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Politique

Wade dans un entretien à Afrique Magazine : "Je disais à mon gouvernement, vous n'avez pas honte..."

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Wade dans un entretien à Afrique Magazine : "Je disais à mon gouvernement, vous n'avez pas honte..."

Dans un entretien accordé il y a quelque temps à Afrique Magazine, Wade y étale ses grands travaux avec des questions parfois bien complaisantes de la journaliste Emmanuelle Pontié.


Dimanche 14 février. Le président Abdoulaye Wade nous reçoit au Palais présidentiel, dans l’un des salons de l’immense salle du rez-de-chaussée, en compagnie de Mamadou Bamba Ndiaye, ministre conseiller, chargé de la communication, des relations avec la presse, des affaires religieuses et porte-parole de la présidence de la République. Il est midi. Il est pile à l’heure. Nous devons parler du cinquantenaire des Indépendances et des grands travaux. L’interview, prévue pour tenir en 30 minutes, durera finalement deux heures et demie. Le chef de l’État, qui aime rappeler que 1 200 milliards de F CFA ont été investis dans les infrastructures de son pays depuis son accession au pouvoir en 2000, est intarissable en la matière. Il évoque « ses » grands travaux, mais parle aussi de ses souvenirs, de l’évolution de la mentalité sénégalaise. Cultivé, passionné d’architecture, il évoque ses projets culturels, parfois personnels et critiqués. Puis, il nous emmène dans son bureau privé du premier étage pour nous montrer son croquis du nouveau Théâtre national. Entretien avec un président en pleine forme…


AM : Vous fêtez le 4 avril le cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal. Selon vous, quels sont les points sur lesquels le pays a avancé ?
ABDOULAYE WADE : Les Sénégalais ont beaucoup évolué sur le plan des mentalités. Ils sont aujourd’hui tournés vers le travail, veulent gagner de l’argent, améliorer leur condition de vie. Ils construisent beaucoup. L’État aussi, bien entendu. Nos ressortissants font des économies pour investir au pays. Ils n’ont qu’une idée, c’est retourner au Sénégal, être propriétaire et avoir une mosquée dans leur village. Par ailleurs, l’éducation s’est généralisée. Tous les étudiants ont une bourse, qu’ils soient fils de ministre ou de paysan. Il en résulte une socialisation du savoir et de l’accessibilité aux fonctions de l’État. Les ministres ne sont pas forcément issus de la bourgeoisie. C’est toute une génération qui a changé. Le niveau de vie, aussi, s’est amélioré. Hier, on trouvait rarement une école dans les villes. De nos jours, chaque village compte au moins une classe. Évidemment, les charges croissent de façon exponentielle pour l’État. J’en avais bien conscience en généralisant l’enseignement et en dépensant 40 % du budget dans le domaine de l’éducation. Mais je sais ce que ça va rapporter au pays. Les étudiants à qui nous donnons des bourses deviennent des producteurs. Ça change tout. On n’a jamais vu un diplômé de l’enseignement supérieur rester pauvre. Il se débrouille, compte sur lui-même pour s’en sortir. C’est pourquoi le secteur privé se développe, et ça aussi, c’est un phénomène nouveau, que j’encourage. L’agriculture n’a rien à voir avec celle de la colonisation, qui était une monoculture basée sur l’exportation. Les Français voulaient que l’on produise des arachides et rien de plus, pour alimenter les huileries de Bordeaux ou de Marseille. Aujourd’hui, il y a une diversification. Et malgré tout, le paysan gagne de l’argent. Et enfin, le Sénégalais, aujourd’hui, sait ce qui se passe dans les autres pays, dans le monde, grâce à la télévision, l’Internet, etc. Il y a une vingtaine d’années, la situation était tellement morose que nos ressortissants de l’étranger en étaient arrivés à ne plus se réclamer de leur nationalité. Ils n’avaient plus confiance en leur pays. Aujourd’hui, un Sénégalais est fier de l’être. Il est aussi très attaché à l’Afrique et à sa diaspora, car il faut être ouvert sur un grand espace pour progresser.

Dans quels domaines le pays n’a-t-il pas évolué ?
Je dirais, toujours sur le plan des mentalités, que l’esprit scientifique n’avance pas. Or, la science est parfaitement compatible avec la religion. Mais chez nous, la « religiosité » domine. Je dis bien « religiosité », et non pas religion. La religion est une bonne chose, qu’elle soit musulmane, chrétienne, ou autre. C’est bien que l’homme croie en son destin et qu’un Dieu ordonne tout ça. Pourvu que la religion nous laisse la liberté de penser, de transformer ce qui est autour de nous. À une époque, l’Europe était dominée par la religiosité. Avant le XVIIIe siècle, les gens ne comprenaient pas très bien ce qu’il leur arrivait. Ils attribuaient tout à n’importe quoi. Il a fallu les encyclopédistes pour casser les murs et dire : « Non ! la Raison avec un grand R, ça existe. Vous pouvez arriver à la connaissance par la raison. » Eh bien, cette étape, nous ne l’avons pas franchie ici. Un exemple ? Je dis souvent à nos artistes : « Vous chantez les chefs religieux, c’est bien. Mais chantez aussi la nature, les récoltes, la mer… » Ils n’en sont pas encore là. Comme si notre esprit était encore couvert d’un voile qu’il faudrait déchirer pour mieux y voir.

Ce voile a-t-il été un frein, selon vous, à certains progrès depuis un demi-siècle ?
Certainement. Tant que l’esprit ne s’est pas totalement libéré, on ne peut pas réaliser certaines choses. Je vous donne un exemple. J’ai fait, en tant qu’avocat, le premier procès mettant en cause la responsabilité d’un médecin et d’un hôpital. Quelqu’un avait été victime d’une erreur de diagnostic et, au cours d’une opération, on lui a enlevé ce qu’il ne fallait pas. Je l’ai convaincu de faire un procès. Mais c’était toute une histoire ! Les juges me disaient : « Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous voulez faire condamner l’hôpital ? l’État ? » Oui, absolument ! Si les médecins font une faute, ils doivent comprendre qu’ils sont responsables. Je veux que les Sénégalais sachent que, quand quelqu’un meurt, il ne faut pas toujours dire que c’est Dieu qui l’a tué. Nous avons des savants, des chercheurs, des intellectuels dans les universités. Eux-mêmes n’iront pas attaquer un médecin pour faute, ils diront que Dieu l’a voulu. Pour le changement des mentalités, il faudra encore du temps…

Quel est votre meilleur souvenir lié à l’Indépendance ?
Il faut d’abord dire que nos pays (1) ont été indépendants dans des circonstances particulières. Sans batailles et sans violence. C’est très important. De Gaulle a reçu Senghor et Modibo Keita, et leur a dit : « Ah, vous voulez être indépendants ? Bon, signez ici… » Le peuple n’a pas eu de choc mental, comme d’autres, au Cameroun, en Algérie, au Maroc ou ailleurs. Il y a eu un hymne national, un drapeau, c’est tout… Nous nous sommes réveillés un beau matin et nous étions indépendants. Certains Sénégalais disaient même à l’époque : « Vous croyez que c’est le moment d’avoir notre indépendance ? » Je vais vous raconter une petite histoire. Quand nous étions étudiants, nous allions souvent voir un de mes oncles tailleur. Il aimait bien nous recevoir parce que nous venions de France et avions des théories différentes des autres. Nous lui disions : « Mais vraiment, tonton, il faut qu’on aille à l’indépendance ! » Et puis, un jour, un avion a survolé le lieu où nous étions. Il a levé la tête et il nous a dit : « Vous croyez vraiment que c’est le moment ? » Sous-entendu : êtes-vous capables de construire un avion ? Nous avions ce genre d’interrogations… Mais mon plus beau souvenir se situe au lendemain de l’Indépendance. Le président Lamine Gueye (2), que j’admirais beaucoup, m’a appelé. Je n’étais pas dans la politique, mais j’étais plus ou moins un intellectuel de gauche. À l’époque, nous revendiquions tous cette étiquette. Il m’a dit qu’il avait le testament de Blaise Diagne et qu’il voulait me le laisser. Blaise Diagne, premier député noir de 1915, ancien secrétaire d’État de Clemenceau, a suivi tous les députés du Sénégal depuis la moitié du XIXe siècle, qui représentaient toute l’Afrique puisque les Sénégalais étaient les seuls à siéger au Palais-Bourbon. C’était un Noir très fier de lui-même. Il n’a jamais été un assimilé. Il avait un appartement rue de Téhéran à Paris. En mourant, il l’a laissé à Lamine Gueye, puis ce dernier l’a laissé à Senghor. Ils sont tous passés au même endroit… Lamine a voulu me donner ce testament, parce qu’autour de lui il n’avait pas d’homme politique d’envergure. C’est dommage que je ne l’ai pas pris, parce que finalement, il est resté dans son héritage. Et aujourd’hui, on ne sait plus très bien où il se trouve… Par respect pour Blaise Diagne, j’ai donné son nom au nouvel aéroport.

Et votre pire souvenir ?
Il date d’avant l’indépendance. Je pense bien sûr à l’assassinat des tirailleurs du camp de Thiaroye, en 1944. Nous étions au lycée lorsque nous avons appris que des Sénégalais étaient revenus après avoir fait toutes les guerres pour la France et avaient réclamé leurs droits. Ils voulaient qu’on les paye avant de retourner dans leurs villages. On leur a dit : « Non, allez-y, et on vous paiera là-bas. » Ils ont refusé et exigé qu’on les règle sur place. Les Français sont venus un matin, avec des mitrailleuses. Les gens dormaient, des femmes sont sorties des maisons en courant, et ils ont tiré sur tout ce qui bouge. L’histoire de Thiaroye est partie d’une simple revendication de salaires qui étaient dus. Ils étaient Sénégalais, Voltaïques, Soudanais… Ils ont tous été tués. Franchement, je n’ai pas de pire souvenir. Le reste…

En dix ans, vous avez réalisé un nombre impressionnant d’infrastructures. On vous surnomme « le président des grands travaux ». En quoi ces chantiers s’inscrivent-ils dans le calendrier du cinquantenaire ?
Quand j’ai commencé à me battre pour les infrastructures en Afrique, le seul axe auquel je me référais pour donner un exemple, était celui qui va de Dakar à Rufisque. Le milieu de la route, réalisé par les colons, était très solide, intact, et les à-côtés bitumés par la République partaient complètement à vau-l’eau. Je disais au gouvernement de l’époque : « Mais vous n’avez pas honte ? La seule voie sur laquelle on peut passer, c’est celle que les colons ont laissée ! Tout ce que vous avez fait après devra être restauré chaque année ! » Il y avait cette terrible mentalité, qui subsiste encore parfois, de gens qui ne cherchent pas le meilleur, parce qu’ils pensent qu’ils ne sont pas dignes de l’avoir, parce que c’est cher, etc. Moi, je ne veux pas entendre cela autour de moi. Lorsque l’on veut une chose, il faut en payer le prix. J’ai dit à mes ministres que je voulais la meilleure qualité pour le Sénégal, de l’enrobé dense. Et j’ai convaincu la Cedeao, qui a adopté cette norme pour toute l’Afrique de l’Ouest. Quand nous allions au G8 avec les autres chefs d’État pour exprimer nos besoins, personne n’osait parler d’infrastructures. Les grandes puissances ne voulaient rien entendre. Moi, je m’évertuais à dire que la priorité des priorités, c’était les routes. Ma première participation à un G8 a eu lieu à Gênes, en 2001. Nous nous sommes concertés avec mes collègues pour la distribution des rôles. Obasanjo devait faire ceci, Thabo Mbeki cela. Quant à Wade, on lui laissait les « routes ». Eh bien, le communiqué officiel n’a même pas mentionné le mot infrastructures ! La deuxième réunion devait se tenir en France. Mes relations avec Jacques Chirac étaient telles qu’il m’envoyait ses discours sur l’Afrique pour me demander ce que j’en pensais. Je lui ai dit : « Jacques, si tu ne mets pas le mot infrastructures dans ton discours, tu auras l’Afrique sur le dos ! » Et il l’a fait. Finalement, au sommet de Lisbonne en 2007, le président du Portugal a créé une commission sur les infrastructures, comprenant Européens et Africains, et m’en a nommé président. Mais ce fut un long combat…

Vous venez d’inaugurer une autoroute à péage au Sénégal…
C’est une première en Afrique subsaharienne. J’ai voulu associer dans ce projet le public et le privé. Mais, là aussi, qu’est-ce qu’on n’a pas entendu des bailleurs de fonds ! Tout juste ne nous ont-ils pas pris pour de grands rêveurs. Au final, eux-mêmes ont participé au financement. Nous avons réussi à les convaincre.

Vous construisez aussi le Parc culturel, en plein centre de Dakar, avec sept réalisations ambitieuses…
Les infrastructures, c’est aussi les grandes constructions. J’ai réalisé le Théâtre national, construit par les Chinois. Je l’ai dessiné moi-même. J’aime beaucoup l’architecture. Surtout le baroque. La construction est moderne, mais j’y ai fait ajouter des colonnes, parce que je suis très influencé par les styles romain, grec, égyptien. Et j’ai prévu six autres constructions. J’appelle l’ensemble, avec beaucoup de modestie, les « Sept Merveilles du Sénégal ». Après le Théâtre national, il y aura le musée des Civilisations noires. Senghor a voulu le faire, mais n’a pas pu, faute d’argent. Les plans qu’il a réalisés avec un architecte mexicain sont là. C’est pourquoi, je fais inscrire à l’entrée de ce musée : « Senghor l’a rêvé, Abdoulaye Wade l’a fait. » Troisième réalisation : la place de la Musique. J’ai demandé à mon architecte d’imaginer une construction qui rappelle un instrument de musique. Il l’a conçue sous la forme d’une kora. Une kora multicorde, inventée par mes ancêtres, les Mandingues de l’Afrique de l’Ouest. Je fais aussi construire une école d’architecture. J’ai dit aux intéressés que c’est le minimum qu’ils pouvaient faire ! Ils ont choisi de donner à leur bâtiment la forme d’un cygne, ce qui est très bien. J’ai aussi prévu une bibliothèque et des archives. La première est une pyramide ouverte, symbole de l’inspiration qui vient du ciel ; et la seconde, une pyramide fermée, pour l’idée de conservation. Le Sénégal a hérité de toutes les archives de la colonisation, de l’AOF. Nous en avons confié une partie à la France. Celles que nous avons gardées se trouvent dans le sous-sol d’un building administratif, où vous enjambez les dossiers pour marcher. J’ai décidé de construire un bâtiment pour les archives nationales, qui seront en fait des archives africaines. Mais, ce serait une grave erreur, par réflexe nationaliste, de faire rapatrier celles qui sont en France. Il vaut mieux les laisser là-bas, conservées dans de bonnes conditions climatiques. Ici, au bout de deux hivernages, elles se détérioreront. Ce serait un crime. L’indépendance a aussi des aspects négatifs…

C’est-à-dire ?
Parfois, nous voulons tout faire, alors que nous n’en avons pas les moyens. Prenez le cas des œuvres africaines qui se trouvent en Europe ou ailleurs. Vous vous souvenez que l’Unesco, poussée par des intellectuels africains, réclamait ces masques, en disant « Ce sont nos trésors ! » Je n’ai jamais été d’accord. J’ai pris le contre-pied de ce courant, en disant que ces oeuvres sont nos ambassadeurs dans les autres civilisations. Quand un Français se réveille un matin avec un masque dans son salon ou quand il tombe sur une musique noire à la radio, nous devons en être très fiers. Cela signifie que nos arts pénètrent profondément les autres civilisations. Nous avons inspiré Picasso et toute une génération de peintres français, qui ont déclaré que l’émotion éprouvée en voyant un masque avait servi de base à leurs créations. Et quand on me dit qu’il faut réclamer au Louvre ou au London Museum nos oeuvres qui ont été pillées, je réponds qu’a posteriori c’est du bon pillage ! Au moins, elles ont été bien conservées. Vous savez que l’empereur El Hadj Omar était l’un des plus farouches adversaires des Français quand ils ont mis les pieds ici. Il s’est battu envers et contre tout au Sénégal et au Mali. Finalement, son sabre est dans un musée français. J’ai organisé une fête ici, et je l’ai emprunté pour l’occasion, avant de le rendre. Pas question de créer un incident, en disant qu’il nous appartient. Il est très bien là-bas. Vous savez, au début des indépendances, j’ai visité un musée africain, dans un pays dont je tairai le nom. Il y avait des choses extraordinaires. J’y suis retourné récemment, et c’est tout juste si j’ai pu retenir mes larmes. Le musée était devenu une collection de pacotilles, d’objets de gare. Tout a été pillé. Les gens qui connaissent bien la valeur de nos oeuvres vont dans les musées, repèrent un objet, corrompent le conservateur en lui demandant de le lui prêter. Ils vont voir l’artisan du coin pour en faire une copie. Puis ils replacent la copie dans le musée et partent avec l’original. Et les gens ne s’en aperçoivent même pas…

Et votre septième réalisation ?
Je voulais que ce soit un penseur africain. J’ai demandé à mon ami le président Amadou Toumani Touré de me trouver un penseur dogon. Écrivez bien que je l’attends toujours de mon petit frère le président du Mali, que j’appelle « l’empereur adjoint », puisqu’il m’appelle « l’empereur » ! Il me l’a promis ! Je sais que dans la statuaire africaine, il y a toujours un vieillard, souvent représenté avec une pipe ou dans une attitude de réflexion vers l’avenir. Et c’est pour cela que j’en ai demandé un à « ATT », que je mettrai dans le parc culturel.

Finissons sur le monument de la Renaissance africaine, très critiqué au moment où vous l’avez fait ériger et que vous inaugurez la veille de la fête du cinquantenaire.
Je ne connais aucune oeuvre d’art qui n’ait pas été critiquée. Ici, il faut comprendre que le désaccord porte moins sur l’esthétique ou sur la signification que sur les implications religieuses. C’est sur ce point que le monument a été attaqué, certains prétendant que l’islam interdit la reproduction d’êtres vivants. En fait, le Prophète, combattant l’idolâtrie, a détruit et fait détruire tout ce qui était fabriqué pour être adoré, puisqu’il n’existe qu’un dieu, Allah. Mais il n’a jamais été question de condamner une oeuvre d’art fabriquée pour son esthétique ou pour transmettre un message. J’ai demandé à des membres de l’Icesco, l’Unesco des musulmans, créée par l’OCI, de m’envoyer des documents à ce sujet. On a fait appel à des oulémas, qui sont venus en discuter à la télé et à la radio. Mais ce débat est terminé au Sénégal. L’autre critique portait sur le coût du monument. Les gens n’ont pas compris que je n’ai pas sorti un seul franc du budget, j’ai payé la construction avec un terrain. Et quand bien même cet argent existerait, qui aurait accepté que je prenne dans le budget du Sénégal 12 milliards de F CFA pour les investir dans un monument ? Évidemment, le monument va valoriser tout ce qui se trouve autour de lui. Si vous pouviez acheter un terrain dans ses environs, quel que soit son prix, je vous assure que le jour où des milliers de gens viendront du monde entier le visiter, vous verrez le prix du foncier grimper. On m’a attaqué aussi là-dessus. Mais est-ce que ça me regarde, moi, de savoir ce que vous ferez de votre terrain et combien vous allez le vendre ? Non ! C’est de la rente foncière. Va-t-on demander à la première personne qui a acheté un mètre carré aux Champs-Élysées, il y a trois ou cinq siècles, combien il vaut aujourd’hui ? Alors, ici, ai-je gagné dans cet échange ou non ? Je réponds oui, car le prix du terrain fixé par un décret est très bas, et nous l’avons élevé pour le vendre aux Coréens. Le fait est que je n’ai pas sorti d’argent. On devrait me féliciter d’avoir imaginé un tel montage financier.

Pourquoi avez-vous fait ce monument ? Que signifie-t-il ?
Dans un livre que j’ai écrit alors que j’étais en France, intitulé Un destin pour l’Afrique, je parlais de l’Afrique et de la diaspora. Et j’en étais arrivé à citer la communauté des Africains-Américains comme une des composantes essentielles de l’évolution de notre continent. Nous, panafricanistes, nous parlons de l’Afrique et de la diaspora comme étant indivisibles. Dans mon ouvrage, j’ai dit que l’esclavage était le résultat de ce que l’on a appelé le commerce triangulaire. L’Europe achetait les esclaves en Afrique, les vendait à l’Amérique, et les Américains les faisaient travailler. Ces derniers n’avaient pas de machines pour faire du tissu, donc le coton était envoyé en Europe, qui le transformait et le revendait. Il en résultait un commerce circulaire, triangulaire. Cela se passait au XVe siècle. Mais, aujourd’hui, il existe plutôt une coopération entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. J’ai écrit que si j’étais un sculpteur, je créerais trois personnages : un Africain, vigoureux, les bras tendus vers les autres, l’Américain et l’Européen. Le symbole d’une union plus profonde des trois continents. Je me suis promené, en essayant de voir où je pourrais placer mes trois personnages. Et je n’ai pas trouvé. Il fallait qu’ils soient tous les trois vus du premier coup d’oeil pour que l’on puisse comprendre la signification. Et, un jour, regardant la deuxième Mamelle au quartier Ouakam, j’ai vu surgir l’Africain. Après, l’imagination va très vite : il doit être avec sa femme et un enfant, pour incarner l’idée de l’avenir, etc. De cette façon est née cette image de trois personnages, sortis des entrailles de la terre, posés sur un volcan. De l’obscurité, ils passent à l’obscurantisme et arrivent en pleine lumière, pour regarder l’Occident de face, avec fierté. En d’autres termes, cette Afrique que vous avez voulu enterrer par cinq siècles d’esclavage, deux siècles de colonisation et un siècle d’obscurantisme est bien là ! Et elle avance avec un mouvement dynamique, grâce à l’enfant qui a le doigt pointé vers l’Amérique, qui symbolise l’Occident. Je voudrais que ce message soit décodé par la jeunesse comme étant l’expression d’une Afrique debout, fière, qui fait face, et qui a de l’avenir.




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