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Entretien avec le Général Lamine Cissé

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Entretien avec le Général Lamine Cissé

Ancien chef d’état-major général de l’armée sénégalaise, Lamine Cissé, 71 ans, a organisé, en tant que ministre de l’intérieur, les élections législatives de mai 1998 au Sénégal et l’élection présidentielle de février et mars 2000 ayant abouti à une alternance politique sans effusion de sang.

En 2001, Kofi Annan le nomme Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies et chef du Bureau des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA). En 2007, il est réaffecté à la tête du Bureau des Nations unies en Afrique de l’ouest (UNOWA). Depuis le 1er février 2010, il est l’envoyé spécial de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Guinée Conakry pour la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) dans ce pays.

Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Lamine Cissé porte son analyse sur les grands fléaux qui minent l’Afrique de l’Ouest

Président WADE a déclaré, le 4 avril, que le Sénégal reprenait sa souveraineté sur toutes les bases occupées par l’armée française à Dakar. En tant que Saint-Cyrien (promotion Bir Hakeim 1961/63) Qu’en pensez-vous ?

Le Président Wade, étant le président de la République, Chef suprême des armées du Sénégal, a toute légitimité pour prendre les décisions qui lui paraissent conformes à l’intérêt de la nation d’autant que l’autre président concerné, le Président SARKOZY est également chef suprême des armées en France. Ils possèdent certainement des éléments d’appréciation dont je ne dispose pas.   En 1974, j’étais à l’état major général des armées et membre, avec d’autres officiers, d’une sous commission « Domaine infrastructures » dans le cadre d’une grande commission de révision des accords. A ce titre, j’ai participé à la récupération de quelques bâtiments et camps militaires alors occupés par les troupes françaises. Par la suite d’ailleurs, au cours des réunions africaines sur les problèmes de défense, lorsque nous étions taxés d’abriter des bases françaises sur le sol africain, notre réponse était nette, nous avions souverainement accordé à la France des facilitations logistiques.   Ces accords ont 36 ans d’existence ; le monde a beaucoup changé depuis lors ; tout bouge actuellement et dans tous les sens. Il est donc normal de revoir certains liens devenus pesants pour les uns et les autres, parfois anachroniques. Dans ce contexte, il me paraît normal que deux pays amis qui de surcroît en ressentent le besoin, revoient des accords passés en 1974. Il ne s’agit pas là d’une rupture de la coopération entre la France et le Sénégal. Au contraire celle-ci va certainement prendre une autre forme plus en adéquation avec les données géostratégiques actuelles.

Par ailleurs, l’Afrique n’est pas restée inactive dans ce domaine de la défense, c’est ainsi que dans la sous région ouest africaine par exemple, les forces en attente de la CEDEAO pourraient, à terme, valablement jouer un rôle important dans la gestion des crises en Afrique. Alors, en ma qualité de Saint Cyrien, d’une promotion qui n’est plus très jeune, je pense que l’envoi en formation de jeunes Sénégalais à Saint Cyr contribue au renforcement des liens entre les deux armées et partant des deux pays. Cet «  échange » devrait se poursuivre pour Cyr et pour d’autres écoles militaires de formation.

En quoi consiste exactement votre mandat en Guinée ?

Les chefs d’état et de gouvernement et de la CEDEAO ont demandé au Président de la commission de cette institution d’initier et de réaliser une réforme du secteur de la sécurité en Guinée. Le groupe international de contact sur la Guinée a également souhaité la même chose et la Déclaration de Ouagadougou a repris ce vœu. Les autorités guinéennes ont aussi sollicité cette réforme.   C’est ainsi que la CEDEAO m’a demandé de faire une évaluation de la sécurité dans ce pays. Cette étude servira de base à la réforme du secteur de la sécurité. La CEDEAO est appuyée par l’Union Africaine et les Nations Unies. Des partenaires se sont joints à cette mission : l’Union européenne, les Etats Unis d’Amérique, la Francophonie. Je dispose d’une équipe de quinze experts dans des domaines tels que l’armée, la police, la gendarmerie, la justice, la société civile et dans des domaines transversaux comme le genre et les armes légères et de petit calibre. Nous faisons une évaluation à deux niveaux :

D’abord situationnelle, qui devra nous indiquer la manière dont les populations guinéennes perçoivent la sécurité et ce qui, pour elles, devrait changer.

Ensuite, une situation institutionnelle pour voir comment sont structurées les institutions en charge du secteur de la sécurité, leur mode de fonctionnement, les rapports de travail entre elles, etc.

Cette réforme devra conduire à un changement de mentalités et de comportement de la part des forces de défense et de sécurité pour que la Guinée dispose enfin d’une armée républicaine. La particularité ici est que notre mission se déroule en même temps que la transition qui prendra fin avec les élections. C’est pourquoi nous insistons beaucoup auprès des différents acteurs et des partenaires pour une parfaite sécurisation des élections, car il est impossible de faire une réforme du secteur de la sécurité dans un pays en crise ou connaissant un conflit.

La réforme de l’armée en Guinée Bissau où se produisent régulièrement des putschs et coups d’état n’est-elle pas plus urgente ?

Bien sûr il y a urgence en Guinée Bissau mais il faut rappeler qu’un processus de réforme du secteur de la sécurité est en cours dans ce pays même si ce processus est sujet à certaines difficultés. Pour ce genre de mission, il faut du temps mais surtout une parfaite coordination des différents intervenants. Toute stratégie dégagée nécessite une appropriation par les acteurs nationaux. Dans ce dossier particulier, il faut remettre les pendules à zéro et tout refaire à partir d’une nouvelle évaluation avec de nouveaux acteurs. Ensuite il faudra faire appel à tous les partenaires qui devront agir en parfaite coordination. La Guinée Bissau a grandement besoin d’une telle réforme, ne serait-ce que pour faire face au trafic de la drogue. Sinon ce sont les populations qui continuent de souffrir et elles n’ont rien fait pour mériter un tel sort.  

Quel rôle les forces de sécurité et de défense jouent-elles en Côte d’Ivoire au moment des élections ?  

En Côte d’Ivoire il y a un problème de tempo qui conduit à d’interminables questionnements. Les élections, c’est pour quand ?, le désarmement, c’est pour quand ? lequel avant ? lequel après ? peut-on faire des élections dans des zones non désarmées ? pourquoi reporter la date des élections fixée de longue date, alors que l’on savait que certaines zones ne sont pas encore désarmées ? faut-il se référer aux différents accords, déclarations et autres qui spécifient bien qu’il faut désarmer avant les élections ? faut-il faire jouer une stratégie « élections par force » signifiant une sécurisation musclée dans certaines zones ? etc… Ce questionnement n’est pas exhaustif, et chacun peut argumenter le plus valablement du monde. Voilà l’environnement dans lequel se trouvent des forces de défense et de sécurité à qui on demande de jouer un rôle de sécurisation des élections. Ce n’est pas simple. Je pense que, si l’on doit aller à des élections sans désarmement total, il faut se poser une question et en tirer les déductions qui détermineront la stratégie à adopter.

S’il y a des armes dans une zone, sont-elles destinées à être utilisées contre les forces de défense et de sécurité qui viendraient sécuriser les élections ?

Dans la négative, il n’y a pas de souci pour la sécurisation des élections. Dans l’affirmative, cela entraîne deux options au choix : a) ne rien risquer, ne rien faire. Alors dans ce cas, faudra-t-il voter dans une partie du territoire seulement, et confirmer ainsi le partage géographique du pays ? b) sécurisation musclée, c’est-à-dire disposer d’un armement capable de neutraliser les armes sur zone avec, bien sûr, le risque d’avoir des élections accompagnées de multiples incidents susceptibles de créer des contestations, des crises et peut-être des conflits. Cela vaut-il la peine de revenir ainsi à la situation d’antan, pour encore combien d’années ?

Tout ceci signifie qu’il faudrait une stratégie intermédiaire qui pourrait être la suivante : faire intervenir dans les zones où il n’y a pas eu de désarmement, les forces intégrées pour lesquelles il n’y aura alors ni frontières ni limites. Voilà, à mon avis, le dilemme auquel sont confrontées les forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire.

Mais en Côte d’Ivoire la solution de tous ces problèmes n’est ni technique ni du ressort des forces de défense et de sécurité, elle doit provenir des acteurs politiques qui doivent se rencontrer, s’accorder sur une formule consensuelle avec l’aide du médiateur en ne pensant qu’aux intérêts supérieurs de la Côte d’Ivoire. Cette volonté politique est la clé qui libérera les forces de défense et de sécurité de la pression que le contexte fait peser sur elles.

Que faut-il faire pour lutter efficacement contre les nouvelles menaces que sont la drogue et le terrorisme dans la bande sahelo saharienne ?

La drogue et le terrorisme menacent tous les états africains, particulièrement ceux de la bande sahélo saharienne. Depuis quelques années le point d’entrée de la drogue se trouve être le Sénégal, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry, la Mauritanie et la Gambie ; ces pays sont aussi des pays de consommation de drogue dure et peut-être aussi des producteurs. La CEDEAO a beaucoup travaillé dans ce dossier. Mais cette drogue accompagnée d’autres trafics illicites parcourt toute la bande jusqu’au Darfour et certainement traverse la Méditerranée pour se retrouver en Europe et aux Etats Unis. C’est donc tout le Sahel et tout le Sahara qui sont concernés, en d’autres termes et pris globalement, ce sont plus que les états de la CEDEAO mais les états de la CENSAD qui sont touchés. Dès lors, cette organisation sous régionale devrait être au centre du dispositif de toute stratégie de lutte contre ces trafics.

Des « commissions sectorielles » composées de pays choisis pourraient mener des études préliminaires. Celles-ci seraient ensuite rapportées à l’ensemble des pays concernés qui devront alors adopter une politique commune et prendre ensemble les dispositions qui s’imposent. C’est dire qu’il faudrait dépasser les problèmes de leadership, lorsqu’il s’agit des intérêts supérieurs de nos pays.

Propos recueillis par Christine HOLZBAUER (Correspondante à Dakar)



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