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Entretien avec Mody Guiro : « Députés et Sénateurs sont moins taxés au plan fiscal que travailleurs et ouvriers »

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Entretien avec Mody Guiro : « Députés et Sénateurs sont moins taxés au plan fiscal que travailleurs et ouvriers »

Face à la hausse vertigineuse du coût des denrées de première nécessité, le gouvernement multiplie les thérapies pour éviter une aggravation de la crise. Dans cette entretien à African Global News, Mody Guiro, Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts), revient sur la récente séance d’explications entre le Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré et les centrales syndicales, relative aux mesures exceptionnelles prises par le gouvernement. Le successeur de Madia Diop apporte aussi sa vision critique sur le dialogue social, les négociations avec l’Etat, les grèves dans le secteur de l’éducation, la mue de la Cnts, etc. Sa centrale sur le pied de guerre, sonne la mobilisation et n’exclue pas la grève générale pour faire aboutir les revendications des travailleurs.

(Entretien)

African Global News : Le Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré a récemment reçu les centrales syndicales. Pouvez-vous revenir brièvement sur l’objet et les conclusions de cette rencontre ?

Mody Guiro : Monsieur le Premier Ministre nous a conviés à une rencontre à laquelle l’ordre du jour était fixé comme suit : informations et avis des participants. Sur le premier point, le PM nous a informés sur les mesures prises par le gouvernement consistant à réduire l’impact de la crise sur les populations. Sur les produits tels que le riz, blé, le lait, la farine, etc. Il s’agit d’un renoncement total ou partiel à des droits et taxes pour une période transitoire. Le volume de toutes ces mesures atteint, selon le chef du gouvernement, les 146 milliards dont 98 milliards pour l’électricité et le gaz butane, 4,6 milliards pour l’huile alimentaire etc. Il s’agissait pour le gouvernement de montrer aux partenaires et aux parlementaires invités, les mesures qu’il a prises. Le président de la République avait dans sa déclaration promis une baisse de 5 milliards sur la fiscalité des salaires et l’ouverture prochaine de magasins de référence pour 1,1milliard et des centrales d’achats pour les deux intersyndicales pour un coût d’un milliard. M. Soumaré nous a aussi entretenus des résultats de la réflexion faite au niveau du comité national du dialogue social (Cnds) et la proposition d’un pacte de stabilité et de croissance.

AGN : Quelles ont été vos réactions à ces propositions du chef du gouvernement ?

M.G : En tant que syndicalistes invités, il était de notre devoir, tout en reconnaissant les efforts consentis par le gouvernement, de relever que ces mesures n’étaient pas perçues par les travailleurs que nous sommes au niveau de notre pouvoir d’achat. Au contraire, nous nous sommes rendu compte que les prix continuaient de grimper. En d’autres termes, il y a quelque part dans le système quelque chose qui ne va pas.

Si un renoncement de taxes est fait, c’est essentiellement pour que les commerçants puissent répercuter ces montants sur les prix. Si c’est des pertes enregistrées au niveau des recettes et que ces pertes ne sont pas ressenties par le consommateur, cela signifie que ces gains vont dans les poches des commerçants. Nous avons dit que la spéculation gagnait du terrain. Il faut dire que la mise à disposition des magasins de référence et des centrales d’achat nous avait déjà été annoncée par le PM quand il préparait sa déclaration de politique générale.

Il faudrait un accompagnement de l’Etat parce que nous ignorons totalement le processus et la filière d’importation des produits. Or, nous avons besoin d’avoir une bonne visibilité, d’autant plus que l’Etat n’a plus un organe de régulation comme le corps de contrôleurs des prix. Pour le dernier point qui est relatif au pacte de stabilité et de croissance, nous avons rappelé au PM que la Cnts avait demandé au président de République en 2007, en pleine spirale de conflits dans le milieu enseignant, d’opter pour un contrat de solidarité et de croissance. Nous ne sommes pas contre le principe, mais inviter les gens à aller vers ce pacte alors que nous sommes dans un contexte de turbulences ne milite pas en faveur d’une adhésion rapide.

Nous avons également fait remarquer au PM que la baisse de la fiscalité n’était pas incompatible avec une augmentation des salaires. Le patronat a voulu se cacher derrière le gouvernement pour dire qu’il faut d’abord quantifier la baisse de la fiscalité. Mais pour nous, chacun n’a qu’à assumer ses responsabilités.

Fiscalité sur les salaires : les parlementaires privilègiés au détriment des travailleurs et ouvriers.

A l’Etat de procéder à la baisse de la fiscalité, au patronat d’augmenter les salaires. Nous nous sommes rendu compte au cours des discussions que les parlementaires n’avaient pas, au plan fiscal, le même traitement que les travailleurs et les ouvriers. Ce qu’ils ont fini par reconnaître. Il est temps que les mesures et les sacrifices soient partagés. Il ne faut que ceux qui sont les plus fatigués supportent encore plus le poids de la crise.

AGN : Concrètement, quelles peuvent être les retombées pour le consommateur ?

M.G : La rencontre avec la PM n’avait rien à voir avec les discussions dans les commissions qui continuent leur travail. La date limite du dépôt des conclusions était arrêtée pour le 15 avril. Chacune des parties a défendu son point de vue. Nous avons rejeté le montant de 5 milliards proposé par le gouvernement d’autant plus que nous avions déjà décliné la somme de 6,5 milliards qu’il avait déjà soumis à notre approbation il y a quelques mois. AGN : Cette hausse généralisée des prix ne date pas d’aujourd’hui. Pourtant, on n’a pas beaucoup vu les syndicats au front. Comment l’expliquer ?

M.G : Ce n’est pas tout à fait exact. C’est vrai qu’il a fallu que ces hausses atteignent des niveaux inquiétants pour que les gens commencent à s’en rendre compte. Mais nous n’avons pas attendu. On a très tôt tiré la sonnette d’alarme. Nous en parlons depuis 2007. Nous avons organisé des marches dont la dernière a été réprimée par les forces de l’ordre. Constatant cela, les syndicats se sont organisés et ont déposé un préavis de grève pour montrer que l’on ne s’amuse pas et que la revendication est sérieuse. Ce préavis est suspendu après l’ouverture des négociations en cours. Mais on peut à tout moment aller en mouvement.

AGN : Ces centrales d’achat et magasins témoins vont profiter à vos militants et aux populations urbaines plus ou moins. Et les couches populaires dans tout ça ?

M.G : Les magasins témoin ne sont pas du ressort des syndicats. C’est un instrument de régulation qui sera mis au point et géré par l’Etat en partenariat avec le secteur privé. Les centrales d’achats, elles, mettent à la disposition des militants certains produits de base. Il ne faut pas l’oublier, ce sont les syndicats qui revendiquent. Il ne faut pas s’offusquer. Nous défendons d’abord les travailleurs et nous ne pouvons parler pour les autres parce que quand ils revendiquent, ils ne nous demandent pas notre avis. Cependant, la solidarité, nous savons ce que c’est.

AGN : Le monde du travail connaît des conflits endémiques. Dans le secteur de l’éducation singulièrement. Comment appréciez-vous l’état du dialogue social dans notre pays ?

M.G : Le dialogue social est une nécessité. On n’a pas perdu du temps pour légiférer et accepter de signer une charte sociale pour ne pas en tenir compte. Partout où il y aura absence de dialogue, c’est le conflit qui prendra le pas. Le dialogue social tel que défini par les conventions internationales constituent des mécanismes qui permettent aux différents partenaires de trouver des solutions par le dialogue et non par la confrontation. C’est une logique connue par les syndicalistes. Quand vous apprenez comment naissent les conflits, vous n’avez pas de problème. Il faut maîtriser l’art du dialogue et on ne peut pas dialoguer seul. Nous privilégions le dialogue tripartite. Nous sommes des militants du dialogue. Nous défendons le dialogue. Même après les conflits, vous êtes obligé de vous retrouver autour d’une table pour discuter.

Le dialogue est à deux niveaux. Vous avez les fonctionnaires qui ont pour patron l’Etat. Les travailleurs du secteur privé, eux, ont plusieurs patrons. Et chaque patron d’une entité doit être en mesure de discuter. « Dans le cas de la crise actuelle dans le monde de l’éducation, on ne peut pas s’en limiter à l’appel du PM ». Il faut que l’Etat et les enseignants acceptent de s’asseoir autour d’une table et discuter des points de divergence. Actuellement, le dialogue n’est pas efficace parce que l’efficacité d’un dialogue bien compris permet d’aboutir à des solutions durables. Or, à l’heure actuelle, la fragilité du dialogue social, telle que vécue actuellement dans notre pays, ne permet pas d’aller vers des solutions durables. Parce que quand des problèmes sont posés et que le remède tombe pour gérer une conjoncture, la solution ne peut pas résister dans le temps. Le dialogue social doit être d’abord pris dans un climat de sérénité.

AGN : M. Guiro, vous avez dans votre centrale des syndicats d’enseignants. Le Chef de l’Etat, dans son message du 03 avril, a parlé de « grèves politiques ». Les syndicats sont-ils manipulés par les chapelles politiques ?

M.G : Non, je pense que le président de la République s’est adressé à des politiques. Il s’est adressé à un ancien collaborateur. Moi je ne suis pas dans cette logique de débat politique. Je suis dans un débat syndical. Mais ce que je voudrais dire, c’est qu’aujourd’hui on est en face d’une crise scolaire qui nécessite un dialogue entre les parties. Il ne s’agit pas de chercher des faux-fuyants. S’il y a des mesures qui peuvent permettre de décanter la situation à court terme, il faut les prendre immédiatement.

AGN : Après plusieurs années de compagnonnage avec le Parti socialiste(Ps), « la participation responsable » ne figure plus dans les statuts de la Cnts. Avez-vous pour autant définitivement rompu tout lien avec le Ps ?

M.G : La participation responsable est derrière nous. Elle est finie depuis notre congrès de 2001. La question avait fait l’objet à l’époque, d’un débat de très longue haleine au sein du bureau confédéral. Certains n’étaient pas du Ps. C’est des paramètres qui ne figurent plus dans les statuts de notre centrale.

Ceux qui veulent faire leur participation à leur façon perdent leur temps. Actuellement, n’importe quel militant peut avoir l’information à temps réel. La démocratisation des structures syndicales ne permet plus de dire qu’on peut embrigader tout un mouvement dans une direction donnée. C’est faux. Vous ne pouvez pas les embarquer sur la base de mot d’ordres politiques. C’est fini ça. Ceux qui ne le savent pas perdent leur temps.

Photo : Mody Guiro, Secrétaire général de la Cnts



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