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Cité Bissap, un bidonville en sursis ou condamné à disparaître ?

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Cité Bissap, un bidonville en sursis ou condamné à disparaître ?

Il y a un peu plus d’un mois, vingt-quatre maisons de Cité Bissap, un bidonville de Dakar, avaient été ravagées par un violent incendie. Radios, télévisions et journaux relayèrent ce drame qui transforma 325 personnes en sans-abri. Mais très vite, l’infortune des habitants de ce bidonville de Dakar fut noyée dans le flot des informations qui assaillent quotidiennement les médiats sénégalais. Plus d’un mois après l’incendie, nous sommes retournés sur les lieux. Le décor n’a guère changé...

La vieille Amy Diouf a presque tout perdu dans l’incendie qui a ravagé sa baraque il y a quelques semaines. Nous l’avons trouvée, un après-midi, assise sur une natte de fortune, rafistolant un boubou usé par le temps. Autour d’elle, un bric-à-brac d’habits et de divers objets éparpillés çà et là. Son foulard qu’elle jette négligemment sur la tête cache mal une chevelure poivre et sel. Elle doit avoir la soixantaine, mais on lui en donnerait dix de plus. Cette femme fait partie des 325 sinistrés de Cité Bissap, un bidonville en plein cœur de Dakar, niché entre les quartiers de Usine Bène Tally, Hlm et Dieuppeul. Il faut être très vigilant pour se rendre compte de l’existence de ce coin où vivent pourtant des dizaines de familles dans une précarité et une pauvreté extrêmes. Ici, on éprouve toutes les peines du monde pour « joindre les deux bouts », pour faire bouillir la marmite et nourrir ses enfants. Bon nombre des femmes et des hommes valides sont originaires des zones rurales. Ils sont venus à Dakar pour exercer de « petits métiers » : lingères, manœuvres, domestiques, pileuses de mil, vigiles, vendeurs à la sauvette... Bref, juste de quoi leur permettre d’économiser un peu d’argent pour aider la famille restée au village.

Il y a un peu plus d’un mois, de nombreuses maisons de Cité Bissap avaient été ravagées par un violent incendie survenu un vendredi après-midi, au moment où la plupart des résidents étaient absents de leurs habitations de fortune. Radios, télévisions et journaux avaient fait écho de ce drame qui avait transformé 325 personnes en sans-abri, selon les estimations de Ousmane Gadiaga, responsable de la commission Environnement de la commune de Biscuiterie. Mais très vite, l’infortune des habitants de Cité Bissap a été noyée dans le flot d’informations jugées plus « importantes » : Magal de Touba, Sommet de l’Oci, Gamou de Tivaouane et toutes ces activités politico-financières qui font quotidiennement la Une des médiats sénégalais. Plus d’un mois après l’incendie, nous sommes retournés sur les lieux. Le décor n’a guère changé : quelques amas de zinc rouillé, des restes de baraques calcinées, des pans de murs effondrés que des jeunes du quartier essaient de reconstruire, des traces de cendre qui témoignent de la violence du sinistre...

Les habitants de Cité Bissap essaient de reconstruire leurs maisons et... leurs vies dévastées par les flammes. Ici on vous raconte volontiers que c’est l’imprudence d’une femme, dont le fourneau à gaz a explosé, qui a été à l’origine de l’incendie. Mais personne ne peut vous dire exactement ce qui a été à l’origine du sinistre.

Depuis cette date, des dizaines de familles essaient tant bien que mal de préserver leur intimité au milieu de ce paysage peu reluisant. C’est le cas de la vieille Amy Diouf et de sa fille Ndèye Sarr. « Depuis l’incendie, nous dormons à la belle étoile et sommes à la merci des vents et du froid nocturne », nous confie-t-elle. Sa famille a tout perdu : armoire, lit, télévision, frigo, habits... Sa fille Ndèye Sarr, malade, a même vu ses ordonnances médicales emportées par les flammes. Elle a pu quand même retrouver des documents d’analyses et d’hospitalisation que nous montrent sa mère. « A l’hôpital, on nous demande deux cents mille francs Cfa pour les frais d’hospitalisation. Nous n’avons pas les moyens pour faire face à cette dépense car nous avons à peine de quoi vivre. Je profite de votre passage pour demander de l’aide aux autorités. Ma fille est très malade... », nous glisse Amy Diouf qui nous tend des documents portant l’en-tête d’une structure sanitaire de la place.

« Nous avons tout perdu ! »

Cette famille et des dizaines d’autres ont presque tout perdu. Et plus d’un mois après le drame qui les a frappées, leurs conditions de vie n’ont guère évolué. « Des responsables de la mairie sont venus nous distribuer du riz, de l’huile et des moustiquaires », confesse la vieille dame. Ses propos sont confirmés par le maire de la commune de Biscuiterie, Lamine Dia, que nous avons rencontré à son bureau il y a quelques jours.

« Nous avions été obligés de loger provisoirement les sinistrés à l’école primaire Ndary Niang de Bène Tally, en attendant de trouver des solutions à ce douloureux problème », nous a-t-il confié (voir entretien). Un de ses collaborateurs ajoute que les sinistrés avaient été entièrement pris en charge sur le plan de la nourriture durant les quatre jours passés à l’école Ndary Niang.

En se promenant dans les ruelles sinueuses de Cité Bissap, on se rend mieux compte de l’état d’insalubrité dans lequel vit une grande partie de ses habitants. Au détour d’une baraque, un groupe d’enfants hèle notre photographe. Ils veulent que ce dernier immortalise leurs fugaces instants de jeux. Et dès que l’appareil numérique est braqué sur eux, ils affichent un large sourire, posent comme des stars et sautillent de joie, soulevant un nuage de poussière. « C’est la télé ? On passe quand ? », interroge l’un d’entre eux. C’est lui, le plus espiègle, qui nous indique l’abri de fortune dans lequel vit Khady Mbaye, une frêle jeune femme.

Sa « chambre » est faite d’un assemblage de zincs rouillés, de toiles et de divers autres matériaux de récupération. En guise de toit, elle a étendu de vieux draps que supportent des tiges de bois enfoncées dans le sol. Quelques matelas en mousse défraîchis traînent par terre. Sur l’un de ces « lits », dort une fille dont le corps est entièrement recouvert d’un drap vert. « C’est ma sœur. Nous sommes dix à partager cet espace exigu où il n’y a ni eau ni électricité », explique Khady Mbaye. Malgré le décor peu reluisant qui l’entoure, la jeune femme essaie de maintenir intacte sa coquetterie. Sa tête est coiffée d’une perruque noire qui emprisonne ses oreilles et elle porte un joli ensemble en Légos bleu. Les doigts de ses mains, déformés par une longue pratique du travail de lingère, témoignent de la précarité de ses revenus. Elle et ses amies d’infortune viennent d’un village de la localité de Bambey et sont « descendues » à Dakar pour gagner dignement leur vie. D’une voix triste, Khady Mbaye nous raconte comment ses amies et elle triment à longueur de journée pour gagner leur vie.

Juste à côté, nous avons trouvé une autre famille, celle de Ngoné Fall. A la différence des autres personnes que nous avons interrogées, cette dame a grandi à Cité Bissap où elle vit depuis 1973. Ici, comme dans les autres foyers visités, le discours est le même : cette famille a tout perdu dans l’incendie. « Ma mère et moi essayons de reconstruire la maison, mais nous avons peu de moyens », explique-t-elle avec une pointe de tristesse dans la voix. Elle nous confie qu’un responsable de la commune de Biscuiterie était venu les « menacer » en leur disant que la mairie a besoin du terrain. Il est vrai que ce quartier « flottant » défie toutes les lois de l’urbanisation. A Cité Bissap, on se perd dans les dédales de ruelles et il n’y a presque pas de réseau d’assainissement. Même si on y trouve des maisons en dur, des étages et parfois même d’assez belles constructions, ce sont les bicoques et leurs clôtures en zinc rouillé qui y prédominent. Et c’est là où se situe le paradoxe de ce quartier : des familles régulièrement établies (avec titre de propriété) côtoient des irréguliers qui ont squatté des terrains depuis des décennies en toute illégalité. Il y a quelques décennies, au début des années 1970, il n’y avait pratiquement pas d’habitations sur ces lieux. Ceux qui (comme l’auteur de ces lignes) sont nés et ont grandi à Usine Bène Tally (ou dans les quartiers environnants comme Castors, Dieuppeul, Hlm, qui jouxtent Cité Bissap) vagabondaient en gambadant avec insouciance, en compagnie de meutes de chiens, dans cet espace où ne poussaient que du « bissap », une variété d’oseille verte bien connue des Sénégalais. Cette plante a d’ailleurs donné son nom à la cité. A l’époque, il n’y avait rien, ou presque, entre l’ex-Siv (Société industrielle du vêtement), les Hlm et Bène Tally. En compagnie de leurs chiens de chasse, les enfants poursuivaient les lièvres et les autres rongeurs comestibles qui peuplaient la broussaille.

Une anarchie morphologique

La nature ayant horreur du vide, ce n’est que des années plus tard que des populations venues de l’intérieur du pays commencèrent à investir les lieux, défrichant et installant des baraques de fortune. Avec le temps, ce qui n’était que provisoire devint permanent. Et même si certains résidents se sont plus tard installés régulièrement en achetant des terrains où ils ont construit des bâtiments en dur, d’autres par contre y habitent aujourd’hui en toute illégalité.

Bon nombre de sinistrés que nous avons rencontrés font partie de ces « irréguliers » de Cité Bissap. Et parmi eux, certains habitent là depuis des lustres, occupant ou louant des lopins de terre à des propriétaires qui semblent avoir délaissé leurs biens. « Il y a même un lot de terrains qui appartient à la famille de Oulimata Dioum, la célèbre femme d’affaires », nous a confié le maire de Biscuiterie, Lamine Dia.

Le quartier de Cité Bissap ne constitue pas un cas isolé car la réalité est la même dans bon nombre de bidonvilles de Dakar. Dans leur livre intitulé « La pauvreté au Sénégal, des statistiques à la réalité » (Editions Karthala, 2005), les chercheurs Jean-Paul Minvielle, Amadou Diop et Aminata Niang décrivent bien la situation géographique qui caractérise les habitations « spontanées » de l’agglomération dakaroise. « L’implantation des quartiers pauvres fait ressortir certaines similitudes morphologiques. Il s’agit de quartiers dans lesquels l’implantation humaine s’est fait de manière spontanée et a précédé la mise en place d’infrastructures urbaines. Dans ces conditions (...), le régulier côtoie l’irrégulier, donnant ainsi au plan un aspect composite, hétérogène », écrivent-ils. Ils insistent également sur la voirie qui, selon eux, se révèle très précaire dans l’ensemble et parfois même dangereuse : généralement très étroite, irrationnelle et se terminant très souvent en culs de sac. « Cité Bissap (...) constitue un exemple type de cette anarchie morphologique. Généralement, deux à trois pénétrantes sont les seules marques de l’intervention de l’autorité administrative et les seules voies régulières d’accès », expliquent les chercheurs.

Il faut emprunter un de ces passages étroits et sinueux pour accéder à la maison de la famille de Khémess Diouf où les six chambres ont été réduites en cendres. « Nous étions absents lorsque l’incendie s’est déclaré ce vendredi après-midi », nous lance la jeune femme. Bilan des pertes : deux congélateurs, une armoire, de nombreux habits et divers autres objets. « La mairie de Biscuiterie nous avait installé dans une école primaire pendant des jours. Certains d’entre nous passaient la nuit dehors et nos enfants commençaient à tomber malade », raconte Khémess Diouf qui signale au passage l’action de la commune, même s’il la juge insuffisante : un sac de riz par famille, deux litres d’huile et une moustiquaire imprégnée. « L’ancien maire, venu nous rendre visite, nous a également offert cinquante mille francs Cfa », poursuit-elle.

Certains habitants de Cité Bissap, conscients de la précarité de leur habitat, ont cherché à louer des chambres dans les quartiers environnants. C’est le cas de Mbaye Diop que nous avons trouvé en plein travaux de reconstruction de sa chambre incendiée, un verre de « café Touba » fumant à la main. « Mais les prix des chambres sont hors de portée de nos maigres moyens. Nous sommes vraiment inquiets d’autant plus que des agents de la mairie menacent de nous faire partir d’ici sans préciser où est-ce qu’ils vont nous recaser », s’emporte le jeune homme. Ses amis, qui l’aident dans les travaux, acquiescent de la tête. « Nous ne pouvons quand même pas nous permettre de louer des chambres à 20 mille ou 30 mille francs Cfa par mois ! C’est trop cher pour nous... », renchérit Mbaye Diaw qui s’est joint spontanément au groupe de jeunes. La litanie kilométrique de récriminations qu’ils nous débitent illustre bien le désarroi de ces jeunes dont la plupart sont des désœuvrés qui passent leur journée autour des « trois normaux » (séance de thé), discutant des soubresauts de la politique ou des performances athlétiques des champions de la lutte sénégalaise.

Après l’incendie, un vent de solidarité a soufflé sur Cité Bissap. Des habitants de Bène Tally, des Hlm et même de Niarry Tally, situé plus loin, ont spontanément répondu à l’appel de détresse lancé par la commune de Biscuiterie. Des dons en nature (riz, mil, habits...) ont été faits à l’endroit des sinistrés de ce bidonville qui en avaient bien besoin. Mais cette aide n’est hélas que provisoire et n’a servi à apaiser la souffrance de ces centaines de personnes que juste pour quelques jours. Conscients de la précarité de leur situation, les habitants de Cité Bissap savent bien que tôt ou tard il va falloir qu’ils quittent ces baraques crasseuses et ces zincs rouillés où ils vivent et s’entassent comme des parias. Leurs masures sont comme des « plaies béantes » implantées en plein cœur de Dakar, sur des terrains que convoitent sans doute des promoteurs immobiliers à l’affût du moindre lopin de terre où pourraient être érigées des cités plus « dignes » de la capitale...

Post-Scriptum : Ce reportage a été réalisé il y a une dizaine de jours. Mardi dernier, dans la matinée, des bulldozers encadrés par un grand renfort de policiers ont démoli les tentes et baraques où logeaient les sinistrés de Cité Bissap.

LES CAUSES D’UN PHENOMENE MONDIAL : Une urbanisation mal contrôlée

L’image des bidonvilles est classique : des habitations disparates, construites de façon anarchique, en bois, en tôles, en briques de boues ou avec tout autre matériau disponible, comme le décrit si bien Ernest Harsch dans le numéro 15 du magazine « Afrique Relance ».

Pour accéder à leur maison, les populations de ces quartiers « flottants » empruntent des chemins sinueux et, en guise d’égout, se contentent très souvent des fosses à ciel ouvert. « Elles ne disposent généralement pas des services municipaux de base : ni eau courante, ni ramassage d’ordures, ni électricité », poursuit E. Harsch. Selon l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde où l’urbanisation est liée à une croissance économique négative. Il sait bien de quoi il parle lui dont le pays abrite l’un des plus célèbres « townships » (bidonvilles), celui de Soweto d’où était partie la révolte des étudiants, le 16 juin 1976, qui avait été réprimée dans le sang par le régime d’Apartheid. Autre exemple : l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, Kibera, se trouve à Nairobi qui est paradoxalement le siège de l’Agence des Nations unies pour les établissements humains (Un-Habitat). Tous les spécialistes de la démographie et des questions de développement vous diront que l’existence des bidonvilles est la conséquence de la pauvreté qui caractérise de nombreuses villes africaines.

En Afrique, la population urbaine augmente en moyenne de 4 % par an, plus que dans toutes les autres régions du monde. Actuellement, cette partie du globe est le continent où l’on dénombre le plus de ruraux car à peine 40 % de sa population vit dans des villes. « Dans moins de trente ans, plus de 50 % des Africains vivront dans des agglomérations urbaines », signale la revue « Afrique Relance ».

Les difficultés liées à l’urbanisation ont été exacerbées par les politiques économiques drastiques que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international avaient imposées à des gouvernements africains dans les années 1980 et 1990, selon certains analystes. Il y a quelques années, la directrice exécutive de l’Agence des Nations unies pour les établissements humains, Anna Kajumulo Tibaijuka, disait ceci : « s’il y a des sans-abri, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de logements, mais parce que les gens n’ont pas d’emploi et donc pas de logement ». Dans une étude effectuée il y a quelques années, le professeur Abdou Salam Fall, sociologue urbain à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), démontre que les politiques agricoles ont également eu des répercussions dans les zones urbaines. En effet, avec la libéralisation du marché et la réduction de l’aide du gouvernement dans les années 1980, le processus de paupérisation des exploitants agricoles sénégalais s’est accéléré, particulièrement dans le secteur de l’arachide.

Ainsi, de nombreux jeunes des campagnes étaient obligés de quitter leur village pour aller chercher du travail dans les grandes villes, voire en Europe et aux Etats-unis.

Le programme Habitat de l’Onu a publié une étude (The challenge of the slums) qui dresse un bilan pas du tout reluisant des bidonvilles dans le monde, particulièrement en Afrique. Dans ce document cité par Pierre Beaudet de la revue canadienne « Alternatives », dans son article intitulé « La planète des bidonvilles », est décrit le drame qui se joue chaque jour dans les villes du Sud avec son lot de pauvreté, de misère, de violence et de dégradation accélérée de l’environnement.

On y apprend qu’en Ethiopie, au Tchad ou en Afghanistan, plus de 95 % de la population urbaine vit dans les bidonvilles ! « Dans les cinq grandes métropoles asiatiques (Mumbai, Delhi, Kolkata, Karachi et Dhaka), le programme Habitat estime qu’il y a 15.000 bidonvilles avec plus de 20 millions d’habitants. La capitale du Nigeria, Lagos, se situe sur une bande de territoire densément peuplée (...) avec plus de 70 millions de personnes dont au moins 80 % se concentrent dans des bidonvilles. D’ici quinze ans, deux milliards de personnes seront des bidonvillois », note la revue canadienne.

Les bidonvilles constituent-ils une menace pour les pays du Sud ? On est tenté de répondre par l’affirmative si l’on étudie de près la configuration de ces zones d’habitation spontanée dont la plupart sont construites « dans des zones dangereuses, à flanc de montagnes ou dans des marécages, sur des basses terres régulièrement inondées, le long des voies ferrées et des pipelines ».

Dans ces quartiers, les populations vivent un calvaire quotidien et côtoient tous les dangers. Ainsi à Mumbai (Inde), une personne sur 500 seulement dispose de services sanitaires tandis que 57 % de la population de Nairobi (Kenya) n’a pas accès à l’eau potable. Dans un monde qui compte désormais plus d’urbains que de ruraux et où plus d’un milliard de personnes habitent dans les bidonvilles, les Etats (surtout ceux de l’hémisphère Sud) font face à des défis urbains pas toujours faciles à relever. Ces zones souvent appelées « gangrène urbaine » sont de véritables poudrières avec leur lot de problèmes : logements insalubres, surpopulation, manque d’hygiène, absence d’assainissement, pollution, insécurité, chômage, spéculation immobilière...

Selon l’analyse d’une organisation suisse consacrée aux droits humains, les habitants des bidonvilles ne survivent que grâce à une économie souterraine qui essaie de pallier les manquements de l’Etat. « Crises agraires, conflits, pauvreté rurale et politique d’ajustements structurels ont précipité des millions de paysans vers des villes qui ne parviennent plus à absorber cette extraordinaire croissance », expliquent les experts suisses.

La situation des bidonvilles comme celui de Cité Bissap à Dakar (voir reportage) est donc loin d’être une particularité sénégalaise. C’est un phénomène propre aux pays du Sud qui font face à une crise aiguë et à une urbanisation mal contrôlée. Ces problèmes, s’ils ne sont pas résolus, peuvent être le lit de toutes les explosions sociales...

LAMINE DIA, MAIRE DE LA COMMUNE DE BISCUITERIE : « La situation ne peut plus durer ! »

Le maire de la commune de Biscuiterie, Lamine Dia, semble surpris de notre souhait de le rencontrer pour discuter avec lui de l’incendie de Cité Bissap. « Mais cette affaire date de plus d’un mois et nous avons beaucoup communiqué sur cela ! », nous dit-il, un peu étonné de notre insistance. Nous lui rétorquons que nous sommes retournés sur les lieux du sinistre et que presque rien n’a changé dans la situation difficile que vivent ces plus de trois cents Sénégalais.

Après quelques coups de téléphone, nous l’avons finalement interviewé dans son bureau. Il était entouré de quelques-uns de ses collaborateurs parmi lesquels Ousmane Gadiaga, responsable de la commission Environnement. « Le jour de l’incendie, j’étais sur la route de Touba (c’était à quelques jours du Magal, ndlr) et j’ai dû rebrousser chemin pour venir assister ces populations qui dépendent de ma commune », poursuit-il. Après s’être rendu sur les lieux, il a contacté la directrice de l’école primaire Ndary Niang du quartier de Bène Tally afin que les 325 sinistrés y soient provisoirement logés. « J’ai même dégagé une somme de cent mille francs pour l’achat de nattes », rappelle-t-il. Plus tard, des correspondances ont été adressées à la Croix-rouge sénégalaise et au ministère de la Solidarité nationale dont le directeur de Cabinet s’est personnellement déplacé pour s’enquérir de la situation. « Il a distribué des dons aux populations sinistrées sous la supervision de la mairie. La Croix-rouge a également réagi positivement », précise M. Dia. Il insiste sur ce formidable élan de solidarité des populations des quartiers environnants qui ont participé à l’allégement des souffrances de sinistrés de Cité Bissap. « Dans l’urgence, nous leur avions trouvé un abri provisoire, mais nous ne pouvions pas faire plus car la commune n’en a pas les moyens », explique le maire qui rappelle que la plupart des victimes ne sont pas propriétaires des terrains qu’ils squattent illégalement.

En effet, un plan de remembrement du site de Cité Bissap existe depuis 1972 mais n’a jamais été mis en oeuvre. Ce plan du ministère de l’Urbanisme aurait pu permettre de régler la lancinante question de lotissement de cette zone car c’est cela la « solution durable », estime le maire. Selon lui, il est du ressort de la Ville de Dakar et du Cadastre de remembrer et de lotir la zone. « Il appartient à l’autorité centrale de jouer son rôle en faisant ce travail qui demande des moyens dont notre commune ne dispose pas », argumente M. Dia. Par rapport à ce sujet, ses services ont adressé une correspondance au maire de Dakar qui n’a toujours pas réagi.

Dans l’état actuel des choses, la seule option semble être le « déguerpissement » des populations irrégulières de Cité Bissap. « Nous allons prendre nos responsabilités en les faisant partir humainement et dans la dignité car c’est la seule façon de régler le problème. En effet, si on laisse pourrir la situation, on pourrait assister à d’autres drames plus graves que ce fameux incendie. Des problèmes de salubrité, de sécurité et d’assainissement se posent pour les habitants, non seulement de la zone concernée, mais aussi au niveau des quartiers environnants », explique le maire de Biscuiterie.

Les sinistrés, eux, sont loin de partager cette analyse. Certains d’entre eux souhaiteraient même que les autorités se penchent sur leur situation précaire en les faisant bénéficier du Plan « Jaxaay » qui, il y a quelques années, avait permis de recaser des centaines de familles de la banlieue dakaroise victimes d’inondations.

PS : Cet entretien a été réalisé avant la démolition, mardi dernier, de ce qui restait des baraques de Cité Bissap.

Mardi matin, les bulldozers sont passés...

Mardi dernier, dans la matinée, des bulldozers ont fait irruption dans le bidonville de Cité Bissap. Les engins, encadrés par de nombreux policiers, ont détruit ce qui restait des baraques et des zincs rouillés de ce quartier qui abrite des centaines de personnes. Même les rares maisons épargnées par les flammes de l’incendie d’il y a un mois n’ont pas échappé à la furie des engins. « Où est-ce que nous allons vivre maintenant ? Ils ont saccagé ce qui restait comme toit. Nos enfants vont passer la nuit dehors », se lamentait une femme devant les caméras d’une télévision privée. Un jeune homme, furieux, lance : « C’est lâche, ils ont attendu que tous les hommes soient partis travailler pour faire leur sale boulot... ».

Après le passage des bulldozers, Cité Bissap ressemble à une ville fantôme où errent, désemparés, des habitants qui croient encore à un miracle. Mais il est presque certain que ce bidonville niché entre Bène Tally, Hlm et Dieuppeul, en plein cœur de Dakar, est en train de vivre ses derniers jours...



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