Sur la grande avenue Blaise Diagne, à hauteur du Stade Iba Mar Diop, le regard de tout passant tourne inévitablement sur le spectacle aux allures de foire qui s’offre à lui : la vente de la potion magique qui guérit toutes sortes de... maladie. Des poudres de diverses couleurs emballées dans des sacs bleus entrouverts sont disposées sur les trottoirs. Vendeurs et acheteurs s’accordent sur un point : il ne s’agit pas de poudre de perlimpinpin mais, de véritables mixtures aux effets mystiques et thérapeutiques avérés.
Elias Cissé, un nigérien de 43 ans, se définit comme un expert en matière de fabrication et de vente de poudre magique. Ayant pignon sur rue au marché Tilène, Elias, comme nombre de ses compatriotes, s’active dans ce créneau qu’il juge très porteur au pays de la Téranga. A juger par la mine joviale avec laquelle il explique son travail, son commerce a de beaux jours devant lui d’autant plus le Sénégal est un pays où la superstition est ancrée malgré la forte présence des religions monothéistes. Vêtu d’un ensemble basin « Obasanjo », il explique d’une voix empreinte de passion, les vertus des produits qu’il vend : « chaque poudre a son efficacité, certaines sont utilisées par les commerçants pour avoir plus de clients que les concurrents. D’autres pour guérir certaines maladies. »
Sur la route qui s’étend vers la poste Médina, les vrombissements des cars rapides se mêlant aux klaxons des taxis et autres bruits des véhicules, offre un spectacle assourdissant. En dépit de ce tohu-bohu, les clients s’arrêtent devant ces drôles d’étals. Soit pour acheter la poudre qui va ferrer le bien-aimé, soit pour se procurer de quoi soigner une maladie dont le traitement effectué ailleurs, tarde encore à donner les résultats escomptés.
Sur la provenance de ces produits magiques, Ismaela Tchima, un vieux nigérien indique que ces talismans proviennent pour la plupart du Niger, un des pays de l’Afrique de l’Ouest réputé, selon lui, pour la sagesse de ses guérisseurs. « Ces poudre s’obtiennent par mélange de feuilles et d’écorces qu’on écrase à l’aide de pilon et mortier. Il y a un dosage à respecter et des formules à réciter durant leur préparation », explique-t-il, visiblement ravi de partager sa science avec des curieux.
Son neveu, Razack Morou, un jeune vendeur de 25 ans s’active à attacher avec du fil rouge les petits paquets contenant « le précieux produit » destiné à la vente en détail. Cette tâche anodine, Razack l’accomplit quotidiennement dans la mesure où ces produits se vendent comme de petits pains. Non loin de là, des peaux et crânes d’animaux sont exposés. « Les peaux de bêtes sont parfois recommandées aux clients par les marabouts pour faire des gris gris », explique Elias Cissé.
Nous n’avons pas attendu trop longtemps pour constater l’intérêt que les populations portent sur ces "produits miraculeux". Séance tenante, un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un polo de couleur noire et d’un jean s’arrête devant la marchandise et passe sa commande. Aussitôt, Elias se lève, déchire un bout de papier sur le quel il dépose deux cuillerées de poudres mélangées à une substance blanche. « J’ai bien fait le mélange, ce sera puissant », lance-t-il au client tout en lui remettant le petit paquet. Le bonhomme se précipite aussitôt dans un car rapide, sans doute gêné. La scène se répète quelques minutes plus tard avec une dame d’âge mûr. Un gest multiplié à l’infini tout au long de notre présence sur les lieux.
Il ressort de ces échanges que les marchands prennent la peine de donner des conseils à leurs clients sur les modes d’utilisations des produits. « Le client en fait usage pendant son bain, en versant la poudre dans le seau d’eau avec lequel il se lave. Hormis le fait que le talisman permet d’attirer les clients vers les commerçants, il sert aussi à chasser les mauvais esprits et les mauvais sorts que les ennemis jettent. Ce produit joue donc le rôle de protecteur contre les mauvaises langues », raconte Elias Cissé.
Non loin de chez Elias, un homme d’environ cinquante ans, habillé d’un ensemble blanc est considéré comme le chef des vendeurs. Pressé de se rendre à la mosquée pour la prière de « Takussan », il cite les maladies que ces poudres pourraient guérir. « Elles peuvent guérir les douleurs de dos, de ventre, les maux de tête, les impuissances sexuelles, elles peuvent même permettre de séduire une femme ou un homme », explique le patriarche de ces vendeurs nigériens. Toutefois, il prétend détenir un livre ayant plus de détails sur l’efficacité de ces produits.
Ces marchands de rêve s’en tirent à bon compte même s’ils prétendent le contraire. « Elle ne rapporte pas grand-chose, juste le minimum vital pour les vendeurs. Parfois, j’arrive à avoir plus de dix clients par jour. Le produit se vend à deux cents francs la cuillère, tandis qu’on achète le kilo à mille francs. Ce commerce me permet de nourrir ma femme et mon enfant », confie Elias. Son compatriote Ismaël estime qu’il arrive à obtenir deux mille à quatre mille francs CFA de revenus journaliers.
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