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Barça ou ''barzakh'' (Barcelone ou l'enfer), le leitmotiv des partants de Thiaroye-sur-Mer

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Barça ou ''barzakh'' (Barcelone ou l'enfer), le leitmotiv des partants de Thiaroye-sur-Mer
Dakar, 23 mai (APS) - Thiaroye-sur-Mer, vieux traditionnel situé dans la grande banlieue dakaroise. Bercé par la fraîcheur des vagues de l'océan Atlantique, ce gros bourg peuplé de prés de 60.000 habitants, pour la plupart des pêcheurs, baigne en ce vendredi aprés-midi dans une pesante torpeur.

Pas de cris d'enfants en train de jouer, pas de sonorités émanant de l'animation d'une cérémonie familiale, pas de rires : on entent plutôt un léger murmure qui sourd d'une place du village où comme d'habitude se sont réunis les chefs de familles, durant les moments de désoeuvrement. Ces temps-ci, ils se sont beaucoup retrouvés pour parler de la rareté du poisson, des problèmes de la pêche qui nourrit de moins en moins son homme.

Mais aujourd'hui, ils sont préoccupés par le départ en cascade vers l'Espagne de leurs progénitures, à bord de pirogues que naguère ils empruntaient pour chercher du poisson, le véritable gagne-pain que les habitants de Thiaroye-sur-mer ont connu jusqu'ici et qu'ils se sont évertués à se transmettre de père et fils.

Entouré de plusieurs chefs de famille, E.M.Niang, un des notables de Thiaroye-sur-Mer, confirme que les populations sont découragées de ce que la pêche n'apporte ''plus rien'' aux pêcheurs traditionnels qui n'ont que leurs filets et matériels rudimentaires à opposer aux instruments modernes des grands bateaux occidentaux et asiatiques qui ''raflent tout'' et ne laissent derrière eux que ''des déchets''.

''Mes enfants, raconte-t-il, me disent : +papa, nous n'avons pas de travail, la pêche ne nous rapporte plus rien. Il n'y a pas d'usines ou l'on peut aller chercher un boulot; notre seule solution c'est d'aller à l'étranger pour voir le bout du tunnel+''.

La chaîne de profession de pêcheur de père en fils semble s'être ainsi brisée avec la rareté du poisson, d'où la résolution des jeunes de ne plus aller sous la mer mais de voguer au-dessus pour aller chercher le gagne-pain en Europe. Pour eux, l'Europe c'est d'abord l'Espagne ou plutôt Barcelone qu'ils désignent si familièrement ''Barça''.

L'envie, la force et la résolution d'aller en Catalogne sont telles que les jeunes de Thiaroye-sur-mer comparent ce voyage à bord de pirogues où ils sont entassés par dizaines, à un tout ou rien. Ce qui se résume ainsi dans leur langage de désespérés : ''Barça ou +barzakh+ (l'enfer)''.

A la question de savoir pourquoi lui et les autres notables du village ne retiennent pas leurs enfants qui semblent aller vers la mort certaine quand ils comptent atteindre l'Espagne à bord de frêles esquifs, E.M. Niang lance, la mort dans l'âme: ''comment voulez-vous, face à cette situation de dénuement total, que l'on retienne nos enfants? Ils sont adultes. J'ai, par exemple, des enfants qui se sont mariés et ont même 3 à 4 enfants avec leurs épouses. Ils doivent vivre et souhaitent ne plus dépendre des maigres sous que je gagne difficilement''.

Quand M. Niang tente de comprendre l'attitude des jeunes, ses voisins, le couple Fall, pleurent, eux, leur fils mort sur les côtes espagnoles. Inconsolable, le père, un ancien ouvrier à la retraite depuis 1987, dit ne plus pouvoir trouver le sommeil. Tant ses nuits sont hantées par le clapotis des vagues qui ont emporté son fils à quelques mètres de son rêve : l'Espagne. Les larmes aux yeux, la mère se souvient qu'avant de partir le fils lui disait : ''maman, il faut que je parte pour aider mon père, il est vieux et depuis 30 ans, c'est lui qui nous nourrit et subvient à nos besoins. Ça, je ne peux plus l'accepter''.

A en croire plusieurs témoignages, c'est parce qu'ils ne peuvent plus supporter de voir leur père rentrer à la maison, le soir, sans le sou pour assurer la dépense quotidienne que les jeunes qui ne désirent pas vivre le même calvaire, une fois majeurs, se sont lancés dans les embarcations. L'idéal, soulignent certains sans trop y croire, aurait été de trouver sur place d'autres occupations que la pêche, mais hélas ils ne voient rien venir.

''Nous voulons bien rester et travailler pour notre pays, mais on a aucune opportunité. Je suis pêcheur depuis ma naissance et je ne connais que cela, mais voilà, aujourd'hui, la pêche ne nous apporte plus rien'', se désole M. N, un des rescapés des 81 jeunes rapatriés des côtes marocaines par les autorités sénégalaises.

''Les autorités, souligne-t-il, doivent s'atteler à créer des emplois pour la réinsertion des jeunes qui n'ont pas de formation, avec des projets fiables qui leur permettront de trouver des solutions à leurs problèmes de survie''.

Bizarrement, M.N, 35 ans, marié et père de six enfants, semble parler pour les autres. En effet, pour lui, sa religion est faite: il est à l'affût de la première occasion propice pour reprendre le chemin de l'émigration, malgré les épreuves qu'il a déjà endurées.

Pourtant, tous ne partent pas ou...plus. Revenu à la maison, aprés plusieurs années au Canada et aux Etats-Unis, T. N, responsable du comité des jeunes de Thiaroye-sur-Mer, confesse : ''j'ai pris l'option de retourner au bercail et d'investir dans mon pays, mais c'est dommage, je rencontre toutes sortes de tracasseries pour gérer mes affaires''.

Instruits par un telle expériences, les jeunes de Thiaroye semblent avoir pris leur résolution et n'ont aujourd'hui qu'un seul mot à la bouche : partir pour l'Europe envers et contre tout afin d'être quelqu'un d'utile (''tekki'') à ses parents.


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