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ENTRETIEN AVEC... ABDOU SALAM SALL, Recteur de l’Ucad : «L’Université n’est pas un lieu de non-droit»

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ENTRETIEN AVEC... ABDOU SALAM SALL, Recteur de l’Ucad : «L’Université n’est pas un lieu de non-droit»

Au cours d’un entretien qu’il avait accordé au journal Le Quotidien à l’occasion d’un voyage sur Johannesburg, le recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Abdou Salam Sall, avait soulevé plusieurs questions qui continuent d’agiter le milieu universitaire. Dont notamment les grèves cycliques et leurs commanditaires.

Vous avez l’ambition de développer un important parc scientifique à l’Université de Dakar, mais la majorité de vos étudiants se dirige vers des filières littéraires. Cela ne crée-t-il pas un décalage entre les ambitions et les réalités ?

C’est vrai qu’à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, les clés de répartition sont problématiques entre les littéraires et les scientifiques. Nous essayons de corriger cela, mais il faut tout de suite dire que la Faculté des Sciences est remplie ! C’est pour cela, et en rapport avec le gouvernement, qu’on est en train d’envisager l’ouverture d’autres centres. C’est la Banque mondiale, chef de file des bailleurs qui, dans les agrégats macroéconomiques, limitait nos pays. Elle est aujourd’hui la première à reconnaître la place et le rôle de l’enseignement supérieur dans le système, de façon globale. Et on s’est accordé que pour démarrer les choses, pour percuter le développement socioéconomique, il faut des masses critiques. Or pour les masses critiques, il faut plus d’étudiants, surtout dans les filières scientifiques. Nous sommes en train de voir comment rectifier d’abord les profils des littéraires, parce que contrairement à une idée bien reçue, les Technologies de l’information et de la communication, ce n’est pas seulement pour les scientifiques ! Ceux qui peuvent nous permettre de peser sur les contenus, ce sont les littéraires.

Nous allons travailler à cet effet, pour que la propriété immatérielle de notre société soit visible, que l’outil multimédia l’autorise. Il faut essayer aussi, au niveau du secondaire et même du primaire, de revoir le processus pour corriger ce déséquilibre qui est dangereux pour le pays, parce que tout simplement on va former beaucoup de diplômés qui n’auront pas d’emplois. Les niches d’emplois, ce n’est pas seulement dans les filières littéraires. On a plus de niches d’emplois dans les filières scientifiques et on en a besoin. Avec le ministère de l’Education, nous avons recensé un certain nombre de problèmes qu’on va essayer de traiter pour avoir plus de scientifiques. Mais corrélativement au nombre de bacheliers, nous devons ouvrir d’autres centres. Le Sénégal a le potentiel pour avoir suffisamment d’enseignants. Et certains d’entre eux, qui étouffent à Dakar, voudraient s’épanouir ailleurs pour diriger quelque chose. On a beaucoup de doctorants ou de docteurs qui sont au Sénégal ou dans le monde, et qui, depuis qu’on a augmenté les salaires des enseignants, ne cessent de demander à rentrer.

Aujourd’hui, avec le réseau de télécommunications, si on négocie bien, on peut utiliser la fibre optique pour distribuer des enseignements en ligne, en visioconférence. Le Sénégal, dans ce domaine, a des atouts, surtout qu’aujourd’hui, le fondement c’est l’économie du savoir. C’est la connaissance qui détermine les choses. Le Sénégal a des atouts, mais faudrait-il qu’on travaille, qu’on s’accorde sur l’essentiel, qui est le bien-être des populations.

Mais, il y a une autre limite, c’est le cycle des grèves à l’Université. Y a-t-il un processus dans un court terme pour finir avec ces grèves cycliques ?

Les grèves altèrent la visibilité de l’Université, même si les fondements sont justes. Tout récemment, nous avons eu un classement. Parmi les 100 premières universités africaines, on est classé 20e, derrière les universités sud-africaines. Cela veut dire que nous sommes dans un monde ouvert, où tout se voit, tout se repère et toute l’attractivité est fonction des capacités dans les universités. On a vu le développement fulgurant des call centers. C’est parce que tout simplement nos étudiants en Lettres avaient une bonne diction et on pouvait très rapidement les prendre. Dans un monde en globalisation, il faut qu’on sache que dans le monde anglo-saxon, il n’y a pas de grèves et nous sommes en compétition avec ces étudiants dans le secteur du marché international. Les firmes vont de plus en plus prendre de l’espace et elles recruteront ceux qui sont plus compétents, où qu’ils se trouvent dans le monde.

Mais des problèmes se posent. Avec toute la bonne volonté, toute l’anticipation, nous sommes confrontés à des problèmes majeurs. Normalement au niveau de Dakar, on aurait dû faire un numerus clausus et recruter sur la base des places disponibles. Mais on ne recruterait pas tous les étudiants. C’est un problème complexe. Il y a le nombre des bacheliers qui croit, l’argent qui n’est pas là, la nécessaire diversification. Il y a aussi l’héritage de protestation. En soi, la protestation n’est pas mauvaise. Ce sont les formes de protestations qui posent problème. Le temps de travail est sacré. Si nous sacralisons le temps de travail, on peut trouver des formes de dialogue, d’anticipation. Mais la solution la meilleure, premièrement, c’est de désengorger l’Université de Dakar, faire en sorte que Dakar absorbe en fonction de sa qualité et de ses capacités propres. Deuxièmement, renforcer le dialogue ; troisièmement, tous les segments de la société doivent participer au financement de l’enseignement supérieur et à son management. Mais on constate malheureusement que tout est laissé entre les mains de l’Etat, qui ne peut pas assumer ce que nous souhaitons, parce que nous visons haut.

Nous sommes dans un monde en compétition et je ne veux pas que l’Université de Dakar soit jugée comme une université du Sud. Mais une université au Sud, ayant les mêmes exigences de toutes les universités. Et c’est pour cela d’ailleurs que nos collègues qui nous rendent visite comprennent qu’on partage les mêmes paradigmes et sont impressionnés. Nous visons haut, mais cela demande que l’on change de perceptions de l’université dans la société et que toute la société l’accompagne. Un collègue recteur m’a dit que, lorsque ses étudiants ont voulu aller en grève, c’est la société qui a intercédé. Quand est-ce que la société sénégalaise intercédera pour défendre son université ?

S’agissant de l’ouverture des Centres universitaires régionaux et du financement de l’Université, les autorités universitaires ont-elles réfléchi à la réduction de la part de l’Etat au profit d’autres sources de financement ?

Pour les Centres universitaires régionaux (Cur), on n’a pas le choix ! Dakar a 48 300 étudiants. Nous attendons 18 mille bacheliers au moins, dont 70% de littéraires. Il est clair qu’il n’y a plus le choix quant à l’ouverture des Cur. Je pense que, très rapidement, les recteurs et les administrations seront nommés et que les gens vont travailler pour qu’à la rentrée prochaine, et je préfère octobre à décembre, les enseignements démarrent. Les programmes des universités de Ziguinchor et de Thiès sont disponibles. On va demander si ces antennes seront autonomes ou non, mais il est clair que Dakar, ayant la taille critique, doit aider au développement des autres centres universitaires. Et dans son propre intérêt, Dakar doit aider à l’ouverture des centres universitaires.

Par rapport au financement, l’Etat doit participer davantage. L’Université doit aussi contribuer au financement par une gestion rationnelle et efficace du budget, mais aussi par les ressources qu’elle génère. Nous avons un projet de polyclinique universitaire qui va nous permettre d’avoir des ressources, de même que les diplômés de l’Université qui tiennent leur position sociétale par les parchemins qu’ils ont reçus à l’Université. Il ne devrait pas être difficile de mobiliser 5 000 diplômés qui, en moyenne, donnent 100 mille francs, ça ferait 500 millions !

Si on injecte 300 millions dans la recherche et l’aide à l’Université, et 200 millions dans l’investissement, dans un délai de 10 ans, on pourra bâtir beaucoup de choses. Les apprenants et leurs familles doivent participer davantage. Mais cela doit se faire en tenant compte des revenus différenciés. Ça nous exige un cadre de travail en partenariat avec les banques, de sorte que quiconque veuille accéder à l’enseignement supérieur, s’il en a les capacités, ne soit pas bloqué par l’argent parce qu’il peut tout simplement aller à la banque, emprunter et financer ses études. Il faut qu’on tienne compte de notre environnement de pauvreté. Je suis contre la politique des bourses. Je suis pour la politique des crédits. Je vais progressivement la proposer et ce sera un processus concerté. L’immobilisme, c’est le chaos. La dynamique, c’est le futur.

Tout dernièrement, on a parlé de violation des franchises universitaires. Qu’en est-il ? Ces franchises sont-elles un bien ou un frein au développement de l’Université ?

Quand j’ai rencontré des diplômés pour la création de la fondation Ucad, l’un deux m’a dit : «M. le recteur, de la poste de la Médina jusqu’au Relais, toute la zone devait être déclarée dans les franchises universitaires, parce qu’il y a ou des écoles ou des hôpitaux ou l’Université.» Les franchises, c’est l’espace qu’on crée pour que toutes les réflexions soient autorisées. Qu’aucune réflexion ne soit bridée. La réflexion, mais pas la force. Ce sont les fondements des franchises universitaires. Que les professeurs ne soient pas réprimés par rapport à leurs enseignements, pourvu que ça coïncide avec ce qu’il y a de mieux dans sa discipline ou même d’améliorer sa discipline.

L’Université est aussi un endroit d’apprentissage. Les étudiants quittent chez eux et croisent d’autres, apprennent la contradiction, acceptent la différence et se transforment en citoyens. Je crois que beaucoup ne connaissent pas et ne respectent pas les franchises. Quand on les respecte, quelle que soit la protestation, la police ne peut pas entrer à l’Université. La communauté universitaire est réfractaire à la police. Le premier acte que j’ai posé en tant que Recteur était de demander le départ des policiers qui étaient en stationnement au Rectorat, parce que tout simplement, nos collègues visiteurs nous chambraient à cause de cela. Mais pour que la police ne soit pas là, il faut que nous tous, nous respections les franchises. Mieux, le niveau d’investissement est tel qu’on se doit de mettre en place la police administrative pour sécuriser les biens. C’est des milliards qu’il y a à l’Université.

Mais il faut aussi l’imputabilité de ceux qui créent des voies de fait au niveau de l’Université, pour pouvoir démasquer les auteurs. L’Université n’est pas un endroit de non droit. Et assez souvent, c’est le fait d’une minorité. Il faut plus d’éducation, plus d’anticipation, nous donner les moyens d’éliminer ce qui nous gêne, parce que si on regarde les 48 350 étudiants, ceux qui font les voies de fait sont extrêmement minoritaires.

Sur l’autre volet de la question, ce n’est plus le recteur qui parle, mais c’est l’homme libre ! La grande majorité qui n’est pas d’accord avec les fauteurs, qu’est-ce qu’elle fait pour dire qu’elle n’est pas d’accord ? Est-ce qu’on a des capacités d’indignation collective pour réprimer cela ? Je constate, pour m’en réjouir, que grâce aux radios, qui demandent à l’opinion de se prononcer, les gens ont montré qu’ils n’étaient pas d’accord. Mais où est cette capacité d’indignation au niveau de l’Université ? Nous sommes dans un champ de compétence mondiale, il nous faut un niveau d’exigences, même s’il y a des problèmes réels comme l’hébergement, la restauration, la santé, les salles de classe. Le président de la République a été clair que les problèmes sont tels qu’il faut construire un partenariat. Que chacun donne le maximum possible et que dans un délai de trois ans au minimum, on sorte de ces difficultés. Il faut que l’on comprenne que le moment est venu d’ouvrir des centres et de faire autre chose et d’innover pour la société, pour l’efficience même de l’enseignement supérieur.

Il y a eu une commission d’enquête qui a été mise sur pied suite aux derniers troubles, qu’elles en sont les conclusions ?

Il y avait d’abord une commission au niveau du Coud pour évaluer les pertes des étudiants. Cette commission a terminé son travail. Mais à l’Université, les gens ne sont pas là pour réprimer.

Que fait-on pour situer les responsabilités ?

Ce n’est pas facile (Il insiste) parce qu’au moment d’appeler les témoins, s’ils voient que certains seront sanctionnés, ils reculent. Il faut qu’on se donne les moyens d’avoir les faits intangibles pour pouvoir au moins défendre conséquemment l’Université. Les franchises sont une très bonne chose, mais je me rends compte, depuis 20 ans que je travaille à l’Université, que nous ne nous sommes pas donnés l’environnement et les outils nécessaires pour les défendre conséquemment. Les gens peuvent faire des voies de fait en toute impunité. Il y a une démission collective et assez souvent les choses se passent dans les établissements, il n’y a pas de rapport. Et aujourd’hui, ce qui est plus grave, ce ne sont pas les étudiants qui violent les franchises, le personnel administratif et technique a, tout récemment lors de sa grève, violé les franchises. Il faut qu’on ait le courage d’assumer les charges de nos fonctions et faire en sorte que l’Université tourne. C’est de notre responsabilité. Il faut qu’on s’en donne les moyens.

 



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