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FOUTA ELTON : Conakry au cœur de Dakar

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FOUTA ELTON : Conakry au cœur de Dakar

Sur l’autoroute, avant le grand rond-point de la Patte d’Oie, se cache dans la vallée, derrière les jardins horticoles, une petite bourgade qui abrite tant bien que mal son petit monde. Là, se dressait il n’y a guère, la station Elton détruite pour les besoins du chantier de l’autoroute à péage. À plusieurs dizaines de mètres du centre de traitement des eaux de Cambérène, Fouta Elton, petit « village » guinéen, est un univers de toutes les surprises, qui contraste aujourd’hui, avec l’urbanisation fulgurante de Dakar entreprise par les autorités.

Dans ce beau petit village ombragé, vert et paisible, cohabitent différentes communautés qui s’adonnent à des activités différentes. D’aucuns produisent du poisson fumé, tandis que d’autres s’investissent dans le maraîchage ou le jardinage. De l’autre côté de la route, se dressent des immeubles, des constructions en dur. C’est la cité des Maristes. Des clichés d’un Dakar qui se développe à plusieurs vitesses.

Ce petit village, niché dans la verdure et le souffle humide des jardins horticoles et de la vallée du Technopole, est un centre de production du poisson fumé consommé à Dakar. Au bord de la route, après le cantonnement des sapeurs pompiers chargés d’évacuer les eaux stagnantes près de la route nationale, quelques dizaines de mètres en se dirigeant vers Dakar, se dresse une petite palissade servant de rempart à l’indiscrétion du regard des passants. De loin, une petite fumée blanchâtre rabattue par le coup du vent vers la vallée des bambous signale la présence d’une activité autre que le maraîchage. En remontant la pente au bord du trottoir, une petite allée mène à l’intérieur de ce tout-petit village « urbain » du millénaire. Le fumet du poisson mélangé à l’air pur et à l’odeur des fleurs donne son caractère exotique à cette petite bourgade. Vous êtes au quartier Fouta Elton où des peuls de la République de Guinée s’adonnent à la transformation artisanale du poisson. Ils produisent du poisson fumé tout en vivant dans la précarité, dans ce coin sans eau ni électricité, dormant sans moustiquaires, à la merci de la violence des pluies et des vents, à l’exemple de leurs frères jardiniers de l’autre côté.

L’enfer aux portes de la capitale

Sur la place principale du village, sous l’ombre de trois grands acacias, adossé à une autre palissade faite en bambous, un jeune homme peul habillé en tenue de sport rouge, la jambe gauche nichée dans un plâtre, se tient paisiblement sur une chaise. À côté de lui, un jeune exhibe sa marchandise de feuilles de manioc.

En face d’eux, étalé sur un hamac suspendu à deux troncs d’acacias, Souleymane Barry somnole, au moment où une femme, la tienne peut-être, prépare le repas, un enfant à califourchon sur son dos observe le mouvement des coqs et des poules picorant non loin des fours. Derrière le sieur Barry, Mamadou Yoro Diallo, doyen des lieux, est couché sur une natte. Un autre jeune homme fait le thé à côté avec un fourneau fait de fils de fer. Quelques mètres après l’arbre qui sert de cuisine aux femmes se trouvent les habitations. Faites en taules, serrées les unes contre les autres, elles sont séparées par de petites allées permettant juste de se faire un passage. Une petite cour les sépare du centre de production où des fours en taules disposés en rangées exhalent une fumée blanchâtre.

Par-dessus ces fours, sont rangés des mâchoirons (Kong en Wolof) grillés par l’effet de la chaleur. Dans la cuvette où sont déversées les eaux recueillies par les sapeurs pompiers, cinq cocotiers se débattent pour vaincre l’acidité du sol causée par le plomb contenu dans les eaux infectées par les hydrocarbures. Quatre hommes sont en charge de ce travail de longue haleine nécessitant d’attiser continuellement le feu pour mieux enfumer les poissons.

« Cette place est notre lieu de travail. Ce n’est pas une résidence. Nous y travaillons le poisson fumé pour le vendre au marché », explique Hadjibou Bâ, pour lever sans doute tout équivoque. Venus de Guinée Conakry, ou du fond des quartiers populaires de Dakar, ces peuls entretiennent depuis plus de deux ou trois ans sur les lieux cette industrie qui était jadis méconnue ou mal exploitée dans la capitale. « Certains d’entre nous sont venus de Guinée, d’autres sont d’ici. Cette activité était mal connue à Dakar. Ce sont nos aînés, alors installés derrière l’école Mariama Niasse, qui l’avaient entamée. En ces temps, nul n’y habitait. Au fil des ans, elle a gagné de l’importance. Nul ne peut préparer du « thiou » (sauce à base d’ocre) sans y associer du poisson fumé. Le produit est aussi compatible avec du « thieb » (riz), du « mafé » (sauce à base d’arachide et de feuilles), « soupou kandja » (sauce à base d’huile de palme) et autres », a-t-il laissé entendre. Appuyé par son doyen Mamadou Yoro Diallo, Hadjibou Bâ révèle les détails de leur entreprise. « Auparavant, la caisse de silures (mâchoirons) coûtait 1000 Fcfa. Les gens ne connaissaient pas son utilité. Mais, désormais, la caisse varie entre 9 000 et 11 000 Fcfa, au marché au poisson. Et nous vendons nos produits finis, le poisson fumé, à 800 ou 1000 Fcfa le kg à d’autres vendeurs dans les marchés de la ville », explique-t-il.

Selon lui, cette activité jadis prometteuse est refreinée par le caractère déséquilibré des échanges avec l’Union européenne. « Cela marchait bien, mais il n’y a plus d’exportation vers l’Europe maintenant. C’est pourquoi, ces fours que vous voyez là ne fonctionnent pas. Leurs propriétaires ne viennent plus », fait-il. Sous ce décor calme, pollué par le vacarme des voitures sur l’autoroute, Hadjibou Bâ, habillé d’un vieux boubou jaunâtre, se livre à la discussion et explique leur manière de vivre sur les lieux en commun, malgré la solitude. « Pour ne pas que nos produits soient volés, nous avons décidé de nous installer ici. Il y a aussi que le loyer est très cher à Dakar. Nous ne pouvons pas payer 40 000 Fcfa par mois pour le loyer avec nos familles. Alors que nous nous débrouillons pour survivre. Sinon, nous aurions pu le faire et payer des vigiles, mais la vie est chère et les choses ne marchent pas bien », dit-il.

Et pourtant, il y a bien de quoi avoir des frissons en imaginant le caractère austère du décor, sans eau ni électricité, loin du vacarme de la ville. Habitués à vivre cette situation de précarité, résignés contre la marche bruyante de la civilisation, ils gagnent leur vie paisiblement. « Nous remercions Dieu. Nous n’avons pas de problèmes à ce niveau. Pour l’eau, nous ne souffrons pas beaucoup, car nos voisins d’en face, de la citée des Maristes nous en donnes. Ils sont très solidaires. Nous y allons puiser nos bidons de vingt litres », explique-t-il avec reconnaissance.

Un décor pollué par les moustiques

Les moustiques, les reptiles, les maladies et tous les risques que pourrait représenter de vivre dans cette « forêt », ce village, il esquisse un sourire et explique que « si quelqu’un tombe malade », ils le portent simplement à l’hôpital le plus proche. « Nous portons assez souvent nos malades à Nabil Choucair, ou à défaut à l’hôpital Général de Grand-Yoff », fait-il sans souci. Ce village reflète un autre visage. Le caractère agressif des moustiques qui sortent après 17 heures influe sur le vécu quotidien de ses résidants qui ne sortent presque pas la nuit. L’usage de la moustiquaire y est un luxe. Non loin à quelques mètres de là, une femme prépare le repas, au moment d’autres petits-enfants, âgés d’à peu près trois à quatre ans, jouent assis sur le sable. Cette proximité avec la cuisine semble leur donner le courage d’attendre un peu encore, le temps que tout soit prêt. Portant un enfant au dos, une autre femme entreprenant de balayer la cour rappelle au faiseur de thé de faire plus vite.

Un peu plus loin, derrière la vallée où les sapeurs pompiers déversent les eaux usées provenant de la route, une petite maison est entourée par les arbres et arbustes et abritent trois familles. Sur l’autre versant de la vallée, des jardins sont juxtaposés les uns après les autres.

À l’intérieur de chacun, une hutte faite à base de cartons, de zincs et de taules, sert de maison à chaque couple de jardinier. Un jeune garçon âge de près de huit ans fait irruption. Torche nu, portant une culotte salie par les eaux et le sable mouillé des lieux, il traîne des béquilles et marche difficilement, avec la jambe droite en plâtre. Sa maman explique qu’il avait été heurté au marché par un automobiliste qui avait pris la fuite après l’incident.

Couché sur une natte, reposant la tête sur les jambes de sa grande sœur, un autre enfant nu comme un ver écoute la conversation avec son oncle Moussa Bâ, venu de Pikine pour les voir. « Je n’habite pas là, j’y viens assez souvent, surtout les dimanches. Mais je peux vous confirmer qu’il y a bien trop de moustiques dans le coin. Dès 17 heures, ils commencent à lancer leurs assauts. C’est le problème majeur ici », souligne-t-il.

En sortant de la porte de la maison pour se rendre au jardin du maître des lieux, il faut traverser une petite rivière constituée des eaux déversées qui coulent vers l’usine de traitement des eaux. Sautillant dans les herbes, posant les pieds sur les sacs remplis de sable servant de point de passage, sur cette rivière ruisselante, Latyr Ngom transplante de la salade dans son jardin. « Il y a beaucoup de moustiques. C’est l’un de nos principaux problèmes là. Et nous n’avons rien pour y lutter. Nous ne pouvons pas discuter la nuit autour d’un thé à cause des moustiques », reconnaît Moussa Bâ. « Mais, Nous vivons ici », explique Latyr Ngom, la cinquantaine dépassée. « Si tu n’as nulle part où aller, il faut se battre. Nous n’avons personne pour nous soutenir. Nous avons nos métiers. Je suis navigateur, je travaillais au Port. Mais, comme cela ne marche plus là-bas, j’ai rejoint mon ami ici dans les champs. Depuis trois ans, je suis ici, je vis là », souligne-t-il avant d’expliquer les difficultés de leur métier. Selon lui, ils sont très fatigués et appauvris.

Otages des propriétaires terriens

Pour ce qui concerne leur boulot, leur principale raison de rester sur les lieux, le long quinquagénaire Latyr Ngom ne mâche pas ses mots pour dévoiler le caractère usurier de leurs rapports avec les propriétaires terriens. Nous avons beaucoup de problème pour survivre. Nous sommes fatigués et sans soutien.

Pour mieux étayer son propos, le quinquagénaire s’en prend aux propriétaires terriens qui font dans l’usure. « Nous ne gagnons presque rien. Nous travaillons à perte. Nous travaillons juste pour survivre. Nous n’avons rien d’autre à faire. Ces terres ne nous appartiennent pas. Nous payons soit le droit d’occuper qui s’élève soit à 25 000 Fcfa, soit nous servons de « sourga » (cerf) et nous partageons notre récolte avec les propriétaires terriens », dit-il. Selon lui, les notables lebous font dans l’usure. « Imaginez le travail que nous abattons là du matin au soir, ils ne nous versent que 200 FCfa le jour pour notre ration. Ce qui revient à 6 000 Fcfa le mois. Aujourd’hui, alors que le kg du riz coûte près de 400 FCfa, ils continuent de nous appliquer le prix qui était payé aux jardiniers avant les indépendances. C’est inadmissible, alors que nous avons en charge des femmes et des enfants. 200 FCfa ne peut pas entretenir un jardinier à lui seul pour toute une journée », regrette-t-il. Même s’il reconnaît qu’ils n’ont d’autres solutions qu’accepter, car ils doivent travailler et gagner honnêtement leur vie.

Un lieu de débrouille

La salinité des lieux influencés par les nombreuses eaux infectes qui sont déversées par là affecte beaucoup la production à côté d’autres facteurs. Les produits maraîchers sont très chers. Pour y gagner, il faut beaucoup investir. « Nous éprouvons beaucoup de problèmes pour s’en sortir. Les terres sont devenues salées et la production est souvent excédentaire avec la concurrence des étrangers qui brisent les prix des légumes », fait-il. Par ailleurs, il explique qu’il faut payer des prestataires, souvent des citoyens de Bissau ou de Kolda, pour bêcher la terre, payer des gens pour creuser les puits.

En plus, révèle-t-il, il faut acheter des insecticides pour préserver les cultures. « Nous faisons tout ceci par nous-mêmes sans soutien. Nous n’existons pas aux yeux des autres », avance-t-il. La production peut être nulle si le marché est inondé des mêmes produits. Pour la salade, il arrive souvent, dit-il, que les récoltes sont déversées. La rude concurrence des peuls de Guinée qui ont aussi investi le maraîchage a fini par leur porter un autre coup. Mamadou Faye s’indigne : « Dès lors qu’ils ont de l’argent et peuvent amasser de grandes sommes en s’entraidant, ils peuvent payer 150 000 Fcfa pour le loyer d’un lopin de terre délivré à 25 000 Fcfa. Ce que nous ne pouvons pas donner. C’est injuste », gronde-t-il.

Un village plein d’activités

Non loin de la vallée, plus près à quelque quarante mètres de la route, une hutte est nichée près des eaux. Un garçon fait le thé au moment où les autres en discussion observent la nature autour d’eux. Ce sont des tisseurs de palissades en bambous.

Sur le côté, au-dessous d’un arbre où est allongé un vieil homme, sont posés des tas de tiges de bambou attachés. Ils servent à la confection de clôtures et de palissades. Ousmane Ndiaye explique qu’il achète le tas des tiges de bambou à 2000 ou 2500 Fcfa, pour vendre la clôture confectionnée à 5000 Fcfa. « Ce sont généralement les hôteliers qui viennent à moi », révèle-t-il avec fierté. Selon lui, il fait cette activité toute la saison d’autant plus que la vallée est pleine de bambous.

Toutefois, il n’a pas manqué de faire état de son inquiétude. « Nous serons obligés de quitter les lieux. Nous ne faisons qu’attendre. Auparavant, nous étions de l’autre côté de la route, près de la cité. Le chantier de l’autoroute nous a déguerpi. Et voilà qu’on nous dit que nous serons levés », déplore-t-il. Abondant dans le même sens, Ngor Ndour déclare que les jardiniers souffrent depuis plusieurs années, forcés à chaque fois, de quitter leur lieu de travail. « L’État est souverain, mais ces gens ne respectent pas les procédures. Pour déguerpir des gens, ils donnent seulement deux à trois jours. Si vous ne vous exécutez pas, ils apportent les bulldozers pour tout casser. L’ancien régime était plus conciliant, il donnait des délais de trois mois, le temps que récupérer vos affaires. Mais, ce régime ne fait que prendre les terres, sans pour autant dédommager les gens », déclare-t-il. Dépités par une situation dont ils ne voient aucune issue, les pauvres « villageois » au cœur de la ville vivent dans la hantise d’être forcés un jour à recommencer leur vie ailleurs. Une obligation de survivre qui les mène forcément au nomadisme, à la pauvreté, la précarité, l’indignité.



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