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CONTROVERSE AUTOUR D’UNE FRAUDE DOUANIERE : LES ZONES D'OMBRE DANS L'AFFAIRE PIERRE AÏM

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CONTROVERSE AUTOUR D’UNE FRAUDE DOUANIERE : LES ZONES D'OMBRE DANS L'AFFAIRE PIERRE AÏM
Accusé de fraude douanière sur le sucre, l’homme d’affaires Pierre Aïm, propriétaire de la brasserie Africa Invest Sénégal (Ais) a récemment passé plusieurs heures entre les mains de la justice, avant d’être libéré à la suite d’une transaction présentant suscitant des interrogations, à l’image du dossier lui-même qui semble constellé de zones d’ombre. 

Pierre Aïm, paiera-t-il à la Douane sénégalaise la somme d’un milliard et quelques, ou juste la moitié, soit 500 millions de francs Cfa ? A cette question, même chez les douaniers où certains cadres interrogés agitent l’un ou l’autre chiffre, il est difficile d’apporter une réponse précise.

Et le montant de la transaction n’est pas le seul chiffre du dossier Aïm où l’on peine à obtenir des indications précises. L’industriel est accusé de fraude sur le sucre. Cette accusation se fonde sur une comparaison des parts de marché et des importations en sucre de la société Ais et de celle de sa concurrente «la Soboa», considérée comme leader sur le marché. Le même procédé avait permis, il y a quelques années, alors qu’Ais s’appelait Nba (Nouvelles brasseries africaines) et appartenait à Cheikh Tall Dioum -il avait finalement nanti son affaire à la Société financière internationale qui avait mis en œuvre le nantissement, et Aïm rachètera la boîte à la justice-, d’épingler M. Dioum pour fraude douanière sur le sucre. Sauf que dans ce premier cas, la Douane, se fondant sur les statistiques pour soupçonner une fraude, avait mené un long travail d’investigation qui lui avait permis d’établir de manière irréfutable l’infraction, ayant même mis la main sur des personnes à qui les Nba avaient revendu du sucre importé sous exonération douanière parce que censé servir d’intrant industriel. Or, dans le cas de Pierre Aïm, aucun élément n’est mis sur la table, en dehors des estimations que la douane elle-même fait de ce que devraient être les besoins de la brasserie de la Sodida en sucre et ses importations réelles. Nulle trace du prétendu excédent des importations sucrières d’Ais. Aucune indication sur celui ou ceux à qui on aurait vendu ce sucre, où et dans quelles circonstances…

Or, les estimations qui fondent l’accusation sont loin de paraître fiables. En interrogeant des douaniers informés du dossier, on obtient une quantification élastique des importations de sucre de la Soboa ayant servi de base de comparaison, allant de 8 000 à 12 000 tonnes. En face, la boîte de Pierre Aïm qui, pour une part de marché estimée à 30% par les douaniers, aurait importé 4 000 tonnes pour certains, 6 000 pour d’autres. Et quand on demande aux douaniers des détails sur les mécanismes qui leur ont permis de déterminer les parts de l’une et l’autre des deux brasseries, l’on se rend compte que cela est fait à partir d’un exercice d’estimation. Sans aucune rigueur scientifique, que la douane a procédé au partage du marché de la boisson entre fournisseurs. Ainsi, c’est à partir de ses propres estimations que la Douane a considéré que l’entreprise de Pierre Aïm importait plus de sucre que ses besoins industriels, donc il y a fraude. Du côté de la Douane, l’on semble dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Le Chargé de communication, Ballé Preira que nous avons joint au téléphone estime que «si quelqu’un accepte de transiger, c’est parce qu’il y a quelque chose». Et de jurer que «force restera à la loi». Sur les accusations d’abus de pouvoir, il renvoie les contestataires à «la Chambre administrative de la Cour suprême», une juridiction habilitée à trancher pareils contentieux.

 

On murmure sous la casquette 

Vraisemblablement, l’opération ne fait pas l’unanimité au sein de l’administration douanière où certains cadres, sous le sceau de la confidence, relève les anomalies du dossier. En dehors du caractère fortement contestable des chiffres ayant servi à asseoir l’accusation de fraude, l’on indexe ainsi la procédure qui, de l’avis de certains, relève ni plus ni moins de l’abus de pouvoir. Une de ces sources explique à ce propos que, même si des statistiques fiables avaient permis de considérer que les importations de sucre d’Ais dépassent ses besoins, cela n’aurait qu’une valeur d’alerte pour la douane qui, à partir de ce moment, aurait tout un travail d’investigation à faire pour asseoir l’accusation de fraude, comme ce fut le cas à l’époque de Cheikh Tall Dioum. Des investigations qui, si l’on en croit notre source, n’ont jamais eu lieu, ni sur le terrain, ni à l’intérieur de l’entreprise où la documentation et des données matérielles disponibles auraient pu révéler beaucoup de chose, mais ont été royalement ignorées par la douane. Dans tout autre domaine, le dossier se serait effondré à la première déclaration de l’incriminé, faute de la moindre preuve ou même d’un élément quelconque matérialisant l’infraction visée. Mais en matière douanière, c’est comme si le principe juridique du droit à la défense reconnu à tout accusé n’est plus valable, commente la même source. De ses explications, il ressort que le code douanier a ceci de particulier qu’il soumet la justice au diktat de la douane qui est partie dans le contentieux douanier. Les autorités judiciaires devant ainsi connaître d’une affaire de ce genre sont tenues de s’aligner sur la vision de la douane et suivre celle-ci dans son interprétation des faits.

L’on raille également le marchandage informel ayant prévalu sur ce dossier, où la douane serait partie de prétentions financières d’une dizaine de milliards pour revoir ses ambitions à la baisse et tomber à un milliard ou un demi-milliard selon les sources. Ce qui est perçu comme un manque de fondement à l’accusation.

D’ailleurs, soulignent nos sources, Pierre Aïm semblait tellement sûr de son bon droit qu’il a adopté une posture de défiance face à ses vis-à-vis durant toute l’affaire, et n’aurait consenti finalement à transiger que sur des bases que l’on peine encore à cerner. Et les termes de l’accord, à en croire les informations qui nous parvenus, auraient pu être beaucoup plus favorables à la douane si celle-ci était sûre de son dossier. « Sur le papier, Aïm devrait verser 100 millions eux deux tranches de 50 millions chacune cette semaine, et pour le reste, il devrait verser 50 millions par mois », révèle un de nos interlocuteurs.

 

Les zones d’ombre… 

Si Pierre Aïm n’avait pas fraudé, l’administration douanière aurait-elle pris le risque de s’en prendre de manière plus ou moins arbitraire à lui, sachant que c’est un ami proche du président de la République et de sa famille ? Là semble se situer tout le nœud du problème, et Aïm apparaît ainsi comme une victime expiatoire dans une affaire où manipulations et intoxications se le disputent. Pierre Aïm, l’ami toubab du président Wade, son bienfaiteur des temps de l’opposition qu’il a fait venir au pays après la conquête du pouvoir pour lui exprimer sa reconnaissance en lui offrant une situation d’industriel prospère, contraint de transiger en douane pour éviter la prison. Publicité plus que positive pour un pouvoir qui se trouve dans la posture qu’on connaît, et accessoirement, sujet de diversion dans ce contexte où les thèmes de débat sensibles ne manquent pas. Le seul hic,  c’est que tous ceux qui sont bien informés des problèmes internes du Palais s’accordent à dire que de l’amitié entre Pierre Aïm et Abdoulaye Wade, il ne reste pas grand-chose depuis 2006, en pleine affaire Idrissa Seck, quand Aïm a pris des positions qui ont amené le Palais à le classer dans le camp du maire de Thiès. Plus de contacts directs entre eux, si l’on en croit nos sources. A la limite, l’industriel français ne paraît pas très rassurant pour ses amis de gouvernants qui ne seraient pas mécontents de le voir s’empêtrer dans des problèmes. D’autre part, le DG des douanes est réputé proche de la famille présidentielle. « Il ne s’attaquerait jamais aux intérêts des proches du président, quel que soit le cas de figure », affirment différentes sources à propos de J. J. A. Nanga. Et quand on met sur la table ces menaces qui planeraient au-dessus de la tête du patron des douanes coïncidant avec l’affaire Aïm, une source de sourire pour affirmer sans ambages : « Il n y a pas mieux assis sur son siège que Nanga, et il est loin de la liste des fonctionnaires à limoger. Vous pouvez prendre date. Tout ceci est destiné à l’opinion, juste pour faire croire qu’il a agi librement, sans tenir compte des amitiés des autorités supérieures. Mais je peux vous dire que Nanga donne entière satisfaction au Palais et son départ n’est pas à l’ordre du jour ». Une autre source de renchérir : « Nanga a été nommé par le président sur la base de ce qu’on pourrait qualifier d’information erronée, c’est connu dans l’administration douanière. Au début, le risque était réel qu’il soit relevé. Mais depuis lors il a eu le temps de donner des gages et d’entrer dans les bonnes grâces du Palais et le ministre des Finances Abdoulaye Diop s’en est rendu compte lui qui a tout fait pour le virer, en vain. Je ne sais si le président Wade lui-même a touché à l’affaire Aïm, mais je peux vous dire que c’est sur demande de ses proches que la douane s’est attaquée à l’industriel. C’est aussi simple que cela. Personne ne croit à la thèse de la fraude, y compris dans la douane même. Aïm a des antécédents qui ne plaident pas en sa faveur. Si on y ajoute sa réputation d’ami de la famille présidentielle (ce qui n’est pas la meilleure manière de gagner la sympathie de l’opinion dans le contexte actuel), on se rend compte que l’opération n’était pas très difficile. Dès qu’on parle de fraude contre lui, on est sûr d’avoir l’opinion avec soi, et on peut le liquider tranquillement sans que personne ne s’en émeuve. Le double délit de réputation et d’amitié a permis d’avoir l’opinion ; le code douanier a verrouillé la manœuvre et voilà. Mais le débat pourrait se prolonger dans les jours à venir parce qu’au sein de la douane, il y a des gens qui ne sont pas d’accord et qui pourraient beaucoup bavarder sur cette affaire ».



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