Fabrication d’une stigmatisation : Les Peuls Fouta, victimes d’Ebola au Sénégal

Comment fabriquer la population épidémiologiquement dangereuse ? Le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales (Codesria)  a tenté de répondre à cette question en faisant une étude sur la stigmatisation des «Peuls Fouta» après que le seul cas d’Ebola a été découvert à Dakar. Ses chercheurs ont essayé de comprendre le comportement des Sénégalais qui ont mis à l’index la communauté guinéenne.

Après que Mamadou Aliou Dia­llo a importé le virus Ebola à Da­kar, la communauté guinéenne a été mise à l’index par des Dakarois qui ont cédé à la psychose. Plus d’un an après cette affaire, le Co­desria a tenu une conférence pour discuter de la fabrication de populations épidémiologiquement dangereuses. Le cas pratique est évidemment les «Peuls Fouta» qui ont été présentés comme une com­munauté épidémiologiquement dangereuse dans le cadre d’Ebola. Cela a poussé les Séné­ga­lais à adopter un ensemble de com­portements notamment la stigmatisation des Peuls Fouta qui ont été assimilés systématiquement à des porteurs du virus hé­morragique.

Qu’est-ce qui ce qui a été à l’origine de ce changement de comportements? Quelles en sont les conséquences ? Et comment les Guinées ont vécu cela ? Pr Sylvain Landry Faye explique le comportement des Sénégalais par l’impréparation de la communauté sénégalaise à gérer une telle situation. Et cela veut dire quoi ? «Cela veut dire qu‘Ebola se passe ailleurs, on dit toujours c’est chez l’autre, cela ne va jamais arriver chez moi, en termes de préparation zéro», explique-t-il. «Et quand cela arrive, ce sont les stig­ma­tisations, les rumeurs qui se développent», poursuit-il. Pr Lan­dry et ses camarades chercheurs croient qu’au Sénégal, il y a eu un travail en matière d’informations mais l’impréparation était là. «C’est ce qui fait que les Sénéga­lais ont eu peur et ont perdu tout ce qui renvoyait à leurs spécificités à savoir, le pays de la Teranga, le rapport historique très ancien avec les Guinéens qui sont nos parents», estime l’enseignant-cher­cheur.

Quid des conséquences de tels comportements ? «Mainte­nant, quand on parle de Cedeao, cela veut dire rien. Du moment où on a fermé des frontières, et empêché des gens de circuler et que beaucoup de parents guinéens n’ont pas pu aller à la Mecque alors que les «Peuls Fouta» ne sont pas naturellement des porteurs de la maladie. Et pourtant, lance-t-il, quand il y a eu le cas d’Ebola au Sénégal, beaucoup de mes amis me disaient : «nous, nous avons  arrêté d’acheter le pain chez le Diallo du coin, d’autres disaient, on achète plus de bananes là-bas».

Pourquoi les «Peuls Fouta» ? Dr Ato Anoma, fonc­tionnaire au Codesria, expli­que : «Les Guinéens constituent la population émigrante la plus gran­de au Sénégal et parmi les Guinéens à Dakar, les «Peuls Fou­ta» constituent la plus grande ma­jorité. Et quand on parle de Gui­néens au Sénégal on pense aux «Peuls Fouta». Pour eux c’est la même chose, les Sénégalais ne savent pas qu’il y a les Soussous, des Forestiers, entre autres». Par conséquent, dit-il, «les Sénégalais, et pour plusieurs raisons, considèrent les «Peuls Fouta» comme une catégorie ethnique et même une catégorie nationale. Comme dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest, parler des «Peuls Fouta» c’est très facile car il y a beaucoup de gens qui les considèrent com­me des gens intéressants, des gens bizarres».

Il est aussi revenu sur l’appellation générique de cette ethnie. «Pourquoi on les appelle «Peuls Fouta» ? C’est évident, ré­pond Ato, parce qu’ils viennent du Fouta, car les Peuls, comme les Sérères et les Wolofs viennent de beaucoup d’endroits. Et, si on remonte l’histoire, pourquoi spécifier le Fouta parmi tous les en­droits où les Peuls sont dans nos pays ? Je pense que cela limite les possibilités des gens. Les «Peuls Fouta» vont devenir un jour juste des Peuls ?»