A quand la ville ?

Une fois encore, Dakar mobilise la République et son Chef, autour de son désordre et de l’anarchie qui y font loi. Parce que le président de la République fini par en parler, tout ce qui touche à l’encombrement est devenu un sujet de toutes les attentions pour politicards égarés. Des élus peu inspirés jusqu’à aujourd’hui sur la question et qui, au mépris de toutes règles de discipline politicienne, en oublient que le Parti démocratique sénégalais qui fait l’unanimité sur son inorganisation, n’est pas le Sénégal. Il est donc venu le temps, comme disait l’autre, de passer aux choses sérieuses. 

Polémiques, querelles stériles autour d’un fauteuil toujours occupé par celui qui a été choisi par les Sénégalais ; on aura tout vu et entendu. La folie n’arrêtait plus personne au Pds. A quand la ville donc, se demandaient encore certains, pour reprendre la formule de l’historien le plus célèbre d’Afrique, le professeur Joseph Ki Zerbo. Il y a quelques années, comme pour marquer son mépris pour cette Afrique des politicards qui n’avançaient point, l’observateur qu’il est avait fini par se poser la même question, qui sous la forme d’une ironie, est devenue le titre d’un ouvrage célèbre qui résumait bien notre titre ; « A quand l’Afrique* ».

Plus qu’un sujet de mémoire, voilà qui mobilise quelques politiques, chercheurs, ordres, associations et autres spécialistes de la ville cette fois, sur une question d’intérêt public : Dakar. Depuis plusieurs années, le sujet passionne, mais n’a jamais été abordé de manière très sérieuse par un parti politique, un laboratoire sur les questions urbaines, à commencer par l’Institut Africain de Gestion Urbaine ( Iagu), une fois qu’on prenne la peine de la solliciter. Pire si elle est abordée par les universités, c’est dans un complet anonymat. Grave, l’entité qui a la responsabilité de la gestion des affaires de la cité depuis que l’Etat lui a délégué certains pouvoirs : la mairie de Dakar, n’a pas vu jusqu’à présent par quel bout prendre le problème. On se rappelle, il y a quelques années, que le maire Pape Diop, nouvellement élu, s’était fixé comme ambition, en accord avec le gouverneur de Dakar, de débarrasser la ville de ses saletés et autres facteurs d’encombrement.

La suite est connue. Et la sortie du président de la République en ce début de semaine, sonne pour le maire surtout, comme un aveu d’échec de la politique municipale si elle a existé sur la question. Qui a donc sur la solution ? Jusqu’ici personne, serait-on tenté de dire. Car, depuis quelques années, les quelques efforts tentés ici et là par l’Etat n’ont fait qu’accentuer le gigantisme de Dakar, sur le reste du Sénégal. Pendant que Wade et ses équipiers se précipitaient, pour disaient-ils, rattraper le retard accusé par l’ancienne grande métropole ouest-africaine en infrastructures de développement (routes, échangeurs, voies de dégagement et l’éclairage public), ils ne faisaient que concentrer les problèmes des gens sur un même espace.

Or, si ces efforts sont louables, il faut regretter qu’ils ne soient inscrits dans aucun agenda clair et dans un effort de planification qui pourraient l’un ou l’autre, satisfaire tout le monde. Dans une ville en chantier, où l’anarchie est devenue la norme, il a été déploré le fait que tous les travaux ont été entrepris au même moment. Pour des raisons de délais d’achèvement sûrement qui risquent d’être difficiles à respecter.

Pour un colloque sur les villes côtières africaines

Au final, la principale leçon à tirer de cette stratégie de la rupture qui ne dit pas toujours son nom est de savoir à quoi devrait-on s’attendre dans les 25 années à venir ? Parce qu’en dépit toutes ces mesures sont souvent annoncées dans la confusion par Wade et ses équipiers selon leur humeur du moment, on semble chercher la bonne formule pour désencombrer Dakar. D’ailleurs le mal n’est pas seulement sénégalais. Il est propre aux grandes agglomérations du continent. Dakar et les grandes villes africaines situées sur la côte atlantique, la Méditerranée et l’océan indien, ne méritent-elles pas aujourd’hui, un forum ou un colloque international sur leur devenir ? Le constat est que les générations se suivent et butent sur des problèmes différents à Dakar comme ailleurs en Afrique. Et, face aux changements de contexte qui ont cours dans les grandes villes, des réponses claires s’imposent en matière d’organisation.

Ces mesures énergiques prises par le Président Wade ont sans doute le mérite de vider Dakar de ses saletés pour un moment. Mais, au-delà des épaves et autres ordures à enlever çà et là, il reste que le vrai encombrement dont souffre la ville de Dakar, comme celles du Caire, de Nairobi, n’est pas celui qu’on pense mais, plutôt, l’encombrement humain. Et pour lutter contre un tel phénomène qui n’est plus seulement, le produit de l’exode rural, il faut d’autres types d’actions moins énergiques, mais plus intelligentes très loin des discours de circonstance et des slogans. Et cela, une seule tête ne peut donner la réponse.

Dans une ville malade, le temps est désormais compté. Et sans une réelle volonté de dialogue qui engage tous les acteurs de la cité, le cri de douleur du président Wade risque de n’être qu’un souffle de plus dans la longue marche vers le chaos qui attend les populations de la ville de Dakar dans les années à venir.

*Joseph KI ZERBO, « A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Edition L’Aube EDS DE, mars 2004, 201 pages.