COHABITATION ENTRE BARS ET HABITATIONS AU QUARTIER GRAND YOFF

Cohabiter avec des bars n’est pas chose aisée. Du moins dans certains quartiers de Dakar. A Grand-Yoff, un quartier populaire situé au cœur de la capitale, il est plus facile d’y trouver un bar qu’un lieu de culte. Avec ce nombre croissant de «bars» - environ une quarantaine de débits de boissons alcoolisées sur une superficie de 8000 mètres carrés. Soit en moyenne 1 bar tous les 20 mètres. Ce qui laisse sous entendre un terreau fertile pour la violence. Chose que réfutent les populations rencontrées çà et là. Pour eux, la cohabitation se fait sans heurts, ni encombres. Reportage.

24sn.com Début de matinée au quartier Grand-Yoff. Le soleil est à son zénith. En effet, le soleil en cette période d’hivernage pointe très tôt ses dards sur la tête des paisibles citoyens qui vaquent, besogneux, à leurs diverses occupations. Ici et là, dans les différents artères du populeux quartier, les badauds s’adonnent à leurs occupations favorites : les jeux. Grandes vacances obligent! Filles comme garçons se mêlent, parfois, dans des courses endiablées. Les plus petits s’amusent à tracer des sillons dans le sable encore humide de pluie. Les salles de jeux aussi ne désemplissent pas. Pour les adultes, le passe temps favori est la lecture de journaux ou les palabres sous l’ombre d’un arbre. S’ils ne sont pas simplement au boulot. Le quartier de Grand-Yoff sort de sa torpeur nocturne. Les femmes, à la démarche lascive, paniers sous le bras, se dirigent sans se presser vers le marché qui jouxte le quartier. Mais Grand-Yoff, mis à part le fait que c’st un quartier populeux et grouillant de monde et d’activités, revêt aussi un cachet bien singulier. C’est le «quartier général» ou si vous préférez «QG» des bars réguliers comme clandos et des débits de boisson où l’eau de feu coule à flot.

Plus de bars que de mosquées ou d’églises
Vous est-il une fois arrivé de vous promener dans les différents quartiers de Grand-Yoff? De jour comme de nuit. Vous serez surpris par le nombre impressionnant de bars qui jouxtent les habitations. Ce qui fait dire aux observateurs bien avertis qu'il y a plus de bars que mosquées dans la localité.
Ne soyez pas étonnés! Car vous n’êtes nullement à Douala, Lagos ou encore dans le Bronx ou à Harlem aux Etats-Unis. Vous êtes bien à Grand-Yoff et on peut dire sans risque de se tromper que, Grand-Yoff n'a rien à envier aux plus grandes villes africaines (Douala, Lagos, Abidjan …). Tellement le nombre de bars réguliers et «clandos» est impressionnant. Ils y sont légion. Le fait le plus notable, c'est que Grand-Yoff compte plus de bars et clandos que de mosquées et églises faisant ainsi de ce quartier, l'un des plus malfamés de Dakar. On y dénombre 7 grandes mosquées, 32 petites mosquées, 2 églises contre une quarantaine de bars et clandos. Il y a quelque temps, «Bignona», un bar réputé, était l'antre des «disciples de Bacchus», amateurs de la viande de porc et de phacochère, belles de nuits et hommes à la recherche de sensations fortes. Toutefois, «Bignona» étant rasé, son «petit-frère», le bar «La frontière», a repris le flambeau. L'alcool y coule à flot. On y picole et s’y saoule comme des …polonais. De jour comme de nuit. Au bar «chez Tina» ou à «Kambu Branaï» qui avait été saccagé, il y a plus d'un an, après qu'un de ses clients avait poignardé à mort un jeune homme et s'y est réfugié, c'est le même décor. Mais les choses les plus sataniques se passent non pas dans ces bars «réguliers», mais dans les «clandos». L’on nous renseigne aussi que les débits de boisson clandestins y font légion. Ces maisons aux allures anodines sont connues des seuls amateurs en quête de sensations fortes qui les fréquentent. Elles sont prises d'assaut dès que les chats commencent à être gris, au premier appel du muezzin pour la prière du crépuscule. Des maisons de ce genre, il en existe à la pelle à Grand-Yoff. Résultat : dans ce quartier, les gens circulent jusqu'au petit matin.

Une cohabitation sans heurts
Populaire, pittoresque et surtout hyper vivant ! C’est un des rares quartiers où l’animation et la vie villageoise restent vivaces. Peut-être est-ce à cause de la grande proportion de bars et autres «clandos». Une foule de sous-quartiers, parfois résidentiels, parfois très pauvres forment Grand-Yoff. C'est le cas par exemple de la cité Arafat, de la Patte d'Oie, de Scat Urbam, etc....
Un tour à Grand-Yoff on remarque forcément la présence de bars ou clandos dans chaque quartier. Il arrive qu'un quartier comporte deux à trois bars en plus des «clandos». Des bars ambiancés par la musique de divers horizons, une multitude de clandos dans tous les quartiers. Devenue une tradition chez certaines ethnies, la vente de boisson clandestine telles que «béssou, soum soum, bandji, kana» a presque fini de damer le pion aux autres boissons dans cette localité. Car cette boisson est vendue moins chère par rapport à la bière ou au flag. Un litre de «soum soum» ou «bandji» coûte 200 francs CFA, tandis qu'une bouteille de flag coûte 800 francs FCA. Malgré la traque des policiers, les vendeuses de cette boisson ne démordent pas. Ce qui fait dire à un de nos interlocuteurs que Grand-Yoff renferme plus de bars que de mosquées. Et pourtant, les populations riveraines ne se plaignent pas. En attestent les propose de Fatou Ndiaye dont la maison fait face au bar «Chez Tina». «Nous n’avons pas de problème avec ces bars. Certes, les difficultés comme les querelles entre clients ne manquent pas mais le gérant du bar les évacue et les chasse à chaque fois. Il est vrai qu’au début, les notables du quartier se plaignaient de l’implantation anarchique de ces bars mais, ils sont pour la plupart décédés et vu qu’il ne reste plus que les jeunes, on s’est entendu avec le gérant et le problème ne se pose plus» confie t-elle. Même rengaine du côté de Mohamed Faye, tailleur. «Je ne suis ici que pour la journée. Mais, pour ce qui est de la cohabitation, je dirai que cela se passe bien. Du moment qu’ils restent dans leur coin, cela ne me dérange pas. En plus, ils mettent de l’ambiance avec leur musique».Justement, la musque, parlons-en! Pour José Figuerido, gérant du bar, «la musique, je la mets en sourdine et puis cela ne dépasse pas le cadre de mon établissement. Je ne veux pas d’histoire avec les gens. Ce sont mes voisins et je les respecte. D’ailleurs, je cohabite avec eux. Ma maison est à l’étage, en dessus du bar»lance ce quinquagénaire aux cheveux poivre et sel. Même son de cloche au bar «Outhecor»où le gérant Jean Pierre Mendy finit de dessaouler. Cigarette à la main, vêtu uniquement d’un short, une serviette autour du torse, il se montre assez coopératif. «Le slogan dans mon bar est propreté et respect vis-à-vis du voisinage. J’ai obtenu ma licence depuis 2003 mais, à l’origine, c’était un «clando». Quid des bagarres et des disputes? M. Mendy nous fera savoir qu’ «en ce qui concerne son bar, il n’y en a pas. Même si la police procède à des contrôles, elle ne trouve jamais rien. Sauf parfois, un client qui aurait oublié ses pièces d’identité chez lui.» Côté prostitution et racolage, Jean Pierre est catégorique, «une fille non accompagnée n’entre pas dans mon bar». «La cohabitation se passe bien du moment qu’il y a le respect» affirme ce jeune homme, la trentaine qui a requis l’anonymat. Le respect, vous avez bien dit? Une chose essentielle et vitale dans ce quartier populeux. Car il suffirait d’une étincelle pour que la poudrière explose. Et là, bonjour la cata et les batailles rangées! A bon entendeur,…tching, tching!!!!!