Atlantico : A l'heure où le taux de chômage atteint 10,4% et 24,5% parmi les jeunes, il semble que le statut de chômeur se soit banalisé et ne soit plus un synonyme de honte. Quelle est aujourd'hui la vision que portent les jeunes sur le chômage ?
Didier Demazière : C'est vrai que le chômage se banalise mais ce n'est pas spécifique aux jeunes. Le chômage est beaucoup moins associé au sentiment de honte ou à la dévalorisation de soi qu’auparavant. Maintenant, la manière dont les jeunes vivent le chômage dépend fortement de leur employabilité, de leur formation scolaire et des diplômes qu’ils ont ou qu’ils n’ont pas.
Chez les jeunes, il y a une polarisation très forte dans la manière de vivre le chômage : soit le chômage est comme une impasse, comme un signal de l’incapacité ou de l’inadéquation à s’insérer sur le marché du travail pour les moins diplômés, soit le chômage est comme une situation relativement banale dans le processus d’insertion professionnelle pour les plus diplômés. Le chômage apparaît donc comme étant la possibilité de prendre du temps pour choisir son emploi, son entreprise, son orientation sur le marché du travail.
Ce phénomène de banalisation du chômage s’explique par deux raisons principales.D’abord, par un élément historique qui est que, en France, le chômage est à un niveau assez élevé depuis une trentaine d'année donc ce n'est pas du tout une situation exceptionnelle et sa diffusion contribue beaucoup à sa banalisation. C’est très clair par exemple si on compare avec les années 1970 ou si on compare avec des pays comme le Japon où le chômage est plus récent. Le sentiment de honte y est très fort encore.Deuxième élément, plus les individus qui sont affectés par le chômage ont des responsabilités familiales et des charges familiales, plus ils vont avoir tendance à vivre le chômage comme étant potentiellement un drame alors que dans la période de la jeunesse le chômage est vécu comme un passage obligé ou une expérience non-traumatisante et non-dramatique, à la condition que le chômage ne dure pas bien sûr.
Le temps libre engendré par la perte d'un emploi est-il source de créativité et de rebond ? En quoi le chômage rend-il service à certains ?
Le temps libéré par l'absence d'activité professionnelle est vécu différemment selon les cas. Il est vécu soit comme un temps libre, c'est-à-dire vide de sens, sans occupation, un temps qui n’a pas de signification, soit comme un temps libéré c'est-à-dire la possibilité d'avoir du temps pour s'engager dans des activités qu'on n'a pas eu le temps de réaliser jusque-là. Il y a vraiment cette polarité entre temps libre et temps libéré. Cette polarité là est, chez les jeunes, très spécifique.
La période de la jeunesse est une période où le fait de tâtonner, le fait de se lancer dans certaines expériences ou activités avec une part de risque dans le sens où elles ne vont peut-être pas déboucher sur un emploi, est assez admis. Le chômage peut aussi être, du coup, un moment d'expérimentation et de construction de soi, pour ces jeunes.
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