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Dème ba dé (partir ou mourir)

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Dème ba dé (partir ou mourir)

Dans la banlieue de Dakar, toute une population est branchée sur le départ pour l'Europe. En dépit du danger de mort. Pour fuir misère et stagnation.

Thiaroye-sur-Mer : ses maisons de plain-pied, ses ruelles ensablées et ses milliers de candidats à l'émigration clandestine. « Ici, tous les gens veulent partir, confie Talla Niang, un professeur d'anglais revenu au pays après des études au Canada. Les jeunes, les filles et même les vieux. » Mamadou, la petite trentaine, est de ceux-là. Malgré deux tentatives avortées et un visa impossible à décrocher, le jeune homme, un bonnet vissé sur la tête, assure vouloir repartir. En pirogue cette fois-ci, destination les îles Canaries.

Depuis que le gouvernement espagnol a renforcé les mesures de sécurité à Ceuta et Melilla en octobre 2005, l'archipel ibérique, considéré comme la première porte d'accès en Europe, fait l'objet de toutes les convoitises. En cinq mois, pas moins de 9 000 Africains, toutes nationalités confondues, y auraient déjà accosté. À la clé de cette aventure : l'espoir de rejoindre le continent et d'y trouver un emploi. Un emploi qui se fait rare au Sénégal, et particulièrement à Thiaroye-sur-Mer.

« C'est la pauvreté qui règne à gogo », explique Talla tout en arpentant les rues sinueuses de cette commune de pêcheurs. Avec l'exploitation abusive des fonds marins, les poissons ont peu à peu déserté les eaux croisées par les pirogues. Désormais, ce sont des hommes qui s'y entassent, par centaines, moyennant 800 euros, un voyage que les familles n'hésitent pas à financer en vendant tous leurs biens personnels et immobiliers. Et ce malgré le risque. « On préfère mourir loin, que rester pauvre ici », lance Mamadou. « Dème ba dé », précise-t-il en wolof, la langue nationale : « partir ou mourir ».

Yayou Bayam Diouf, la présidente du collectif pour le développement intégré de Thiaroye-sur-Mer, en sait quelque chose. En février dernier, elle a perdu son fils unique parti tenter l'aventure. « Il faisait la pêche et il avait des moutons, dit-elle à demi-mots tout en pointant du doigt un petit enclos, à l'angle de la courette de sa maison. Il pensait qu'il aurait un meilleur avenir, mais il est parti dans les eaux... »

Aujourd'hui esseulée, Yayou n'en conjugue pas moins son futur avec celui de sa communauté. Chaque après-midi depuis quelques semaines, des dizaines de femmes meurtries par la disparition d'un fils ou d'un frère se retrouvent chez elle, sur des nattes, à l'ombre d'un grand acacia. Le but de ces réunions : parler. « Elles viennent adoucir un peu la douleur, précise-t-elle. Et chercher des solutions. » Dans un premier temps, ces femmes, qui avaient elles-mêmes aidé leurs proches à émigrer, ont opté pour la sensibilisation. Port d'un brassard rouge en signe de protestation, dénonciation des passeurs et discussions avec les jeunes : tous les moyens sont bons pour empêcher les départs.

« Elles font beaucoup pour le développement de la localité ! s'exclame Talla. Mais on a beau sermonner, prévenir, les gars ils te disent que la mort, ils en ont pas peur. Il faudrait que les autorités prennent leur courage à deux mains. »

Face aux départs massifs des vedettes de la marine nationale ont été affrétées le long du littoral tandis que les troupes de police chargées de surveiller les plages ont été renforcées. Résultat : en quel- ques semaines, 2 000 immigrés clandestins africains et 80 passeurs ont été arrêtés. Reste que les attentes des populations sont tout autres. Le souci dominant, c'est de rester au pays en pouvant vivre de son travail. Certains comme Youssouf, un photographe du quartier, pointe les responsabilités des politiques sénégalais : « On veut travailler chez nous, mais ils ferment les portes, s'indigne-t-il. Il y a les bailleurs qui aident, mais est-ce que la population reçoit ? »

Dans ce contexte, les jeunes préfèrent prendre pour modèle le destin des « Modou-Modou », les Sénégalais d'Europe. Ici, ils construisent des étages aux maisons, financent des ambulances et aident les familles à distance via le transfert d'argent. « Forcément, dit Talla avec un brin d'amertume, quand des personnes ont tenté et ont réussi à aider la communauté, les jeunes se disent pourquoi pas nous ? »



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