Bassirou Diagne Marième Diop, grand Serigne de Dakar: « Beaucoup de chefs d’Etats sont les bras armés de l’Occident »

« Khadhafi est un Lébou  " xoncc boppë " »

À entendre s’exprimer le grand Serigne de Dakar, Bassirou Diagne Marième Diop, on a l’impression d’avoir en face de soi un révolutionnaire des années des indépendances. En effet, non seulement il tient un discours anti-occidental, mais il ne fait pas dans la dentelle. C’est peut-être pour cela qu’il voue une grande admiration au colonel Mu’Ammar Khadhafi, hôte du Sénégal aujourd’hui. Bassirou Diagne Marième Diop, qui voit en le guide de la révolution libyenne un espoir pour la libération de l’Afrique (parce que, selon lui, le continent est toujours l’otage des Occidentaux) appelle à une mobilisation nationale pour l’accueillir. Dans cet entretien, le Grand Serigne de Dakar s’étale sur ses convictions par rapport à la souveraineté des pays africains.

Le guide libyen Mu’ammar Al Khadhafi, est attendu aujourd’hui à Dakar ; en quoi cette visite est-elle opportune ?
Khadhafi est un grand homme d’Etat qui, malgré sa richesse, s’est toujours battu pour la paix en Afrique. Quand un tel homme vient au Sénégal, il doit être très bien accueilli. Au-delà de cet aspect, j’ai des relations personnelles avec lui. Il n’est certes pas mon ami, mais j’ai pour lui une considération qui s’est développée à travers les assemblées qu’il organisait ; et où il parlait de ses vœux pour l’Afrique. Je me souviens que, lors de la dernière rencontre qu’il a organisée, j’ai été décoré de la plus haute distinction de son pays, en compagnie des présidents Mussévéni de l’Ouganda, de feu Maïnassara du Niger et Idriss Déby du Tchad. Ce qui me plaît en lui, c’est qu’à chaque fois qu’il parle de l’Afrique, on ne peut que le suivre dans ses idées, car il voue un amour fou à notre continent. À la rencontre de Syrte, il avait fait graver dans toute la salle ce slogan : « l’Afrique aux Africains ». Il s’est expliqué à cette occasion, affirmant que l’Afrique dispose d’énormément de matières premières, de pétrole, de gaz et de ressources humaines, pour que ses populations puissent vivre à l’aise. Or, il constate que, malheureusement, notre richesse tombe presque entièrement entre les mains des anciens colonisateurs. C’est vrai. Parce que, voilà 46 ans que nous sommes indépendants, mais nous ne maîtrisons pas notre économie, pas même notre monnaie. D’ailleurs, beaucoup de cadres sénégalais ne savent pas comment fonctionne la Bceao. Cette vérité se confirme dans tous les domaines. Les industries appartiennent aux occidentaux. Cette domination est plus visible dans le tourisme, qui rapporte des milliards, et où plus de 90 % des hôtels appartiennent aux occidentaux. C’est cette situation de misère absolue en Afrique, que Khadhafi dénonce. La solution, pour lui, est l’Union africaine. C’est ainsi qu’il a d’abord commencé la lutte, seul. Une lutte qui lui a valu un isolement total décrété par les Occidentaux, en particulier les Américains. Il a été qualifié de terroriste, alors qu’il est un résistant. D’ailleurs, tous les résistants qui n’arrangent pas l’Occident sont qualifiés de terroristes. Khaddafi est un grand homme d’Etat. Il a survécu à l’embargo, à plus de 25 coups d’Etats qui ont foiré ; et fait l’objet de toutes sortes d’accusations. Mais il n’a jamais varié dans sa conviction que l’Afrique doit être unie. C’est ainsi qu’il s’est toujours efforcé de regrouper les Africains. Mais jusqu’à présent, l’Afrique n’est pas encore unie. Un vécu normal, parce que l’Occident, qui nous avait colonisé, est toujours présent et ne veut pas quitter le continent. Car ses fils contrôlent toujours l’économie. Ils ont comme leviers beaucoup de chefs d’Etats, qui sont leurs bras armés.

Et le président Abdoulaye Wade ?
Depuis qu’il est au pouvoir, il revendique son panafricanisme. Il a même créé un hymne pour l’Afrique et édifié le monument de la Renaissance africaine. Donc, s’il s’allie à Khaddhafi qui se bat pour une union véritable de l’Afrique, ils pourront ensemble accomplir cette tâche. D’autant que Abdoulaye Wade est bien connu sur le plan international ; et c’est quelqu’un qui défend l’Afrique partout. Mon vœu est qu’ensemble, ils puissent faire gagner l’Afrique.

Comme vous vouez une grande admiration à Khadhafi, avez-vous décidé, en accord avec la collectivité lébou, de lui réserver un accueil particulier ?
Pour nous, Kadhafi est un Lébou, il l’a même dit et il a raison. Car, aussi loin que l’on remonte à travers l’Histoire, depuis l’Egypte jusqu’au Maghreb en passant par la Mauritanie, il ressort que Khadhafi est un Lébou « xoncc boppë » (blanc). D’ailleurs, il dispose même d’un véhicule qu’il a baptisé « Lébou » Il a aussi déclaré qu’il a des cousins Toucouleurs. Tout cela prouve qu’il se considère comme un Africain à part entière. D’ailleurs, pour vous confirmer que c’est la vérité, en consultant les archives de la Mauritanie, il est écrit que les premiers habitants de cette région étaient des Lébous. C’est pourquoi l’on retrouve chez les Maures des noms comme Dieng, Diagne etc… alors que chez les Maures de race blanche, ces noms n’existent pas. Mieux, ce sont les Lébous qui ont fondé le village de Ndioum au nord du Sénégal et la ville de Louga, avant de terminer leur exode à l’extrême ouest du continent. Donc, tous les Lébous doivent l’accueillir. Seulement, la sécurité est très stricte chez le guide de la révolution libyenne, parce que depuis longtemps, l’on a failli attenter à sa vie. C’est certainement à cause de cette situation que ses déplacements sont souvent entre les mains de sa propre sécurité et non celle de l’Etat hôte. D’ailleurs, je me rappelle qu’une fois, ses invités ont été arrêtés net parce qu’un religieux, qui était de la délégation, tenait une canne avec du fer au bout. Il est tellement organisé que sa garde rapprochée, composée de femmes, n’écoute même pas un ministre. Si elles disent non, c’est non, et personne n’y peut rien. Néanmoins, nous sommes à l’écoute. Si on nous associe à l’accueil, nous y serons. La deuxième raison pour laquelle il mérite un accueil exceptionnel, c’est que Khaddafi est quelqu’un qui œuvre pour l’Islam. Il a installé dans son pays des imprimeries qui ne font qu’éditer le Coran en plusieurs langues, avant de le distribuer gratuitement. Il est aussi un musulman sincère. La preuve, il a présidé la prière du vendredi à Djaména, en présence de Thierno Mountaga Tall, Serigne Mansour Sy, entre autres chefs religieux. Il a aussi fait une déclaration lors de notre rencontre à Syrte. En nous remerciant, il avait dit ceci : « Je vous remercie d’être restés avec moi jusqu’à 03 heures matin. C’est poussés par votre foi en l’Islam et par votre dignité que vous êtes restés jusqu’à cette heure. Au moment où nous parlons, beaucoup de princes arabes sont en train de jouer aux cartes, ou de se soûler ». Voilà un homme qui a du respect pour l’Afrique et les Africains. En plus, un frère de Cheikh Omar Foutiyou Tall, - du nom de Alioune Tall - qui avait accompagné ce dernier à la Mecque, est décédé en Libye au retour du pèlerinage, dans une ville appelée Tigri. Évidemment, nous sommes dans un pays où tout est politisé. Mais, je souhaite que tous les partis politiques l’accueillent, parce qu’il est un panafricaniste convaincu. Encore qu’il a de bons rapports avec la quasi-totalité des chefs de partis. Il est, certes, l’invité de Wade, mais il est aussi et surtout l’hôte de tous les Sénégalais.

Qu’est-ce que le grand Serigne de Dakar préconise pour que cette Union africaine, qui semble être une perspective fuyante, soit effective ?
La plupart de nos chefs d’Etats ne sont pas libres, car l’Union africaine ne les arrange pas. Il y a une mauvaise volonté politique, d’autant plus que l’union est bien possible. Mais, si elle se réalise, elle va détruire des pouvoirs déjà établis. Néanmoins, j’ai entendu le président Wade déclarer qu’il est prêt à descendre de son piédestal pour devenir gouverneur d’une région de l’Afrique, pourvu que le continent soit uni. En outre, l’Afrique appartient aux Africains. Donc, il faut commencer par les chefs traditionnels, en les impliquant, parce qu’ils ont la sagesse. Ils consolident la culture, et ils sont écoutés. Aujourd’hui, si les chefs traditionnels, les élèves, les femmes et les syndicats sont sincères et s’unissent, les chefs d’Etats seraient obligés de les suivre dans leurs volontés. J’avais d’ailleurs fait la proposition à Khadhafi, mais je n’ai pas pu le voir. Parce que c’était juste après l’alternance. Je voulais l’instauration d’un Conseil supérieur des chefs traditionnels du continent. Ce Conseil supérieur devrait aussi être instauré au niveau des femmes et des jeunes. Tout cet ensemble aura comme objectif la libération de l’Afrique. Mais malheureusement, je suis allé en Libye après l’alternance, qui a coïncidé à un moment sombre de l’histoire du Sénégal et une prise d’otages, durant laquelle les bons offices de Khadhafi étaient sollicités. C’est pourquoi je ne l’ai pas vu. Je profite de l’occasion pour lancer un appel aux jeunes. Car, ce qui leur arrive est la résultante de la mauvaise gestion du pays. L’argent n’est pas disponible, malgré la volonté des autorités. Ce qui doit intéresser les élèves, c’est plutôt la libération de l’Afrique.

Quel devrait être alors le rôle des chefs traditionnels pour concrétiser l’Union africaine ?
Dans un premier temps, les chefs traditionnels doivent s’unir ; ensuite, inculquer cette culture aux jeunes et aux Etats. Puis les impliquer dans la résolution des conflits. Imaginez que le Grand Serigne de Dakar, le Moro Naba, le sultan du Sokoto, le roi du Bénin, les chefs Baoulé soient tous saisis pour aider à la résolution d’un conflit comme celui qui se passe en Côte d’Ivoire. Je vous assure que ce problème allait être résolu depuis très longtemps. Ces conflits sont africains et doivent être réglés à l’africaine. Mais, les chefs d’Etats pensent que cela doit être résolu avec l’Onu ou avec les Français. Résultat, le problème ne fait que se compliquer. C’est en cela que les sages peuvent aider les chefs d’Etats qui veulent cette Union africaine. Mais tant que nos pays croient qu’avec leurs populations qui ne dépassent pas 10 millions d’âmes, ils peuvent se développer seuls, la balkanisation de l’Afrique et sa pauvreté ne vont que perdurer. Pour rappel, l’Afrique occidentale française n’avait qu’un seul chef, qui était le gouverneur général, logé à l’actuel palais présidentiel du Sénégal. Mais, lorsque le général de Gaulle, en 1958, a accordé l’indépendance à la Guinée de Sekou Touré, il a balkanisé l’Afrique. La Mauritanie n’avait même pas d’édifice où installer ses élus. Le Sénégal leur avait prêté un bâtiment, qui se trouve dans la langue de Barbarie à Saint-Louis. D’ailleurs, lorsque des résistants comme Kwamé Nkruma, Cheikh Anta Diop, Lumumba, entre autres, se sont levés pour combattre la balkanisation, nos chefs d’Etats de l’époque - qui pourtant étaient de la gauche - ont été pris en otage. Il s’agissait de Léopold Sédar Senghor, Houphouët-Boigny etc.

46 ans maintenant que le Sénégal est indépendant, estimez-vous qu’il a conquis sa liberté ?
Depuis 46 ans que nous sommes là, le quatre avril se fête. C’est un jour d’espoir. Un jour où nous pensons que l’Occident va nous laisser ce qui nous appartient. Mais malheureusement, tel n’est pas le cas. Car, jusqu’à présent, les Blancs sont toujours présents. Ils sont présents partout, même au niveau de nos armées. Donc, ce que nous espérons ne s’est toujours pas produit. Pour dire la vérité, notre indépendance se limite seulement à notre hymne et à notre drapeau. Cela n’est pas spécifique au Sénégal, c’est valable pour toute l’Afrique. L’indépendance sera effective lorsque nous  utiliserons notre propre monnaie, et que nous aurons notre siège à l’Onu.