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ANALPHABÉTISME, IGNORANCE, COUTUMES... Les droits de l’Homme à l’épreuve de nos réalités

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ANALPHABÉTISME, IGNORANCE, COUTUMES... Les droits de l’Homme à l’épreuve de nos réalités

La communauté internationale a célébré hier le 100e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des peuples. Au Sénégal, des conventions, des déclarations et des lois ont été adoptées, conformément à l’esprit de ces droits. Mais leur application fait défaut. Cette situation serait-elle liée à l’inaccessibilité des textes pour les populations qui sont en majorité analphabètes ? N’est-elle pas due à une confrontation entre traditions et modernisme ? Existe-t-il réellement une véritable politique de vulgarisation des politiques relatives aux droits humains ?

Un siècle après leur proclamation, les droits humains ressemblent toujours à des hiéroglyphes pour certains. D’autres connaissent leurs droits, mais butent, dans leur jouissance, à des considérations d’ordre coutumier, religieux, social, etc. « On n’intériorise pas les droits de l’Homme. Ce n’est pas encore ancré dans nos mœurs et dans nos habitudes », constate tristement un étudiant qui a préféré garder l’anonymat. Celui-ci défend que peu de Sénégalais connaissent leurs droits et les incorporent.

Pour Boubacar Baldé, étudiant au département d’anglais de l’Ucad, cette situation est liée à l’analphabétisme. « Plus de la moitié de la population sénégalaise n’est pas instruite. Alors, comment voulez-vous qu’ils sachent leurs droits », s’interroge-t-il. Celui-ci a toutefois déploré le fait que certains connaissent leurs droits mais n’osent pas les revendiquer. M. Baldé estime que si véritablement on veut faire savoir aux citoyens leurs droits, on doit commencer par combattre l’analphabétisme et l’ignorance. « Ce sont les freins à la connaissance des droits de l’Homme », a-t-il constaté avec amertume. Aliou Diallo, étudiant en architecture, indique que même si les gens connaissent leurs droits, on a tendance à constater que les traditions et coutumes l’emportent sur ce qu’on considère comme des mœurs importées d’Occident. Prenant l’exemple du droit au divertissement, il précise que, ailleurs, dès l’âge de 18 ans, les jeunes sont « responsabilisés ». « C’est tout à fait le contraire chez nous », se désole-t-il. M. Diallo est d’avis que c’est la famille et la société qui violent les droits des individus. « Chaque société a ses propres réalités », philosophe-t-il, l’air jovial.

M. Diallo souligne par ailleurs que tout le monde n’a pas accès à l’éducation. A son avis, plusieurs facteurs pourraient expliquer cette situation : un manque de moyens des parents d’élèves et une réticence de certains pères de famille qui ne croient pas à l’éducation scolaire.

Yague Touré pense que le principal responsable de cette situation est l’Etat. Car, dit-il, « ce sont les pouvoirs publics qui doivent construire des écoles dans les localités les plus reculées ». Le plus souvent certains pères de famille ne prennent pas le risque d’envoyer leurs enfants à l’école dans des villages distants des leurs de kilomètres, poursuit-il. « Ils préfèrent que leur progéniture aille faire le commerce, paître leurs troupeaux et cultiver leurs champs ». Pape Clément Assine, handicapé, déplore, quant à lui, le manque de politique « cohérente » et « concrète » envers les personnes handicapées. Parfois, dit-il avec une dose d’émotion, « nous sommes victimes d’une discrimination pour exercer certains types de travail ». « Nous sommes abandonnés à nous-mêmes », ajoute-t-il.

« Nous connaissons nos droits, mais on nous en prive »

Khadija Diallo, étudiante en sociologie, soutient que certaines filles connaissent leurs doits mais c’est l’application qui leur fait défaut. « Nous connaissons nos droits, mais on nous en prive », déclare-t-elle avec amertume. Elle poursuit : « chaque personne est le produit d’une culture. On ne peut pas y échapper ».

Concernant les mariages précoces, elle est la seule qui a pu échapper à cette pratique dans sa famille. « Toutes mes sœurs sont données en mariage à l’âge de 15 ans », nous confie-t-elle. Khadija Diallo reste toutefois optimiste. Elle pense qu’une révolution va s’opérer dans ce sens à l’avenir : « on est obligé de s’adapter aux nouvelles règles de la Mondialisation. » Aliou Tine, président de la Rencontre africaine de défense des droits de l’Homme (Raddho), souligne que son organisation, dans le but de sensibiliser les populations sur les droits humains, a misé sur l’éducation et la formation. Les principaux bénéficiaires de cet enseignement restent la Police, la Gendarmerie et les gardiens de prison. Me Assane Dioma Ndiaye, président de l’Organisation nationale des droits de l’Homme (Ondh), reconnaît que le problème de la connaissance et de la sensibilisation aux droits humains se pose avec acuité chez les populations. C’est pour cela que l’organisme qu’il dirige a entrepris une politique de décentralisation, pour se rapprocher des populations, des cibles vulnérables comme les enfants, les femmes, les détenus, à travers l’implantation des ligues régionales, dans tout le pays.

La langue demeure un handicap pour la vulgarisation des textes et conventions sur les droits de l’Homme. C’est le constat dégagé par les responsables de ces organismes qui s’activent dans ce sens. Le fait que toutes les conventions relatives aux droits de l’Homme soient rédigées en français constitue un obstacle, estime Me Ndiaye.

Les canaux les plus appropriés pour « permettre à ces populations de connaître l’étendue de leurs droits, de leurs devoirs et surtout de pouvoir les exercer » sont utilisés.

« Notre préoccupation essentielle, c’est que ces droits, au-delà de la formulation et de la proclamation, soient effectifs dans la vie quotidienne de tous les jours. Il ne s’agit pas de faire l’apologie des droits de l’Homme mais encore il faudrait permettre leur exercice », soutient-il. Pour Aliou Tine, c’est l’ignorance qui constitue un handicap à la vulgarisation des droits humains.

Aucune antinomie

Le président de l’Ondh défend qu’il n’y a pas « d’antinomie ni de contradiction » entre les droits de l’Homme et nos coutumes et civilisations. Encore moins avec la religion. Au demeurant, selon lui, toutes les religions ont cherché à protéger l’Homme, à préserver la dignité de l’Homme. « L’Homme est au centre, il est au début et à la fin de tout développement. C’est un problème de perception idéologique », constate le président de l’Ondh. A son avis, cette situation est due au fait que les premiers dirigeants africains pensaient à la reconstitution, à la fortification de l’identité nationale, des espaces géographiques, à des questions sécuritaires liées à la préservation du pouvoir plutôt qu’à une conscientisation des populations vers ce qui est le plus déterminant en matière de développement, c’est-à-dire l’Homme.

Il ajoute : « les gens ont compris avec toutes les guerres que nous avons connues à savoir ethniques et fratricides ; la plupart de ces conflits n’ont été que la résultante de la répression, de l’absence de la liberté d’expression, du monopartisme et du bâillonnement des libertés ». Il défend que la trilogie ou l’interdépendance droits de l’Homme-paix-développement est aujourd’hui une donnée incontournable. « On doit se convaincre que sans respect des droits de l’Homme, il ne peut y avoir de paix et sans paix, il ne peut y avoir de développement », soutient-il.

es populations commencent à prendre conscience de leurs droits. Pour les organisations de défense des droits humains, l’impact de leurs interventions reste visible. « Il fut des temps, parler des droits de l’Homme ressemblait plutôt à un luxe. On nous assimilait à des gens qui étaient manipulés par les Occidentaux et qui faisaient surtout l’affaire du néocolonialisme. On pensait que les droits de l’Homme n’étaient pas une question d’Africains et qu’il fallait penser à la nourriture et aux questions primaires », se rappelle tristement Me Assane Dioma Ndiaye, président de l’Ondh.

Il constate maintenant avec les radios et les sensibilisations notamment sur les questions cruciales comme les longues détentions, les tortures et les sévices que subissent certains citoyens, les gens commencent à savoir que les droits de l’Homme sont devenus incontournables dans la vie quotidienne.

« Nous constatons une adhésion des populations à la question des droits de l’Homme. C’est un réconfort pour nous que nous constatons que notre travail a payé et que, de plus en plus, les gens posent la revendication du respect des droits humains, c’est-à-dire de l’égalité devant la loi, de l’accès à la justice, de l’effectivité de l’Etat de droit et même la question des droits économiques et sociaux qui est devenue au centre des préoccupations des populations », souligne Me Ndiaye.

Le président de la Raddho, Aliou Tine, a fait la même remarque. Il estime qu’ils ont contribué à la « socialisation » des droits de l’Homme et à leur « institutionnalisation ».

Anomalie

Les droits de l’Homme ne sont guère enseignés dans les écoles publiques voire les universités hormis l’Institut des droits de l’Homme et la Faculté de droit de l’Ucad. « C’est une anomalie qu’il faudrait corriger rapidement », déclare Me Ndiaye. Celui-ci indique que les gouvernants considèrent que la science des droits de l’Homme est presque nouvelle. « Les droits de l’Homme n’ont jamais été considérés de façon entière comme une branche du droit », dit-il.

Selon lui, c’est cela qui explique le fait qu’on n’a jamais intégré dans certains systèmes éducatifs les droits de l’Homme comme matière à prendre au même titre que les autres sciences sociales comme la philosophie, la sociologie, etc. Il précise que dans certains pays anglophones comme l’Afrique du Sud, on apprend les droits de l’Homme dès l’école primaire. Me Ndiaye souligne que seule l’intégration de la science des droits de l’Homme dès l’enseignement primaire et à tous les niveaux peut combler ce vide. « Nous voulons que cette science soit prise comme une matière à enseigner aux enfants comme les autres ».



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