CHARLATANS CONTRE MARABOUTS : Dans l’univers des faiseurs de destin

La confection d’objets aux pouvoirs mystiques (gris-gris, eau bénite ou « saafara ») est confiée aux marabouts et aux charlatans. Les premiers recourent souvent aux textes religieux islamiques dans leur art, tandis que les seconds font penser aux mystères d’Afrique noire. Des fois, les deux semblent puiser dans le même fond mystique pour satisfaire une clientèle qui n’est pas toujours assurée de l’efficacité du produit.

STYLO POUR EXAMEN, MAUVAIS SORT, HISTOIRES D’AMOUR... : Des recettes miracles à la sauce mystico-magique

Le désespoir, l’inquiétude et les doutes des autres font l’affaire des marabouts et des charlatans. Ce sont les spécialistes du destin. Ils disposent d’une panoplie de recettes allant des versets du Coran aux signes cabalistiques, en passant par des objets parfois anodins. Dans cette foire du mystique, comment séparer la bonne graine de l’ivraie ?

Se positionnant comme des intermédiaires entre l’homme et l’invisible, charlatans et marabouts, en véritables « spécialistes du destin », sont fréquemment sollicités par des âmes confrontées aux angoisses de l’existence et de ses multiples incertitudes. Et dès fois, le miracle peut vraiment avoir lieu. Ou du moins si l’on se fie à certaines confidences. « Il y a quelques années, une amie vraiment désespérée m’a demandé de l’aider à lui trouver une solution dans un conflit avec son mari dont elle avait du mal à reconquérir les grâces. Je l’ai alors conduite chez un marabout originaire du Saloum et réputé pour ses prouesses. Il nous a remis une amulette que devait porter mon amie. Quelques jours après, son mari est revenu au domicile conjugal et avec lui le bonheur et la convivialité... », confie Aminata, une vieille dame. Comme beaucoup d’autres de ses collègues, Demba Faye, un marabout basé à Boune, un quartier de la banlieue dakaroise, est très sollicité pour des raisons diverses. « Durant les périodes d’examen, il est impossible de se frayer un chemin chez moi. Ma maison est remplie d’élèves et d’étudiants qui sollicitent des prières », explique-t-il. La recette « miracle » qu’il prodigue pour ce genre d’affaires est assez simple : « Je demande au candidat de réciter sept fois la Fatiha et de prononcer son vœu », dit-il. Et « ça marche le plus souvent ». Il peut également lui remettre un stylo sur lequel certaines prières ont été dites. Mais le marabout n’est pas sollicité que par des élèves ou étudiants.

« Partout, il y a des brebis galeuses »

« Des personnes victimes de mauvais sort ou possédées par les mauvais esprits viennent également me voir », renseigne Demba Faye. Il a bien voulu donner quelques détails sur un de ses nombreux secrets pour soigner une victime du mauvais sort. Sa recette consiste à prendre sept feuilles de jujubier à moudre et à mélanger avec de l’eau, avant de réciter dessus certains versets coraniques (qu’il n’a pas précisés pour des raisons évidentes) et de s’asperger tout le liquide sur le corps. A l’en croire, ceci est juste un des multiples secrets du champ du sacré.

Une autre équivoque, selon Omar Diallo : « les charlatans - qu’il distingue bien des marabouts considérés comme des enseignants religieux - n’écrivent pas que du Coran », ils y « ajoutent toutes sortes de figures ou formes géométriques qui ne font absolument pas partie du Coran ». « Il y a même ceux qui inversent les versets ou les mélangent avec des excréments, des cheveux ou peaux d’animaux comme le chat ou le chien », relève Demba Faye. Il ajoute pour le déplorer : « Partout, il y a des brebis galeuses ». En tout cas, toutes choses que ne peuvent souffrir les doctes de la religion. Car, pour M. Faye, ce genre de pratiques est en contradiction flagrante avec les principes de la religion. Omar Diallo se dit d’ailleurs, lui, convaincu que les charlatans « travaillent avec les djinns » qui leur souffleraient certaines informations précises sur ceux qui viennent les solliciter. De quoi impressionner des âmes conditionnées. En définitive, Omar Diallo pense que sur cette question précise et sur toutes les autres, le Coran doit être lu à la lumière de la Sounna qui permet une meilleure compréhension. « Pour chaque situation, le Prophète a enseigné des prières précises à réciter. Quand on est musulman, on n’a pas besoin de porter des amulettes », tranche-t-il.

Chasseur d’âmes tourmentées

En fin de compte, précise Ousmane, un autre arabisant, ce n’est pas tant l’efficacité des amulettes ou même l’existence de certains pouvoirs mystiques qui est contestable - le Prophète lui-même ayant été victime d’un mauvais sort - que la légalité de telles pratiques sur le plan religieux. A la différence de Demba Faye, S. D., un charlatan, travaille exclusivement avec le savoir traditionnel ésotérique. Il quitte régulièrement son village de l’intérieur du pays, le sac bien rempli de racines et d’écorces d’arbres de toutes sortes pour venir séjourner pendant quelques semaines à Dakar. Il n’en est pas moins fréquenté. Notamment par de gros bonnets du milieu des affaires ou de l’administration. S. D. se définit comme un « chasseur » ... d’âmes tourmentées. Cissé, un autre charlatan nigérien basé à Dakar explique que sa plus fidèle clientèle est constituée de jeunes amoureux désireux de « bien ferrer leur partenaire ».