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Giuseppe Calvetta, Ambassadeur d’Italie au Sénégal : « La solution à l’émigration clandestine est l’investissement en Afrique »

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Giuseppe Calvetta, Ambassadeur d’Italie au Sénégal : « La solution à l’émigration clandestine est l’investissement en Afrique »

En poste à Dakar depuis février 2007, l’Ambassadeur d’Italie au Sénégal, Giuseppe Calvetta, ne semble pas partager l’appel en Europe de la main d’œuvre africaine pour lutter contre les flux migratoires. Il estime plutôt que la solution réside dans l’investissement dans le continent. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, son excellence retrace les grands axes de la coopération entre son pays et le Sénégal et jette un regard sur la diaspora sénégalaise qui, selon lui, est bien appréciée en Italie.

Excellence, la majeure partie des projets de coopération appuyés par l’Italie au Sénégal concerne la lutte contre la pauvreté. Comment expliquer un tel choix de votre gouvernement ?

La coopération italienne a une valeur de quelque 40 millions d’euros (26 milliards 240 millions Cfa) et provient de quatre sources de financements : l’Etat, les collectivités locales (régions, provinces, villes), et les missions catholiques. Il y a également la coopération mise en place par le biais des organisations internationales. Les secteurs prioritaires sont l’insécurité alimentaire, la lutte contre l’exclusion sociale, l’équilibre homme-femme, la protection de l’enfance et d’autres similaires.

Les cibles sont les besoins primaires de la population. Il s’agit là de ce qu’on peut appeler la coopération classique, c’est-à-dire de la pure assistance. Nous continuerons à œuvrer dans ces mêmes secteurs dans le futur. Mais, à mon avis, cette approche seule ne suffit pas ou ne suffit plus. L’assistance, bien que nécessaire, n’a changé l’histoire ni de l’Afrique, ni du Sénégal. Encore moins les positions relatives des pays africains dans l’échelle du développement humain et économique. Il faut aller au-delà.

Quels seront les avantages s’il faut aller au-delà ?

Le premier avantage, c’est de conjuguer le cœur et la raison, ou si vous voulez les idéaux et les intérêts. L’exemple parfait de ce type de coopération faite d’idéaux et d’intérêts est la construction de l’Union européenne. Il n’y a pas de coopération internationale durable en l’absence des intérêts. En outre, les seuls idéaux humanitaires donnent naissance à des situations asymétriques : il y a ceux qui « octroient » (selon leur volonté et leurs possibilités) et ceux qui reçoivent, passivement. Au contraire, la présence des intérêts réciproques à côté des idéaux place les interlocuteurs sur un même pied. En bref, on passe de l’assistance (octroyée) au partenariat entre égaux. Le partenariat entre égaux engage et stimule les personnes concernées, cela devient une affaire de tous les citoyens en jeu. Au contraire, celle que nous pouvons appeler la coopération facile - qui est souvent unidirectionnelle et qui, encore plus souvent, tient de côté les populations - ne laisse pas de trace dans l’esprit d’initiative et d’entreprise des citoyens - un esprit qui a de grandes potentialités au Sénégal : ils risquent de rester des spectateurs, même satisfaits parfois, mais toujours des spectateurs. Mais, je ne veux pas être trop théorique.

Vous semblez opter pour une réorientation de la coopération avec le Sénégal ?

Nous sommes en train de réorienter l’ensemble de nos initiatives publiques et privées au Sénégal vers cette nouvelle approche, étant bien entendu que l’Italie ne peut évidemment pas créer toute seule une base industrielle de Pme : ce que nous pouvons faire, c’est d’essayer de canaliser toutes les initiatives publiques et privées, afin d’appuyer et nourrir cette stratégie que je viens d’illustrer et dont la mise en œuvre demande du temps. Mais, nous avons eu encore des exemples ces derniers jours. Une nouvelle usine de conservation de poisson, peut-être la plus moderne de l’Afrique de l’Ouest, a été inaugurée à Mbao. C’est le résultat de la coopération entre La Lega des Coopératives italiennes et un entrepreneur sénégalais qui, à plein régime, devrait fournir aux Coopératives italiennes 3 milliards 936 millions Cfa en produits halieutiques. En même temps, on est en train de mettre au point un projet agro-industriel pour la production d’énergie renouvelable à travers la culture du Jatropha. Dans les deux cas, il y a la création des usines à l’avant-garde qui embaucheront des centaines d’ouvriers sénégalais. Cela constitue un patrimoine industriel pour le Sénégal et intéresse également l’Italie qui a besoin de produits spécifiques que l’on ne trouve pas chez nous...

L’Italie fait partie des destinations prisées des Sénégalais. Quel regard portez-vous sur la communauté sénégalaise en Italie ?

L’Italie est, en effet, une des destinations privilégiées des Sénégalais. On calcule que la Péninsule accueille le double des ressortissants sénégalais présents en France et en Espagne mis ensemble. Les Sénégalais sont également très appréciés par les Italiens. D’autre part, on pourrait se poser la question : pourquoi vos concitoyens choisissent-ils plutôt l’Italie, dont ils ne connaissent pas la langue, que les pays francophones ? Evidemment, ils se sentent plus à l’aise en Italie. De plus, on peut ajouter que les Sénégalais commencent à prendre en Italie l’attitude des Ambassadeurs, ou si vous voulez, ils commencent à représenter des facteurs de liaison réels, incontournables entre les deux pays. Plusieurs initiatives en faveur du Sénégal, mises en œuvre dernièrement en Italie, ont été promues avec la collaboration de ressortissants sénégalais qui habitent et travaillent en Italie. Il s’agit là d’une liaison humaine entre les deux pays qui va renforcer les rapports étatiques et officiels qui sont d’ailleurs absolument cordiaux et créent une relation assez spéciale entre l’Italie et le Sénégal.

La communauté sénégalaise envoie beaucoup d’argent au pays. Mais il n’est souvent pas réinvesti dans des secteurs productifs. Comment l’Italie pourrait-elle aider à encadrer les fonds de la diaspora ?

Pour ce qui concerne les fonds provenant de la diaspora sénégalaise en Italie, le ministre des Sénégalais de l’Extérieur avait calculé, pour 2006, environ 360 milliards de FCfa arrivés de l’Italie par voie bancaire. Or, selon les estimations de certains organismes internationaux, les sommes qui arrivent par d’autres voies s’élèveraient au double de celles arrivées « par voie bancaire ». L’ensemble de ces sommes en provenance d’Italie, nous sommes toujours dans le domaine d’hypothèses, pourrait représenter quelques centaines de milliards de Cfa. C’est une somme considérable, bien sûr. Comment l’utiliser ? Certainement, cela dépend des décisions de chaque Sénégalais aussi bien que des facilités offertes par le gouvernement et les autorités locales sénégalaises. Pour ce qui concerne l’Italie, la coopération italienne est en train de mettre au point un programme d’une valeur initiale de 20 millions d’euros (plus de 13 milliards de FCfa), qui devraient aider les Sénégalais qui rentrent d’Italie, grâce à la mise à disposition de crédits spécifiques, à créer des petites entreprises au Sénégal. Mais, il s’agit d’un secteur qui tombe en premier lieu, je répète, sous la responsabilité des autorités nationales et locales sénégalaises.

L’année 2007 a aussi été marquée par un départ massif de jeunes Africains vers l’Europe à travers des pirogues de fortune. Quelle appréciation faites-vous de ce phénomène ? Comment doivent procéder l’Europe et l’Afrique pour gérer les flux migratoires ?

Le phénomène de l’émigration clandestine, à travers le désert ou les pirogues de fortune, est à décourager avec tous les moyens disponibles. Et cela en ayant bien à l’esprit que ces voyages peuvent souvent se transformer en cauchemar, voire en tragédie. Il faut expliquer surtout aux jeunes sénégalais que l’Europe n’est pas un Eldorado, mais plutôt une destination à rejoindre en suivant des procédures légales, avec un contrat de travail en poche, et que pour pouvoir améliorer effectivement leur niveau de vie, il faut du temps et beaucoup de sacrifices. La solution au problème se trouve alors dans la gestion ordonnée des flux migratoires, gestion qui doit être concertée entre les pays d’origine et de destination de ces mêmes flux, en responsabilisant également les pays de transit. Quand il s’agit de protéger la vie humaine, il ne faut épargner aucun effort. Des contacts sont en cours entre l’Ue et ses pays membres plus concernés avec les pays africains d’origine des migrations dans l’intérêt commun de parvenir à des accords sur la gestion ordonnée de ces flux. Toutefois, à mon avis, la solution définitive, radicale à ce phénomène est d’apporter le développement et d’investir en Afrique plutôt qu’« appeler » en Europe la main d’œuvre africaine.

Comment l’Italie et l’Europe peuvent-elles parvenir à résoudre le problème des citoyens sénégalais qui travaillent depuis plusieurs années en Europe dans la clandestinité ?

C’est l’autre grand problème à résoudre, en apparence moins tragique, à côté de celui représenté par les traversées des clandestins en pirogue ou à travers les déserts. Il y a des dizaines de milliers de ressortissants sénégalais en Europe et en Italie en condition de clandestinité qui, malheureusement, travaillent au noir, et qui n’ont aucune sorte de protection sociale ou d’assistance médicale, ni la possibilité, le moment venu, de toucher une pension. Il s’agit là d’une situation qui est jugée même tolérable par les plus jeunes, désireux d’accumuler rapidement un petit capital pour ensuite rentrer en vitesse dans leur pays. Mais, pas du point de vue humain. Il faut donner à ces personnes les droits qui reviennent à tout citoyen et à tout travailleur. Mais, ces solutions sont parfois très onéreuses, et également difficiles du point de vue juridique. Cependant, tôt ou tard, il va falloir leur faire face et expliquer aussi à ces travailleurs clandestins que l’illusion de gagner plus d’argent par le fait qu’ils échappent aux impôts et aux contributions sociales cache en réalité un coût très élevé qui sera évident lorsque, avec les cheveux blancs, se présenteront les besoins d’une pension et d’une assistance sociale solide aptes à garantir une retraite plus sereine.



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