Jeudi 25 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Societe

DANS L’UNIVERS DES DOMESTIQUES : Propositions obscènes, méchanceté et vol

Single Post
DANS L’UNIVERS DES DOMESTIQUES : Propositions obscènes, méchanceté et vol

Une marée de jeunes filles âgées de 12 à 45 ans quittent leurs villages natals pour chercher du travail dans les zones urbaines. À Dakar, les domestiques sont nombreuses et ont des «bureaux spéciaux» où les «patrons» viennent demander leurs services : Liberté 6, Sacré cœur, Point E... Dans l’exercice de leur métier, ces bonnes-dames, dont les «voleuses de maris», sont confrontées à divers problèmes notamment de tortures, de chantages, de harcèlements entre autres.

À la Direction générale

Il est 10h au rond-point Liberté 6. Sous le ronronnement des voitures et le sifflement du vent, une épaisse vague de poussière mêlée à  une forte odeur de gasoil envahit l’atmosphère. Le soleil qui pointe à l’horizon dégage une chaleur identique à celle du « cycle de sécheresse » et pousse ainsi un grand nombre de personnes à se mettre sous les arbres. Parmi elles se trouvent une marée de femmes qui sont toutes à la recherche de travail domestique. Ces dernières, dans l’attente d’éventuels «patrons», se mettent dans toutes sortes de positions pour faire passer le temps. Certaines s’adossent aux troncs d’arbres, se recroquevillent sur leur menton et parfois s’allongent à même le sol. D’autres, par contre, font les cent pas ou  se font tresser par leurs amies.

Dès notre arrivée, plus d’une centaine de paires d’yeux se braquent sur nous. Dans l’espoir de se faire embaucher, une d’entre elles, le sourire aux lèvres, demande : «Vous voulez une bonne ? » Avec la réponse négative qu’elle reçoit, elle détourne immédiatement son regard et reprend sa conversation.

Les «patrons», nom qu’elles donnent aux riches qui viennent chercher des domestiques à la «Direction générale» (leur fief) tardent  à pointer le nez. À chaque fois qu’un bruit de voitures se fait entendre, c’est le sursaut chez quelques-unes et la désolation quand elles se rendent compte que c’est une fausse alerte. Khady, une des jeunes filles, me fait savoir que c’est le même scénario qu’elles vivent chaque jour. Avec regret, elle lance : «Les patrons viennent entre 17 et 21h, heure de leur descente». Plus chanceuse, la nouvelle recrue, Saly Faye, prend avec son employeur la direction des Parcelles Assainies sous le regard envieux des autres, non sans recevoir les dernières recommandations de Michelle, la responsable des filles. Elle lui demande de mener à bien son travail afin de pouvoir le garder car «les temps sont durs et le travail est rare», lui murmure-t-elle. La preuve, durant les cinq heures passées avec les travailleuses de maison seuls deux «patrons» se sont présentés. Et un seul a trouvé un accord avec la bonne choisie. C’est la raison pour laquelle ce démembrement de la population composé de jeunes filles âgées de 12 à 45 ans a lancé un cri du cœur.  Elles demandent à l’Etat de leur venir en aide parce que tout ce qu’elles veulent c’est «travailler et rien d’autre».

«Propositions obscènes»

Les témoignages sur les difficultés auxquelles les domestiques sont confrontées sont nombreux. Ces dames sont victimes de toutes sortes de tortures, d’injures, d’accusations de toutes sortes, de harcèlements sexuels et autres.

Binetou Diatta, la vingtaine, le regard triste et larmoyant, raconte son expérience avec son patron, un certain M. Keïta. «Après avoir fini de pisser, mon patron me demandait de lui laver son s…», confie-t-elle. Après un énième accrochage autour de : « Rince-moi mon s…» elle lui a rendu la monnaie de sa pièce en lui jetant à son tour son venin. Ce dernier lui a ainsi demandé de rendre le tablier comme elle n’est pas en mesure de laver son «joujou».

Amy Faye, taille moyenne, le teint dépigmenté, avec une coiffure à la Rihanna, a vécu une histoire aussi renversante. En effet, après avoir marchandé avec elle, un jeune homme, l’a conduite à Ouakam. À leur arrivée, il l’a présentée comme sa sœur. Le jeune lui demande de passer à l’acte B, «coucher avec lui» avant de pouvoir commencer son travail. Amy Faye s’est ainsi muni de son courage et a menacé de le vilipender s’il ne la laissait pas partir. Affolé, l’homme lui donne le billet du retour et la laisse partir. Ces exemples font légion, «les bonnes sont fatiguées», se désole Michelle, la gérante des domestiques qui se trouvent au rond-point Liberté 6.

Méchanceté extrême

D’après Michelle un jour, un patron a ordonné à son chien d’attaquer la bonne et de la mordre. Ce que l’animal a fait et la fille s’en est sortie avec une vilaine blessure, dénonce-t-elle. Michelle reconnaît qu’il y en a qui sont «sauvages et mal élevées», mais trouve inadmissible que les employeurs essaient de régler les différends à leur manière.

Fatou Guèye martèle qu’elles sont considérées comme des malades atteintes de la peste : «on nous écarte de la famille, on ne partage rien avec elle». Quelquefois, à en croire Fatou, après  avoir fini le repas, certaines maîtresses de maison leur lancent 200 francs en leur demandant d’acheter des œufs alors que  «c’est nous qui  préparons les repas», se plaint-elle. Elle dénonce aussi  le fait que certaines domestiques passent leurs nuits dans les garages, couloirs, cuisines, alors que chez eux, elles dorment sur un lit. Si elles acceptent ces conditions c’est, selon Fatou, parce « nous voulons gagner honnêtement notre vie sans avoir à quémander quoi que ce soit».

Vol et larcin

Si elles vivent le martyre dans la plupart du temps, les bonnes sont parfois plus rapides que les TGV. En effet, autant il existe des jeunes filles honnêtes, autant il y en a qui préfèrent utiliser le moyen le plus rapide, le vol et les petits larcins. La dernière déférée pour vol est Kh. Ndong. Elle a fait main basse sur 2,5 millions Fcfa appartenant à son patron. En plus d’avoir piqué l’argent de son employeur, elle l’a appelé pour lui faire savoir que ce n’était pas la peine de chercher l’enveloppe. Elle lui annonce néanmoins qu’une somme de 150 000 FCfa est sous le lit, en guise de compensation. «Pas plus tard qu’hier, il y en a une qui a été déférée» pour vol de bijoux.

Des «allumeuses»

D’aucuns ne caressent pas l’argent ou le matériel de leurs employeurs, mais caressent les maris de leurs «tatas». Elles profitent de leurs formes gracieuses pour faire les yeux doux au père de famille ou au célibataire qui les emploie. Certaines domestiques sont sidérées par ces comportements. C’est le cas de deux copines, Ndèye Fatou et Khady. Une de leurs collègues s’est présentée au rond-point Liberté 6 avec un bel ensemble rouge vif, la tête coiffée d’un joli chignon qui dégage son visage bien maquillé et porte à la main un sac de cuir noir. On pouvait entendre dans leurs chuchotements : «Michelle devrait la renvoyer, celle-là vient faire autre chose que chercher du travail».

Puis elles expliquent qu’un jour une fille tourmentée par les plaintes de sa copine qui n’avait pas où dormir lui a offert l’hospitalité. « Le parasite » a, une fois chez  celle qui l’héberge, couché avec le mari de son amie. Ce qui a brisé le cœur de la « mère Teresa ». Selon Khady et Ndèye Fatou : « On voit du tout à Liberté 6 ».

Adolescentes sacrifiées

Elles sont partout dans Dakar. Du Point E à Liberté 6 en passant par Sacré cœur, des jeunes filles sont exploitées avec le consentement de leurs parents. En provenance généralement des villages et de la Casamance, elles viennent à Dakar afin d’alléger les nombreuses charges de leurs parents. Une bonne partie des familles sénégalaises accepte le service des enfants qui ne sont, parfois, âgés que de 12 ans. Dans les maisons leurs tâches tournent généralement autour du baby-sitting, du ménage et des petites courses…

Originaire de Gossas, Aminata fait partie des petites filles contraintes de supporter les responsabilités des adultes. Elle est arrivée dans la capitale avec pour objectif : «gagner de quoi payer ses fournitures». La petite fille est selon Michelle chouchoutée par la majorité de ses employées parce qu’elle est «adorable», affirme-t-elle. En réponse à la question de savoir si elle est consciente que le travail des enfants est interdit, Michelle répond par l’affirmative : «Les parents nous supplient de chercher du travail à leurs filles parce que les temps sont durs.»

L’ŒIL DU SOCIOLOGUE… : Hadiya Tandian : « Les maîtresses de maison se font voler leur mari parce qu’elles sont négligentes»

Quelle est la perception de la société sénégalaise sur les domestiques ?

Il y a un regard social qui frappe chaque métier. La perception qu’une société a d’un métier dépend de la place que cette activité occupe au sein  et  de la catégorie des hommes qui l’exerce. À propos des ménagères  qui s’ occupent  essentiellement  des travaux domestiques, la société les met généralement au bas de l’échelle du fait que leur activité ne demande pas un certain cursus ou un niveau intellectuel avancé. De ce point  de vue, la société a tendance à les ranger toutes  dans les pauvres ou les nécessiteux dont le salaire n’exige pas une rémunération adéquate.  Cette vision que la société a des ménagères lui fait penser que ces dernières sont dans le besoin, ainsi les employeurs se donnent la liberté de ne pas s’occuper d’elles.

Qu’est-ce qui explique que des  domestiques finissent par se marier avec leur patron ?

Les maîtresses de maison se font voler leur mari parce qu’elles sont négligentes. Elles délèguent à leurs bonnes des tâches qui leur sont dévolues. Or les hommes, par affinité et proximité, finissent par nouer des relations amoureuses avec celles qu’ils voient à la place de leurs femmes. La longue proximité donne naissance à des échanges visuels, de mots et psychologiquement cela pousse l’homme à adopter sa bonne, créant ainsi des relations amoureuses accidentelles. De ce fait, les codes amoureux que le mari à l’habitude de donner à sa femme sont déviés chez une autre. Il faut ajouter que les « gens de maison » sont des femmes comme les autres qui peuvent être douces, aimables et aimées.

COMMENTAIRE : Halte au travail des petites filles !

Il est normal qu’un enfant donne un coup de main à ses parents, mais il est anormal qu’il soit exploité. Ce qui est dénoncé par un rapport du Bit. Malgré tout, c’est un phénomène récurrent au Sénégal. La crise financière a provoqué le désarroi chez certains parents qui préfèrent sacrifier leurs filles en faisant d’elles des employées de maison. Comment un parent peut-il laisser son enfant âgé d’à peine 10 ans prendre en charge la famille au moment où ses camarades sont en classe ? Le sens de la responsabilité très tôt transmis à l’enfant freine ainsi son épanouissement. Il n’aura pas le temps de s’adonner aux activités de sa génération. Les adultes ont du mal à supporter les lourds fardeaux de la vie. Il ne peut en être autrement pour l’enfant. Ces  parents ont-ils le droit d’éteindre l’étincelle joyeuse qui scintille dans les yeux de tout enfant ? Le regard de ces enfants laisse apparaître toute la peine qui meuble leur quotidien. Les parents privilégient leurs intérêts aux dépens de ceux de ces toutes petites filles exploitées et abusées à longueur de journée. Pis, les filles qui travaillent comme employées de maison, loin de chez elles, sont fréquemment victimes de mauvais traitements physiques, psychologiques et de sévices sexuels qui mettent leur santé en péril. Cela malgré les différents ateliers, journées de sensibilisation, actions des Ong qui sont organisés pour leur protection … Les stratégies adoptées pour arrêter le travail des enfants seraient-elles inefficaces ? Il est temps pour les acteurs de mettre un terme à cette exploitation des petites filles qui n’honore pas le Sénégal, l’Afrique en général.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email