Bara Tall de nouveau dans le collimateur de la Justice

Cet homme qui a bâti un groupe de dimension internationale qui rivalise parmi les meilleurs en Afrique, qui emploie 600 personnes et distribue quelque trois milliards de francs cfa de masse salariale par année, qui a recruté de brillants et ingénieux polytechniciens comme lui et paye régulièrement ses impôts, cet homme voit de nouveau la Justice s’intéresser à lui. Des rumeurs inquiétantes font en effet état de sa prochaine inculpation dans le cadre du serpent de mer que constitue l’affaire dite des Chantiers de Thiès. Il s’agit de ce programme intitulé Thiès Indépendance 2004 et qui devait voir la ville aux deux gares autrement appelée capitale du Rail, dotée d’infrastructures à même d’en faire une cité moderne. En tout, 43 milliards de francs cfa devaient être dépensés pour donner un nouveau visage à cette ville qui aurait dû devenir - et qui est devenue de fait -, un véritable bijou à l’issue des travaux financés sur le budget de l’Etat. Du moins après coup. Car aucun financement n’ayant été inscrit au budget de l’Etat pour cette année-là, il fut demandé aux entreprises sélectionnées de pré financer leurs travaux. Patriote, n’écoutant que son cœur, croyant aux promesses des autorités et désireux de s’investir personnellement pour le développement de sa ville, M. Bara Tall n’hésita pas. Il s’endetta auprès de sa banque, la Cbao, et préfinança les travaux pour tous les lots qui lui avaient été attribués.

Mieux, d’autres entreprises adjudicataires traînant les pieds et renâclant à s’engager tant que l’Etat ne leur versera pas d’avance de démarrage, M. Tall récupéra leurs lots et les réalisa. Et pour bâtir la ville nouvelle, jamais les maçons de M. Tall ne montèrent plus gaiement sur leurs échelles et ne pétrirent plus dur ciment, pour paraphraser le poème " Bâtissons des écoles ". Travaillant nuit et jour, sans relâche, les équipes de Jean Lefebvre Sénégal, l’entreprise de M. Tall devenue aujourd’hui Tallix, firent tant et si bien qu’au bout du compte, les travaux dont on craignait qu’ils ne puissent pas se terminer à temps, furent livrés dans les délais, c’est-à-dire avant la fête de l’Indépendance de l’année 2004. Bara Tall avait relevé le défi et remporté son pari. Il s’attendait donc à être décoré pour services rendus à la Nation. Ou, à défaut, de rentrer dans ses fonds. C’était mal connaître le Sénégal puisqu’en lieu et place de félicitations, il eut droit à des tracasseries judiciaires sur fond d’accusations de surfacturations. Des " experts " en bâtiments et autres évaluateurs à la science douteuse, commis pour expertiser ces travaux, conclurent au fait que, sur les 40 milliards de francs effectivement dépensés dans le cadre de l’exécution de ces travaux (sur 43 milliards prévus), les 17 milliards étaient constitués de surfacturations ! Or, quiconque s’est rendu à Thiès, a vu l’ampleur et la qualité des travaux qui y ont été réalisés, en particulier la magnifique corniche, sait que beaucoup d’argent y a été dépensé. A titre d’exemple, toute la corniche de Thiès, qui est neuve, a coûté 6,8 milliards de francs. Sur lesquels on estime qu’il y a eu trois milliards de francs de surfacturations !

Or, pour les travaux qui sont menés actuellement sur la Corniche de Dakar, rien que le tronçon ministère de l’Equipement - Atépa Technologies va coûter 22 milliards de francs. Et le tronçon Atépa Mosquée de la Divinité à Ouakam, 16 milliards. Soit 38 milliards pour 15 kilomètres environ de corniche. Et encore, sur une bonne partie, il s’agira uniquement d’élargissement. Des travaux qui coûteront donc plus cher au kilomètre que la corniche de Thiès. Qui veut noyer son chien l’accusant de rage, il fallait absolument trouver un moyen de jeter en prison l’ancien Premier ministre, et ancien ministre d’Etat, directeur de cabinet du président de la République, M. Idrissa Seck, par ailleurs maire de Thiès. Lequel avait commis le crime de lèse-majesté de vouloir, comme le vizir Iznogoud, être Calife à la place du Calife Wade. Un crime, un casus belli. Pour cette outrecuidance, les faucons qui entourent le Président avaient juré de le mettre en prison. Ce qui fut fait au terme d’une procédure qui restera comme l’un des hauts faits de notre glorieuse justice. Et de notre Assemblée nationale qui vota la mise en accusation de l’ancien Premier ministre. Lequel fut embastillé pendant sept longs mois avant d’être libéré au terme de marchandages effectués avec la présidence de la République. Tout le monde avait cru comprendre qu’en échange d’une renonciation par M. Idrissa Seck à son idée de se présenter à l’élection présidentielle contre son ex-père spirituel, et de la restitution d’une partie du magot à l’origine de leur brouille, le père, attendri, passerait l’éponge. Et M. Bara Tall dans tout cela ? Eh bien, c’était le chef d’orchestre de cette entreprise de surfacturation dont le principal bénéficiaire n’était autre que son " ami, " l’ancien Premier ministre, M. Idrissa Seck. Un " ami " dont il était en quelque sorte le collecteur de fonds. C’était du moins le scénario concocté par les faucons stratèges du Palais. Et pendant que M. Idrissa Seck croupissait en prison, M. Bara Tall subissait toutes sortes de harcèlements, notamment policier et financier. Mais à l’issue du " deal " entre le Président et son ancien Premier ministre, les harcèlements cessèrent brusquement. Et puis, plusieurs mois plus tard, M. Idrissa Seck n’ayant pas démordu de sa décision de se porter candidat contre le Vieux, avec la ferme volonté de lui faire mordre la poussière, et son parti Reewmi étant devenu l’ennemi public numéro un, il fallait de nouveau trouver les moyens de le faire retourner en prison. Pour cela, l’ancien Premier ministre ayant obtenu un non-lieu partiel pour la plupart des délits retenus à son encontre, il fallait donc inculper les entrepreneurs, du moins le principal parmi eux, pour surfacturation ou quelque chose du genre. Et inculper, voire emprisonner, M. Idrissa Seck pour complicité et le tour est joué ! Le dossier des chantiers de Thiès, qui n’était pas bien loin, a donc été rouvert. L’objectif est d’inculper M. Tall pour pouvoir atteindre M. Seck. Lequel sera forcément convaincu de " complicité ". La fin justifie les moyens et à ce stade de la lutte pour le contrôle du pouvoir, tous les moyens sont bons pour éliminer de la course un concurrent d’autant plus redoutable qu’il recrute dans la maison bleue même. Autrement dit, un " traître " pour lequel on ne saurait avoir aucune pitié. Et comme on ne peut pas faire d’omelette sans casser d’œuf, eh bien, l’œuf Bara Tall sera cassé, sans autre forme de procès ! C’est cette logique singulière qui est en train d’être déroulée sous nos yeux, si l’opinion nationale et internationale ne s’y opposent pas, bien sûr...