L’Observateur - Les sessions spéciales de la Cour d’assises de Dakar, consacrées au jugement des trafiquants de drogue suite à la promulgation de la «loi Latif Guèye», ont été clôturées ce vendredi.
Elles ont démontré que cette loi n’a pas répondu aux attentes. Disons-le nettement : nous sommes farouchement opposés au trafic et à l’usage de la drogue et de toute substance psychotrope. Lorsque la «Loi Latif Guèye» a été votée en 2007 par l’Assemblée nationale, nous avions applaudi des deux mains. Aujourd’hui, à l’épreuve du temps, nous nous sommes rendu compte que la loi a montré ses limites.
C’est pourquoi, nous partageons entièrement la position de l’avocat général Mbacké Fall qui avait fait un diagnostic sans complaisance de cette loi et avait fait des propositions pertinentes que le législateur gagnerait à prendre en considération. Représentant du parquet général lors de la cérémonie d’ouverture de la dernière session 2010 de la Cour d’assises de Dakar, Mbacké Fall avait révélé que 120 accusés, actuellement en détention et impliquées dans 87 affaires de trafic de drogues, attendent d’être jugés. Et des dizaines de dossiers en cours d’instruction et autant d’inculpés signalés dans les différents cabinets d’instruction viendront incessamment gonfler ce stock.
Les affaires de drogue déjà instruit font ainsi plus de la moitié des affaires à juger devant la Cour d’assises. Une inflation procédurale qui tiennent aux effets combinés de l’application de deux textes de loi : la loi 2007-31 du 27 décembre 2007 portant modification des articles 95 à 103 du code des drogues (communément appelé «loi Latif Guèye» qui criminalise le trafic international de drogue) et la loi 2008-50 du 23 septembre 2008 qui modifie le code de procédure pénale. Mbacké Fall proposait, en définitive, la correctionnalisation de cette loi (qui prévoyait des peines de 5 à 10 ans) tout en durcissant la répression, c'est-à-dire faire comme le viol sur mineur de moins de 13 ans qui oblige le juge à appliquer la peine maximale de dix ans. Les faits lui ont donné entièrement raison.
En effet, sur les 65 accusés jugés durant ces deux sessions spéciales, un seul a écopé 12 ans. Quatorze ont pris 10 ans. Les autres ont été condamnés à 5, 2 et 1 ans, s’ils n’ont pas été acquittés ou vu leurs dossiers renvoyés aux prochaines assises. La justice aurait pu juger toutes ces personnes devant le tribunal correctionnel qu’elle obtiendrait le même résultat. C’est pourquoi, nous pensons que la «loi Latif Guèye», bien que sous-tendue par des objectifs nobles, ne fait malheureusement qu’encombrer davantage les prisons et les cabinets d’instruction - qui étouffent déjà - tout en banalisant la cour d’assises.
Une position qui n’agrée surement pas l’Ong Jamra qui taxe de «bourreau de la loi Latif» toute personne qui émet des réserves sur la pertinence de cette loi. Mais, il faudrait que Matar Guèye et Cie sachent qu’un projet (émanant de l’Etat) ou proposition (émanant d’un député) devient une loi générale et impersonnelle dès qu’elle est votée par le Parlement et promulguée par le chef de l’Etat. Elle appartient dès lors au peuple. A partir de ce moment le procureur est chargé de l’appliquer au nom du peuple. Et tout citoyen a le droit de donner son opinion la dessus. Que cette loi porte le nom de feu Latif Guèye (paix à son âme) importe peu. Il faut éviter de verser dans ce que l’éminent juriste français Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, qualifie de «populisme pénal».
Daouda MINE
2 Commentaires
Juste
En Mars, 2011 (15:35 PM)Undefined
En Mars, 2011 (21:06 PM)Participer à la Discussion