AFFAIRE LE JOOLA : Mandat d'arrêt contre les autorités sénégalaises - Sidiki Kaba approuve le juge d'Evry

Les mandats d’arrêts contre l’ancien Premier ministre Mame Madior Boye et Cie sont réactualisés par le président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh). Invité de Rfi, hier, pour faire le bilan des droits de l’Homme de l’année 2008, Me Sidiki Kaba estime que le fait qu’il n’y ait pas eu de justice dans l’affaire du Joola «pose problème».

Est-ce que la Cour pénale internationale a eu raison de cibler, cette année, Jean-Pierre Bemba et Omar El-Béchir ?
Mais, ça a été la bonne nouvelle de l’année, parce que c’était des décisions qui étaient attendues depuis des années et provoquent comme un tremblement de terre aux yeux de tous les dirigeants qui ont des choses à se reprocher. Ceci dit, elle a bien fait de prendre cette décision.

Jean-Pierre Bemba était la proie la plus facile. Alors, est-ce pour autant le premier responsable de viols présumés de plus de 500 femmes Centrafricaines, en 2002 ? Il n’est pas le seul. Il va de soi que c’est parce qu’il était en Europe qu’il était facile de mettre la main sur lui. Il est apparu comme étant le maillon faible, mais je pense qu’il y a beaucoup de ses tortionnaires qui sont dans la boue. Il va de soi qu’un procès n’est équitable que si les autres seront attraits à côté de Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale.

Et, aujourd’hui, l’ancien Président Patassé circule librement entre Bangui et Lomé. Il n’est l’objet d’aucune poursuite de la part de la Cour. Qu’en pensez-vous ?
Il va de soi que Bozizé et Patassé seront tous amenés à s’expliquer même sil faut rappeler que c’est Bozizé qui a saisi la cour pénale internationale.

Alors, quelle est la crédibilité de la Cour pénale, si elle ne poursuit que les gens qui sont faciles à attraper, et pas les autres ?
Eh bien, je pense qu’il faudrait d’abord qu’elle commence par quelque chose - elle le fait - mais elle gagnera sa crédibilité lorsqu’elle ne laissera pas l’impression qu’il y a une justice à la carte, une justice à géométrie variable, qui veut s’appliquer aux plus faibles, consacrant ainsi la raison du plus fort.
On sait que la Cour pénale internationale n’est pas reconnue par les Etats-Unis.

Est-ce qu’en engageant des poursuites contre Omar El Béchir qui est justement l’une des bêtes noires des Américains, la Cour n’essaie pas de séduire la Maison blanche ?
Oui, c’est un aspect, mais la Cour, en suivant Béchir, bien évidemment même s’il est la bête noire des Etats-Unis, il y a une logique aussi.

C’est qu’au Darfour, depuis bientôt quatre ans, nous avons assisté à des crimes insoutenables. Doit-on regarder tout ça et ne pas réagir ?
Alors, il n’y a pas que la Justice internationale qui soulève la polémique en Afrique, il y a aussi la Justice française qui a lancé des mandats d’arrêts contre des personnalités sénégalaises impliquées dans le naufrage du Joola.

Qu’est-ce que vous en pensez ? 
Pour Le Joola au Sénégal, bien évidemment, tout le monde est étonné qu’il y ait près de 2 000 morts et qu’il y ait classement sans suite ; que des personnes ne soient pas poursuivies. La Justice sénégalaise aurait dû aller jusqu’au bout, faire ses investigations et à ce moment il y aurait eu un acte de justice. Mais, le fait qu’il n’y en ait pas, c’est ça qui pose problème. Et, c’est en cela que des victimes ont estimé qu’il faut saisir la Justice française pour que justice leur soit rendue. C’est une démarche logique et compréhensible parce qu’elle permettra d’établir réellement les faits et les responsabilités de chacun.
Et c’est le même cas en ce qui concerne Rose Kabuye Ndlr : chef du protocole du Président Paul Kagamé du Rwanda) pour savoir si elle est effectivement responsable dans cet attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au Président Habyarimana.

Voulez-vous dire qu’il n’y aurait pas l’affaire Rose Kabuye aujourd’hui à Paris, si la Justice rwandaise avait fait son travail ?
A mon avis, c’est ça le vrai problème. Lorsque le Conseil de sécurité a eu à établir le Tribunal international pour le Rwanda, le mandat qui lui est donné, c’est d’investiguer sur les crimes qui ont été commis du 1er janvier au 31 décembre 1994 mais, les autorités rwandaises n’ont jamais voulu que l’on parlât du 6 avril qui fait partie de l’année et qui fait partie du mandat qui est donné au tribunal.
Je pense qu’on ne doit pas seulement parler du génocide, mais aussi  des crimes de guerre - la justice est un tout - et il ne faudrait pas la saucissonner, sinon elle devient ce qu’on appelle une justice à la carte.

Beaucoup de gens disent : «Mais pourquoi la justice ne poursuit-elle que des Africains ?»
Oui, il ne doit pas en être ainsi. Cette perception doit être rectifiée ; elle doit avoir une vocation universelle sans qu’on pense qu’il y a une forme d’impérialisme judicaire; sans qu’on sente qu’il y a deux poids deux mesures. Nous exhortons la Cour à continuer ses investigations, parce que les prochaines situations, c’est la Colombie, c’est la Géorgie, c’est l’Afghanistan.

Est-ce que derrière le mot Justice internationale, il n’y a pas en réalité une Justice de blancs ?
Il faudrait qu’il n’en soit pas ainsi. Il faudrait que cette justice ait une véritable vocation universelle. C’est en cela qu’il serait important que le statut de la Communauté internationale soit ratifié par les Etats-Unis, la Russie, la Chine, Israël. Il ne faudrait pas aussi que le sentiment soit donné que lorsqu’il s’agira d’arrêter un Américain et de le juger en Afrique, au Sénégal ou ailleurs, que cela paraisse quelque chose d’impossible en réalité.

Quelle est l’affaire sur laquelle vous estimez qu’un homme politique du Nord mériterait d’être jugé par la Cour ?
Ben, je pense qu’on avait, nous, commencé par Donald Rumsfeld, qui était l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense du gouvernement Bush, qui était donc directement impliqué dans la guerre que nous avons estimée illégale et illégitime en Irak, parce que hors la volonté du Conseil de sécurité. Nous l’avons fait en France et Donald Rumsfeld a dû son salut par le fait qu’il s’est caché dans son ambassade et il a rejoint l’ambassade en étant couché dans la voiture sans qu’on le voie et il a pu quitter la France. Ce qui voudrait dire que la justice l’a effrayé et, lui, comme d’autres qui sont impliqués dans des crimes rendront compte.
Nul ne doit échapper à la justice. Bien évidemment on dira que cela relève de l’utopie. La Cour pénale est une utopie. Depuis la nuit des temps, c’est la première fois qu’il y a une Cour pénale internationale permanente, qui a été instituée et qu’on en arrivera à cette justice universelle.