.
Lors de l’interview, Ousmane Sonko a déclaré : « Ce n’est pas parce qu’on est arrivé au pouvoir de manière démocratique qu’on n’est pas un révolutionnaire. Ce n’est pas parce qu’on est arrivé au pouvoir par d’autres moyens qu’on est plus révolutionnaire que d’autres. Des gens qui arrivent au pouvoir par les armes ont été adulés parce qu’ils ont fait des résultats. » Pour Thierno Bocoum, ces propos relativisent la légitimité démocratique en la mettant sur le même plan qu’une prise de pouvoir par les armes, une position qu’il juge inacceptable. « Ce brouillage n’est pas fortuit. Il traduit une tendance à justifier le pouvoir non par sa source mais par ses effets supposés », écrit-il.
Ce n’est pas la première fois que le Premier ministre tient des propos de ce type. Bocoum rappelle une déclaration antérieure, le 27 février 2025, lors d’une rencontre tripartite entre gouvernement, patronat et syndicats, où Sonko avait affirmé : « Les pays qui ont décollé ces dernières années sont les pays où les libertés ont été réduites, pour ne pas dire complètement annulées. » Sans nommer explicitement la Chine, le Vietnam ou Singapour, il faisait allusion à des modèles de développement autoritaire. Bocoum conteste cette analyse, qu’il juge « simpliste et erronée », en citant des contre-exemples comme la Corée du Sud, le Japon et l’Inde, qui ont prospéré dans des cadres démocratiques. « Faire l’apologie du développement sans liberté, c’est déshumaniser le progrès », martèle-t-il, ajoutant que même la croissance chinoise ralentit en raison de la censure et de la déconnexion technocratique.
À Ouagadougou, Sonko a évoqué des « chefs militaires adulés pour leurs résultats ». Bocoum s’interroge : « De quelle adulation parle-t-il ? » Il souligne que les manifestations de soutien au Burkina Faso, souvent encadrées, ne rassemblent que 10 000 à 30 000 personnes dans un pays de 22 millions d’habitants, soit moins de 0,15 % de la population. « Une foule visible ne remplace pas une urne confisquée », insiste-t-il. Il rappelle les dérives dans les pays sahéliens sous régime militaire : partis dissous, manifestations interdites, médias suspendus, journalistes exilés, activistes arrêtés, et la séquestration sans procès du président Bazoum au Niger depuis un an. « Le silence imposé n’est pas une approbation, c’est une preuve de domination », écrit Bocoum.
Tout en reconnaissant les imperfections des démocraties et les déceptions de certains dirigeants élus, Bocoum défend leur « mérite inaliénable » : permettre au peuple de « corriger ses erreurs par les urnes, non par les armes ». Il oppose le « pouvoir consenti » d’un président élu, qui peut être contesté ou remplacé, au « pouvoir imposé » d’un chef militaire, qui ne rend de compte qu’à lui-même. « Un Premier ministre qui confond autant expose un pays entier à la dérive », avertit-il, appelant à une vigilance accrue.
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