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DEBAT - Engagement humanitaire des artistes : Youssou Ndour, conscience de son temps ?

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DEBAT - Engagement humanitaire des artistes : Youssou Ndour, conscience de son temps ?

En dépit de l’urgence humanitaire sur le continent, les stars de la musique africaine se signalent souvent par leur absence, à l’exception du Sénégalais Youssou Ndour. Depuis presque deux décennies, il met sa renommée au service des grandes causes.

«L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs en une circonstance particulière de sa vie a mesuré sa responsabilité d’écrivain.» C’est ainsi que s’exprimait, il y a plus d’un demi-siècle, dans «Situations II», Jean Paul Sartre, le philosophe existentialiste et écrivain de la liberté. Ainsi du coup, il théorisait la notion d’engagement de l’intellectuel en situation. En d’autres termes, l’intellectuel a le devoir d’user de l’autorité intellectuelle ou morale que lui confère son statut et la mettre au service de la vérité et de la défense des opprimés, bref de prendre position.

Plus de cinquante ans plus tard, le magister des «entertainers», des gens du spectacle, s’est peu ou prou substitué à celui des intellectuels tout-puissants des dernières décennies. Ainsi, les artistes du monde de la musique, particulièrement, jouent de plus en plus ce rôle de leaders d’opinion jadis dévolu aux intellectuels.

Mais, si cette fonction est bien remplie par les artistes européens et surtout anglo-saxons, il en est loin de même en Afrique. Pour preuve ? Devant les massacres de centaines de milliers de Darfouris par les impitoyables miliciens djandjawids à la solde du régime de Khartoum, aucune mobilisation d’envergure, d’intellectuels ou de musiciens africains, n’a eu lieu à ce jour. A la notable exception de l’initiative d’un groupe de rappeurs africains de se rendre dans la région sinistrée, dans les prochaines semaines.

Peu de temps avant de faire son entrée dans le short list des 100 personnalités les plus influentes dans le monde, confectionné par le magazine américain Times en compagnie de cinq autres Africains, Youssou Ndour a été l’un des rares artistes africains importants à parler ouvertement de cette tragédie.

Ironie du sort, il partage la liste avec un certain Omar el-Béchir du Soudan et dont les Djandjawids sont à sa solde. Usera-t-il de toute son «influence» pour convaincre Béchir d’arrêter la tragédie du Darfour, là où toute la communauté internationale a échoué ? Les Africains et les puissants de cette planète, l’entendront-ils ? A la suite de Sartre qui s’interrogeait sur le pouvoir de la littérature face à un enfant qui meurt, on se questionne sur le pouvoir du mbalax devant les ententes inavouables des puissants et une guerre qui vire au génocide.

Cependant, il faut savoir gré à l’enfant de la Médina, qu’il a toujours été fidèle à cette morale de l’engagement, au cours de sa carrière musicale, et quelle que soit, du reste, son efficacité. Quelques piqûres de rappel. Déjà en 1985 par exemple, il était à l’initiative d’un concert tenu à Dakar, pour la libération de Nelson Mandela alors incarcéré dans l’île-bagne de Robben Island sous le régime de l’Apartheid. Quelques années plus tard, en 1987, à l’initiative de l’auteur du fameux album So, la rock star anglaise, Peter Gabriel, il sillonna plus d’une quarantaine de pays dans le monde en compagnie d’autres superstars du rock telles que les Américains Bruce Springsteen et Tracy Chapman et l’Anglais Sting, dans le cadre La tournée «Human rights now !» (Les Droits de l’Homme Maintenant !), parrainée par l’organisation de défense des droits humains, Amnesty international. Il faut dire que sa participation à cette tournée de promotion des droits humains l’a convaincu des avantages que l’on peut en tirer, en termes de leadership surtout.

En effet, les musiciens anglo-saxons ont, traditionnellement, une solide culture de défense des causes humanitaires, quelles qu’en puissent être les arrière-pensées qui se cachent derrière. Également présent sur le terrain humanitaire africain, il participe au début des années 2000, aux côtés du grand prêtre de la rumba congolaise, Papa Wemba et d’autres artistes africains, à une tournée à travers les pays du continent ravagé par la guerre civile et les mines (Angola, Libéria, Sierra-leone...), pour prêcher un retour à la paix. De cette initiative est né l’album So why ?

Enfin, dernier engagement en date, il a pris la tête de la croisade contre le paludisme en Afrique («Roll back Malaria») à travers le concert Africa live en 2005 à Dakar, en compagnie de musiciens africains tels que Salif Keita, Angélique Kidjo ou encore Rokia Traoré.

On l’aura remarqué, si l’auteur de Seven seconds met sa notoriété et son influence au service de presque toutes les grandes causes humanitaires en Afrique, il n’en est pas toujours de même chez les autres ténors de la musique africaine, a contrario des artistes anglo-saxons. Ainsi, Bono, le chanteur irlandais du groupe de rock U2, secondé du même Youssou Ndour, mène depuis des années une intense campagne de lobbying pour l’effacement total de la dette des pays sous-développés et singulièrement africains.

Qui ne se souvient, en outre, du formidable élan de solidarité suscité en Amérique et en Angleterre par la terrible famine en Ethiopie en 1985 ?

Ainsi, aux Etats-Unis, Michael Jackson regroupa des artistes de presque toutes les sensibilités musicales autour de l’initiative Usa for Africa. L’opération connut un énorme succès et l’argent recueilli de la vente des millions d’exemplaires du single We are the world, servit à venir en aide à l’Éthiopie. Dans la même foulée, les Anglais prenant part à ce vaste mouvement de solidarité mirent sur pied le fameux concert Live Aid regroupant des stars telles que Phil Collins, Peter Gabriel ou Sting...

Cependant, avant que Youssou Ndour ne prenne l’initiative de mobiliser les artistes africains en faveur du Darfour, seules des personnalités occidentales se sont évertuées à tirer le tocsin sur cette tragédie qui se joue quasiment à huis clos, tel que le philosophe français Bernard-Henry Lévy ou l’acteur américain George Clooney.

Donc, contrairement à celui africain, la puissance du star system anglo-saxon confère une énorme audience et influence à ses artistes et en fait des leaders d’opinion efficaces. Même si on ne peut leur demander de se muer en pompiers, voltigeant au gré des innombrables brasiers qui enflamment le continent, les artistes africains ont, tout de même, le devoir de s’engager.

Devant l’urgence humanitaire, faire le contraire, serait un luxe qu’ils ne sauraient se payer.



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