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Emigrer, le seul espoir d'une vie meilleure pour de nombreux pêcheurs au chômage

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Emigrer, le seul espoir d'une vie meilleure pour de nombreux pêcheurs au chômage

Sur cet important quai de pêche situé au sud de Dakar, la capitale sénégalaise, toutes les discussions tournent autour des difficultés que rencontre le secteur de la pêche et des importants revenus que le convoyage des candidats à l'émigration clandestine peut procurer aux propriétaires de pirogues.

Ville dont l'activité est essentiellement centrée sur le tourisme et la pêche, Mbour est située à quelque 80 Kms au sud de Dakar, et à 1 500 Kms de l'archipel espagnol des Canaries, la porte d'accès à l'eldorado européen, pour ces clandestins qui parviennent à faire la traversée de l'océan Atlantique en pirogue.

Peintes en bleu et jaune, ces longues embarcations en bois, appelées « Mbeukk-mi » - expression tirée du Wolof, la langue la plus parlée au Sénégal, et symbolisant des pirogues parées pour prendre d'assaut les vagues - partent des plages de Dakar pour rejoindre la haute mer, chargées de nombreux candidats à l'émigration. Pour la plupart, elles sont construites à Mbour et dans d'autres localités du littoral sénégalais.

« Un jour, j'ai vu des gens installer sur une pirogue des bancs et des dossiers pour passagers, ce qui n'est pas habituel pour un équipage en mer. J'ai compris que c'était pour le transport de clandestins », a commenté Moustapha Samb, un jeune antiquaire resté à quai parce qu'il n'a pu réunir les 400 000 francs FCA ou plus (800 dollars américains ou plus) exigés pour la traversée.

Pape Coly Ndiaye, un jeune pêcheur au chômage, rêve aussi de partir.

« Personnellement, j'étais contre l'aventure. Mais comme les pêcheurs n'ont plus les moyens de payer l'essence des moteurs des pirogues et que le poisson se fait rare, la seule solution est d'aller à l'assaut des vagues », a-t-il expliqué, quelque peu désespéré de sa situation.

Alors que la pêche est la principale source des revenus d'exportation du Sénégal, le jeune pêcheur avoue qu'en dix ans de sorties en mer, il n'a pas pu épargner 100 000 francs CFA (195 dollars). Ce qui n'est rien, comparé aux 20 000 francs CFA que certains de ses amis, partis en Europe, affirment gagner chaque jour.

Marché aux poissons à Dakar

La police sénégalaise engagée dans la lutte contre l'émigration clandestine

La pauvreté et le chômage sont les principales raisons qui poussent les jeunes à prendre la mer. Selon la Cellule de lutte contre l'émigration clandestine, les forces de sécurité sénégalaises ont arraisonné une vingtaine de pirogues et appréhendé plus de 2 000 clandestins au large des côtés sénégalaises.

Le 29 mai, 500 clandestins ont été arrêtés et les quelque 300 naufragés sénégalais qui avaient échoué sur les plages du Maroc au cours des deux dernières semaines, ont été rapatriés au Sénégal, en même temps que les corps de sept noyés.

60 passeurs figurent parmi les personnes arrêtées au cours des quinze derniers jours et des millions de francs CFA ont été saisis sur les aventuriers appréhendés ainsi que sur les organisateurs qui étaient à bord des embarcations.

Les clandestins pris sur les côtes sénégalaises, notamment à Mbour et à Rufisque (Sud), Saint-Louis (Nord), Thiaroye et Parcelles assainies (des banlieues de Dakar), étaient des Sénégalais, en majorité, mais aussi des Ghanéens, Libériens et Ivoiriens.

« Depuis ces arrestations, les choses se sont calmées, peut-être grâce à l'effet de la répression et de la sensibilisation. Le phénomène a pris cette ampleur à cause des rumeurs selon lesquelles les premiers seraient entrés en Espagne sans problème, et y travailleraient à la demande du gouvernement espagnol qui aurait besoin de main d'oeuvre », a indiqué Mamadou Diagne, commissaire de police de Mbour

Les autorités de l'archipel des Canaries ont été prises de court par cette vague sans précédent d'émigrants clandestins - près de 9 000 depuis le début de l'année, contre 9 929 pour l'année 2002. Ne pouvant rapatrier ces émigrants vers leur pays d'origine, puisque beaucoup d'entre eux sont sans papier d'identité, ces derniers sont acheminés en avion vers l'Espagne.

Face à cette déferlante d'émigrés, le gouvernement espagnol a dépêché en Afrique de l'ouest un envoyé spécial dont la mission a été de convaincre les pays d'émigration de signer une convention de rapatriement avec l'Espagne en échange d'une aide financière substantielle. Par ailleurs, les pays européens envisagent d'effectuer des patrouilles aux larges des côtes d'Afrique de l'ouest pour réduire l'afflux des émigrés clandestins.

Les côtes du Sénégal baignées par l'océan Atlantique

Quand les pêcheurs se transforment en passeurs

Alors que de plus en plus de personnes pensent pouvoir s'enrichir rapidement, certains pêcheurs sénégalais ont vite flairé dans l'émigration clandestine une nouvelle occasion de faire des affaires.

« Ce ne sont pas des réseaux de passeurs, mais des gens qui achètent des pirogues, recherchent des candidats à l'émigration et organisent le voyage qui peut leur rapporter jusqu'à 30 millions (60 000 dollars), après déduction des frais », a expliqué le chef de la police de Mbour.

La vague de départs tous azimuts vers les Canaries a alimenté un commerce, puis une spéculation sur la valeur des pirogues. Ces embarcations de 20 mètres de long, généralement dédiées à la pêche artisanale, étaient achetées à pas moins de six millions alors qu'une pirogue du genre coûterait habituellement trois fois moins.

« Des pirogues sont proposées à 7 ou 8 millions à Mbour, une somme nettement supérieure à ce que leurs propriétaires peuvent gagner en une année de pêche », a renchérit Pape Coly Ndiaye.

Des propos confirmés par Badou Ndoye, le président du comité de gestion du quai de pêche de Mbour.

« Si j'avais su plus tôt, j'aurai vendu ma pirogue, qui est en bien meilleur état que d'autres qui ont été vendues pour les voyages vers les Canaries, et j'aurais constitué mon équipe de navigateurs ».

Nous n'avons pas peur de mourir en mer

A défaut de vendre sa barque, organiser un voyage vers les Iles Canaries rapporterait plus d'argent au vieux pêcheur et ne nécessiterait qu'un petit investissement. En effet, pour Badou Ndoye, il suffit de deux moteurs en bon état et de 23 fûts de 200 litres de carburant pour effectuer voyager aller-retour vers les Îles Canaries.

« On n'a plus rien. Un responsable comme moi peut laisser sa pirogue à quai pendant des jours parce qu'il ne peut pas se payer du carburant pour aller en mer. Mes trois dernières sorties ne m'ont rapportées que 3600 francs (7 dollars) de bénéfice », a-t-il confié à IRIN.

« Si j'avais 45 à 50 ans, je serais parti en Espagne, après avoir vu un marabout pour m'assurer que le voyage se déroulera bien. Comme ces jeunes candidat à l'émigration, j'ai besoin d'argent », a-t-il renchéri.

Pour Mouleïna Diouf, 66 ans, pêcheur au port de Mbour, l'aventure fait aussi partie de la vie des pêcheurs sénégalais.

« Chez nous, nous n'avons pas peur de mourir en mer. On meurt bien dans son lit ! Le plus grand défaut pour un pêcheur serait de manquer de courage »,

Les équipages des pirogues ont souvent des téléphones satellitaires et des systèmes GPS qui pourraient leur permettre d'aller jusqu'en Amérique, a ajouté ironiquement le vieux pêcheur. Après tout, n'est-il pas déjà allé à la rame au Ghana ?

« Aucun de nos pêcheurs ne meurt en mer. Ils n'ont rien à perdre. Les bateaux de pêche européens pillent nos ressources », a-t-il lancé.

Lassana Sadio, chef du poste de contrôle du service des pêches, rejettent les arguments avancés par les pêcheurs pour justifier cette émigration. Selon lui, il y a encore beaucoup de poissons aux larges côtes sénégalaises, et il existe une ligne de crédit pour financer les professionnels de la pêche. Toutefois, il reconnaît que la concurrence est de plus en plus rude.

« Quinze ans auparavant, il y avait 200 pirogues à Mbour et aujourd'hui il y a en près de 1000 ».

 



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