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[ Opinion ] Délestages et inondations : Au-delà de la révolte

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[ Opinion ] Délestages et inondations : Au-delà de la révolte
En réaction aux délestages et aux inondations, comme il fallait s’y attendre, des manifestations ont vivement commotionné plusieurs quartiers, au-delà même de la capitale. Des groupes de jeunes ont brûlé des pneus, obstrué la voie publique, cassé un bus ici, un autocar là. A Guédiawaye, le bijou qu’était le nouveau tribunal départemental fait piètre figure. De toute évidence, les casseurs et coupeurs de routes ne sont pas seulement des contribuables en colère. A l’examen des mouvements de foules et de la nature des dégâts perpétrés, il va sans dire que des vandales et des individus mus par des motivations inavouées se sont immiscés dans les actions protestataires.

La manifestation est un droit que la loi fondamentale reconnaît à tout citoyen, à toute communauté, à toute corporation, sous réserve de préserver l’ordre et les biens publics. Marcher en brandissant des pancartes, arborer des brassards rouges, faire un sit-in, tout cela peut se faire, mais en paix, dans la discipline, sans perturbation ni préjudice. Pourquoi saccager un abri planté à un arrêt d’autobus, casser les vitres d’un autocar, barrer les artères principales et empêcher les honnêtes citoyens de rentrer en toute quiétude chez eux après la trime et les autres corvées que la vie urbaine impose aux pères et mères de familles qui courent, matin et soir, à droite et à gauche, en quête de la ventrée pour la maisonnée ?

C’est assurément contre nous-mêmes que certains actes de destruction se retournent. Croyant mettre en garde une autorité ou dissuader une institution que beaucoup d’entre nous identifient et situent mal, nous nous punissons nous-mêmes des désagréments et des mesures injustes que nous subissons. Le mot d’ordre : ‘Casse tout, c’est l’Etat qui paie !’ est aussi niais qu’inique. En Afrique, l’inquiétant paradoxe est qu’une bonne frange de la population pense que l’Etat est de l’autre côté, s’épanouissant dans un éden différent du calvaire où elle croupit. Les inégalités sociales trop criardes et le train de vie vainement dénoncé des tenants et associés du pouvoir sont pour quelque chose dans cette perception par trop manichéenne du pays qui serait partagé entre une classe qui ne manque de rien et une autre privée du minimum vital.

Chers compatriotes, en dépit de la légitimité de nos revendications, si la révolte nous pousse à tout casser, sachons que c’est nous qui paierons tout. Indirectement, mais soyons sûrs et certains que nous serons seuls à payer et au prix fort, car l’Etat n’existe pas en dehors de nous qui avons voté pour l’adoption d’une Constitution, l’élection d’un président de la République et d’un Parlement. Il est déplorable de constater que le citoyen, sous nos cieux, délibérément, ferme les yeux sur sa part de responsabilités dans maintes situations qu’il croit exclusivement imputables à l’Etat que, dans les périodes de troubles, les manifestants confondent vite avec le pauvre conducteur d’autobus, le gérant d’un magasin bien achalandé ou, pire, l’innocent fonctionnaire au volant de sa propre voiture.

Loin de s’activer pour éteindre le feu quand il s’allume au cœur de la Nation, les hommes politiques, ceux de l’opposition radicale, par opportunisme, l’attisent. Inconscients, ils laissent le pouvoir qu’ils convoitent s’éroder, perdant de vue tout le mal qu’ils auront à le restaurer lorsqu’il viendra enfin entre leurs mains. L’histoire récente nous aide, si besoin est, à tirer des leçons fort édifiantes. Les incendiaires d’hier deviennent les impuissants sapeurs-pompiers d’aujourd’hui. Ceux qui exhortaient les masses à investir la rue, prônent le dialogue. Dans le même ordre d’idées, l’ouverture médiatique, au lieu d’être une apothéose pour une diversité des opinions et des sources d’information, est une cacophonie et un imbroglio dans lesquels s’égare le jugement. Tributaire d’une concurrence pratiquée avec des méthodes infantiles, la communication devient propagande pour sa radio et sa télé, l’information incitation à peine voilée aux émeutes. Bien entendu, il existe des médias privés qui se maintiennent sur une ligne d’équilibre et ne basculent pas dans le gouffre de l’anti-professionnalisme.

On comprend aisément pourquoi les fréquences de radio et les signaux de télé ne sont accordés qu’après beaucoup d’hésitations et de précautions. Les médias peuvent devenir des armes redoutables. Contre un régime en place, pense-t-on généralement en simplifiant les choses. Mais c’est surtout le peuple constitué de couches vulnérables qui pâtit des dérives d’une mauvaise presse.

Aujourd’hui, Wade, son parti et son gouvernement ont l’impression d’avoir sur le dos toute la presse indépendante. Image de chasse à courre où la bête de proie est harcelée de toutes parts ! Hier, c’était l’inconfortable posture des socialistes sénégalais. Les médias privés, en fait, n’ont pas de camp, politiquement parlant. Leur contribution à l’élargissement et à l’approfondissement de la démocratie, à la promotion de la bonne gouvernance et à la lutte contre la corruption est indéniable. Cette contribution est doublée - on peut soutenir qu’elle en est la conséquence - d’une valorisation inestimable de la langue nationale dominante que tout un chacun, quelle que soit son ethnie, s’efforce désormais de maîtriser. Certains médias privés qu’on soupçonne de jouer le jeu de l’opposition radicale, voulant se faire ‘la voix des sans- voix’, ne font en fait qu’offrir un espace d’expression aux frustrations des classes moyennes, aux misères des couches défavorisées et aux rancœurs des leaders en mal de popularité et de tribune. Ils propagent la rumeur, amplifient les déclarations tonitruantes, grossissent le plan des mouvements de masses. Quand tout va bien, ils n’ont rien à dire ni à montrer. Quand ça va mal dans un secteur, ils ouvrent leurs micros sur le trottoir et braquent leurs caméras. Ils sont friands de mots nus jetés comme de gros cailloux et d’images sans commentaire. Contre qui ? Il arrive qu’un directeur général, qu’un ministre, qu’un président, que tout un régime soient victimes des actions de la presse libre. Mais la victime de tous les instants et de tous les jours, c’est le peuple qui a besoin d’informations fiables, d’éducation, de culture, mais à qui on sert des débats de politique politicienne, des tranches interactives de mauvais goût, des telenovelas, du sport et de la musique.

Informer, c’est agir sur celui qui lit le journal, écoute la radio ou regarde la télévision. C’est un acte prémédité. Chaque groupe de presse a sa ligne éditoriale. L’information n’est pas, ce qu’elle devrait être, une donnée intangible que le journaliste livre à l’état brut, sans état d’âme. L’esprit qui la sélectionne, la forme dans laquelle elle est écrite et le ton sur lequel elle est articulée la chargent et la colorent à volonté. Au nom de la liberté d’expression, la réalité décrite et la situation présentée varient d’un médium à l’autre. Deux ans de pige dans un quotidien indépendant largement diffusé me permettent d’affirmer que la fiabilité de l’information n’est pas la priorité de bon nombre de rédacteurs en chef, mais plutôt l’effet qu’elle peut produire. Ainsi ai-je vu changer l’intitulé de mon article pour un autre qui n’a rien à voir avec le contenu du texte. Plus grave, dans un hebdomadaire inexistant aujourd’hui, une phrase intruse a été glissée, sans que j’aie été consulté, dans une de mes contributions écrite à la veille de l’élection présidentielle de 1993.

Compte tenu de la marge de liberté dont ils disposent chacun, le journaliste des médias d’Etat se distingue de son homologue des médias indépendants. Apparemment, le premier travaille sous haute surveillance, tandis que le second a les coudées plus franches. La réalité révèle de plus en plus combien est fausse cette appréciation hâtive. Si la liberté du journaliste se heurte à la raison d’Etat, là et elle fait des concessions aux intérêts particuliers d’entrepreneurs de presse, ici.

A bien réfléchir, on arrive à se demander si l’information n’est pas un mal nécessaire. L’existence de plusieurs quotidiens, magazines, radios et télévisions ne procure qu’un avantage : la possibilité pour les consommateurs passifs que nous sommes, de choisir le moindre mal. Le mal de l’information et de la communication n’est pas une formule gratuite. C’est l’expression d’un sentiment d’insatisfaction que je ressens chaque matin quand j’écoute, l’une après l’autre, plusieurs radios et le soir quand je passe d’une télévision à une autre.

Pour avoir une information équilibrée, j’écoute et regarde la Rts. C’est la Rdv que je choisis pour mater des films passionnants, Canal Info pour me délecter d’émissions littéraires et culturelles de bon niveau, Wal Fadjri pour apprécier la diversité des opinions avec les émissions-phares que sont Opinions, Pencoo et Dine Ak Jamono.

N’est-il pas significatif qu’au Sénégal, on ait eu besoin, à côté des journalistes formés à l’école occidentale, d’avoir ceux qu’on appelle les communicateurs traditionnels ? Le problème majeur auquel se heurtent de jeunes journalistes est celui de la communication. La maîtrise des techniques et la qualité de l’information ne suffisent pas pour résoudre ce problème. La communication est d’abord une question de culture. Il n’est point choquant que, dans le contexte d’une civilisation où l’enfant peut dire sans crainte à son père : ‘Papa, tu mens’, le journaliste fourre le nez jusque dans la chambre à coucher des hommes publics et leur pose des questions d’ordre strictement privé, voire intime. Mais, en Afrique noire, notamment dans des pays de fervents croyants, le journaliste, sans sacrifier sa liberté et son devoir d’informer juste, ne doit-il pas reconsidérer sa façon d’aborder l’actualité et ceux qui la font ? An fopp, lay fopp, faaxe !, dit le Sérère. Toute vérité n’est pas bonne à dire. Si le communicateur traditionnel fonde toute sa conduite sur cette règle qui privilégie l’utile au détriment du vrai négatif, le journaliste moderne, toujours à l’affût d’un scoop, n’hésite devant aucun scandale.

Tampon entre le souverain et le peuple, le griot était une aiguille et non pas un couteau tranchant. Quand un incendie se déclarait au cœur de la société, il ne jetait pas l’huile sur le feu, mais de l’eau. En ce temps-là, l’information n’était pas une denrée achetable comme toute marchandise. C’était le partage des maîtres de la parole que la société prenait entièrement en charge.

Loin de moi l’idée de demander au journaliste contemporain de retourner aux sources. Je souhaite seulement qu’il agisse à la lumière de la culture africaine où l’information bannit la calomnie, le harcèlement et la mise à nu des individus. Informer, c’est rapprocher les hommes, ceux qui décident et ceux qui supportent le poids des décisions, jeter un pont entre eux afin qu’ils coordonnent leurs actes et leurs paroles pour construire ensemble, dans la cohésion, un monde harmonieux où chaque individu joue un rôle et chaque communauté apporte le meilleur d’elle-même pour le bonheur et la paix de la collectivité.

Bien entendu, dans tout ce qui pousse les masses à la révolte, il y a la responsabilité de ceux qui exercent le pouvoir. Quand l’action politique dément le projet de société annoncé et les promesses de campagne, l’adhésion populaire se fissure.

Aujourd’hui, au Sénégal, l’actualité met en exergue deux situations conjoncturelles qui dressent la population contre ses élus : les délestages et les inondations. Il est certain que toute la vérité sur ces deux problèmes n’est pas dite. Jusqu’ici, les solutions attendues ne sont pas trouvées. S’il permet de gagner du temps, le mensonge politique ronge fatalement le pouvoir. Ce n’est pas par ignorance de cela que les décideurs jouent à cache-cache avec les populations, mais sans nul doute, par crainte de réactions aussi imprévisibles qu’incontrôlables devant des révélations qui ressembleraient à des aveux d’impuissance pour certains et d’échec pour d’autres. Recevant le bureau de l’Association des écrivains du Sénégal, il y a plusieurs années déjà, Abdou Diouf, alors président de la République, déclarait en substance : un chef d’Etat n’est en réalité que le gestionnaire des nombreux problèmes de son pays.

Le malheur de nos hommes politiques, pour une bonne majorité d’entre eux, est de n’avoir pas pris en compte cet aspect des charges qu’ils assument, ne s’intéressant qu’aux privilèges que leur confère leur position. Plus prompts à ‘digérer’ les deniers qu’à gérer, au lieu de faire face aux difficultés avec responsabilité lorsqu’elles se posent, ils essaient de les contourner par mille subterfuges. Faire ce qu’on a promis et d’abord promettre ce qu’on est sûr de pouvoir faire, serait une attitude sage. On peut, sans nul doute, reprocher beaucoup de choses au gouvernement de l’alternance, sauf une : l’attentisme. Pour chaque situation défavorable identifiée, un remède a été trouvé ou envisagé. Pour certaines d’entre elles, le remède reste temporaire et aléatoire. La planification et le suivi des actions constituent le talon d’Achille de belles initiatives comme le Plan Jaxaay, par exemple.

Le courage politique des décideurs et la participation de l’ensemble des acteurs, dont la société civile, seuls peuvent venir à bout d’un problème aussi épineux que celui des inondations qui impliquent au premier chef la responsabilité des populations inondées elles-mêmes. Mais les populations sont comme les enfants, dont les bêtises remettent en cause la vigilance des parents. Déguerpir tout un quartier est une mesure que les autorités publiques ne prennent jamais à la légère et que les populations concernées acceptent rarement de gaieté de cœur. Le Plan Jaxaay, salutaire à son heure, se révèle aujourd’hui comme une étape dans un processus dont l’aboutissement doit être la restructuration, le réaménagement et l’assainissement des quartiers inondables. Le drame du gros bidonville Fass Paillote dont les habitants ont été recasés à Mbao, en 1986, est un exemple à méditer. Médina Gounas, Wakhinane à Guédiawaye et Djeddah Thiaroye sont des communes dont des pans entiers méritent d’être sortis définitivement de l’eau sans possibilité d’y retourner.

Marouba FALL E- mail : [email protected]



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