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DOSSIER : ÊTRE DOMESTIQUE À DAKAR «Bonne à tout faire»

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DOSSIER : ÊTRE DOMESTIQUE À DAKAR «Bonne à tout faire»

C’est pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Mais surtout pour ne pas se lancer dans le plus vieux métier du monde, que certaines filles préfèrent faire le travail de domestique. Malheureusement pour elles, le chemin est parsemé d’embûches, le travail n’est pas facile ; parce que pour un modique salaire, certains patrons exigent certaines faveurs.

Elles sont assises sur des nattes, des cartons, ou simplement sur des pagnes. Elles, ce sont les femmes qui cherchent un travail de domestique. Elles sont tranquillement assises au rond-point Liberté 6. L’endroit communément appelé «Copet». Quand quelqu’un cherche une domestique, c’est là-bas qu’il se rend. Elles sont nombreuses à cet endroit. Comme à d’autres endroits similaires à Dakar, où les domestiques se regroupent, attendant tranquillement des gens à la recherche d’une domestique. Et cela peut durer plusieurs jours, voire plusieurs mois. Et pour la majorité d’entre elles, leurs familles sont à l’intérieur du pays. Elles se débrouillent tous les jours pour trouver à manger.

Solidaires, elles s’organisent pour payer elles-mêmes le repas et le transport. Rares sont les citoyens sénégalais qui se préoccupent de leur situation ou de leur sort. Seules celles qui ont de la chance s’en sortent. Mais les autres sont exposées et peuvent emprunter la mauvaise voie. Alors qu’elles sont toutes venues à Dakar pour réussir à gagner honnêtement leur vie. Comme l’explique C N. Venue de Bambey, Coumba est orpheline de père. Elle exerce ce métier pour subvenir aux besoins de ses frères. Mais d’après son témoignage, elle est loin d’être satisfaite de son métier. «Ca fait plus d’un mois que je suis sans boulot. Mais Dieu sait que notre travail est dur. Non seulement le salaire ne dépasse pas 25.000 Francs Cfa, mais partout où tu passes, c’est la même chose : les patronnes sont méchantes, elles te laissent tout le boulot et à la fin du mois, au lieu de te payer, elles t’accusent de vol, pour ensuite te virer sans même te payer. Pire, elles te disent que tu veux leur piquer leur mari. Et pourtant, Dieu sait qu’avec les hommes, on en voit de toutes les couleurs. Malheureusement, moi, je n’ai jamais essayé d’entretenir des relations amoureuses avec mes patrons, je ne fais pas partie de ces genres de filles». Même son de cloche chez N F et F D, qui ont osé elles aussi parler, mais avec beaucoup d’hésitation. Pour ces dernières, le travail de domestique comporte trop de dangers. D’après elles, il y a des filles, qui, par contre, ne viennent qà «Copet» que bien sapées, uniquement pour trouver quelqu’un à charmer. A en croire N F, elle connaît des filles qui n’ont jamais travaillé dans une maison et qui pourtant «sont avec nous à la recherche d’emploi ». Et d’ajouter : «Certains hommes, du matin au soir, ne cherchent qu’une domestique avec qui ils peuvent satisfaire leur envie». Pour C N, comme pour N F, toutes les bonnes ne sont pas des saintes ; il y en a certaines qui se lancent dans ce métier rien que pour ternir leur image. Si à Liberté 6, les bonnes sont un peu coopérantes, au point E, tel n’est pas le cas. Néanmoins, le décor reste le même. Ces femmes semblent être moins portées à communiquer. Les seules phrases qu’elles ont eu à prononcer sont : «Le travail de domestique est dur, vraiment nous sommes fatiguées».

CONFIDENCES D’UNE JEUNE BAOL-BAOL : «A 12 ans, je vivais avec cinq mille francs que je gagnais par mois à Dakar»

Bintou Diop est «Baol-Baol», elle appartient à cette ethnie réputée pour son sens des affaires, mais aussi pour sa bravoure. Jeune, belle, avec un physique de déesse, elle a préféré gagner honnêtement sa vie en devenant domestique. Mais après avoir exercé ce métier pendant huit années, elle retrouve la rue. Le cas de Bintou montre que les domestiques au Sénégal sont non seulement laissées à elles-mêmes avec tous les services qu’elles rendent, mais elles sont souvent exposées à des dangers. Bintou raconte sa vie de domestique.

C’est au rond-point Liberté 6, communément appelé «Copet», que nous l’avons trouvée. Au milieu de plusieurs femmes, toutes à la recherche d’un boulot de domestique. Bintou Diop se fait remarquer au milieu de ses camarades. Elle est jeune, elle n’a que vingt ans, avec une noirceur d’ébène, donnant l’allure d’une vraie «Baol-Baol». Elle ne le cache pas, elle confie qu’elle vient de Lambaye dans la capitale du Baol. Elle a quitté son village natal à l’âge de 12 ans. Et elle raconte que lorsqu’elle a débarqué à Dakar toute jeune, on lui a confié un travail de domestique. Qu’elle a tout de suite accepté. Car elle devait envoyer régulièrement de l’argent à sa famille laissée au village. Avec ce travail, elle percevait dix mille francs Cfa. Elle envoyait la moitié à sa famille et se débrouillait avec le reste pour vivre à Dakar. Et pour qui connaît Dakar, on ne peut pas vivre pendant un mois avec cinq mille francs. Pourtant elle le faisait. Quand elle tombe malade, c’est avec cet argent qu’elle se soigne.

Donc c’est avec cette somme qu’elle a vécu pendant des années. Seule, sans protection et pendant des années. Un jour une de ses amies lui a confié qu’au centre ville, il y a des entreprises qui sont prêtes à payer le triple de ce qu’elle gagnait. C’est alors qu’elle a décidé de quitter cette maison pour se rendre à Reubeuss. N’oubliant pas tout ce qu’elle a subi durant les années qu’elle a servi comme domestique dans cette maison. Sans défense ni rien, exposée à des harcèlements et à des tentatives de viol, sans avoir personne pour se confier. Elle était dans la même situation que beaucoup d’autres jeunes filles de son âge. Mais elles étaient souvent protégées par des hommes qui travaillent comme elles dans les maisons, et qui sont souvent de la même ethnie qu’elles.

Lorsqu’elle s’est rendue au centre ville, elle est tombée sur une agence de la Sde. Recrutée comme technicienne de surface, elle avait un salaire de 32 000 Fcfa par mois. Transformant totalement sa vie. Mais comme la Sde est une entreprise sérieuse et organisée, on lui a demandé de servir une pièce d’identité. Alors que quand elle quittait son Lambay natal, elle n’avait même pas de bulletin de naissance. C’est ainsi qu’elle a perdu son travail, faute de pièce d’identité. Mais elle va tomber sur une autre dame. Qui cherchait une femme pour préparer à manger à son mari et à ses employés qui travaillent dans un atelier de mécanicien. Le salaire convenu s’élève à 25 000 Fcfa par mois. Mais à la fin du mois, elle se retrouvait avec 50 000 Fcfa, car les membres de cette famille étaient généreuses envers elle. Mais comme on dit, «quand une personne te donne de l’argent, elle pense qu’elle a droit à tout». Alors qu’avec Bintou ça ne marche pas ainsi. Finalement elle a eu des problèmes dans cette famille. Et depuis lors, elle cherche du travail. Laissée à elle-même, Bintou continue de croire à sa bonne étoile, et à penser qu’elle peut gagner dignement sa vie.

LECTURE DE KALLY NIANG, SOCIOLOGUE : «Considérées comme des parias, les bonnes font souvent l’objet d’avances ou de harcèlements sexuels»

«Le travail de domestique concerne essentiellement les bonnes, communément appelées «Mbidanes» en Wolof. Le phénomène est fluide, mais d’amplitude plutôt élevée dans la société sénégalaise d’aujourd’hui», explique Kally Niang, sociologue. Selon M. Niang, la répartition selon l’ethnie montre que les Sereer (65%) et les Joolas (15%), sont les plus représentés et viennent pour la plupart du Sine et de la Casamance. «La principale raison est que généralement il y a les échecs scolaires. Et avec la pauvreté ou la précarité, elles sont obligées d’entrer dans des logiques de survie économique. Donc, c’est ce qui explique un peu l’avènement de cette situation. Maintenant, il y a une forme d’exploitation économique. Les bonnes sont généralement considérées comme des parias, elles ont des charges de travail qui sont presque inhumaines», a-t-il expliqué. À l’en croire, au-delà de cette condition, il y a des tentations. Par exemple, elles sont victimes de harcèlements de la part de leurs employeurs. «Mais il faut voir que ces pratiques sont motivées simplement par des dysfonctionnements qui sont notés au sein même du foyer. Si c’est un célibataire par exemple, ça pose moins de problème ; parce qu’il y a d’abord la proximité géographique, ensuite physique... Mais si par contre c’est un homme marié, beaucoup de mariages sont disloqués parce que tout simplement une bonne est entrée dans la vie conjugale ou dans la vie du couple de manière générale. Les explications qu’on peut donner, c’est que généralement, on pense que s’il s’agit d’un couple qui a une durée de vie qui dépasse une dizaine d’années par exemple, l’homme est dans une situation de reconquête et généralement, ce sont des bonnes qui ne sont pas forcément moches et qui effectivement, jouent le rôle d’épouses dans le foyer au-delà de leur travail proprement dit. Donc, il y a une complicité entre l’employeur et l’employé, la bonne», dit Kally Niang. Et de poursuivre que «cette complicité se transforme généralement en des avances et le harcèlement sexuel est alors enclenché. Mais aussi ce sont des relations plus ou moins normales, car généralement il y a un certain plaisir partagé entre l’employée et de l’employeur». «Mais autre chose, c’est qu’en effet au sein des ménages, surtout au niveau des centres urbains, il y a en général des problèmes qu’on ne rencontre pas dans les zones rurales. Parce que même le phénomène de ces emplois domestiques n’existe pas en zone rurale. Il y a exode rural et ce sont des filles qui quittent la zone rurale pour venir au niveau des centres urbains dans l’espoir de trouver un travail. Pour Mr Niang, il y a des risques, parce qu’effectivement nous sommes tous des humains. Mais le risque vient de cet écart qu’il y a entre le référentiel culturel de la bonne, c’est-à-dire qu’elle a été socialisée dans un cadre qui est différent du cadre d’accueil. Donc, dit-il, quelqu’un qui quitte un village quelconque et qui vient à Dakar trouve des réalités nouvelles. «Ainsi les dispositifs ou les références culturelles ne sont pas forcément les mêmes, donc elle est obligée de s’adapter. Maintenant, c’est dans ce processus d’adaptation qu’il y a quelques dysfonctionnements et pour parler de ces dysfonctionnements il y a des changements d’attitude et même de comportement. L’employeur vicieux sait que la bonne est dans une situation économique qui n’est pas forcément favorable. Ce qui fait que ce sont généralement des harcèlements sexuels et même des abus de la part des patrons ou d’une personne influente dans la maoson», conclut M. Niang.



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