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GRENADE MORTELLE :Mohamed Basse témoigne

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GRENADE MORTELLE :Mohamed Basse témoigne

Moustapha Fall, 14, ans est mort ce week-end à cause de la négligence des autorités qui nous gouvernent. Mais il n’aura pas l’opportunité de le leur dire. Alors, nous le dirons à sa place. Moustapha était élève au complexe scolaire Cheikh Al Islam El Haj Ibrahima Niasse plus connu sous le nom d’école Zeyda Mariama Niasse. Elève en CE2, il avait d’abord fait ses humanités coraniques, selon le vœu de son père, émigré sénégalais résidant en Italie. Moustapha a mis quatre ans pour mémoriser les saintes écritures. Sinon il aurait été en classe de troisième secondaire. Averti du drame, le père est rentré aussi vite que possible, mais trop tard pour trouver son fils encore vivant. Le reste de la famille Fall vit dans la banlieue dakaroise, à Thiaroye.

Depuis 1997, Moustapha vivait en pension complète chez Zeyda Mariama Niasse, sa tutrice. Selon une tradition bien ancrée chez nous, son père l’avait confié à la personnalité religieuse, qui est la fille du défunt khalife des Niassène Baye Niasse de Médina Baye, Kaolack. De très nombreux enfants habitent dans sa demeure de Mermoz, située sur le boulevard Cheikh Ibrahima Niasse. Ils y apprennent le Coran auprès de cette éducatrice réputée dont le premier daara se trouvait à la mosquée de l’avenue Malick Sy. C’est d’ailleurs là-bas que Moustapha avait fait ses premiers pas. Avant ce funeste accident, il suivait de concert l’enseignement mixte francophone et islamique à l’école de sa tutrice. C’est de retour de ses cours que le destin lui sera fatal. Bonne pâte, la mort a toutefois épargné Mohamed Basse, 14 ans lui aussi, son camarade de classe avec lequel il se trouvait au moment de la tragédie. Mohamed est lui aussi fils d’émigrés sénégalais résidant aux Etats-Unis. Il faut dire que la mort a résisté par deux fois à accorder ses faveurs macabres à Moustapha Fall. Par deux fois, en effet, Moustapha a manipulé la grenade qui l’a finalement massacré. Par deux fois, la mort l’a évité, la grenade restant muette. La troisième tentative a été la « bonne ».
Nous découvrirons les témoignages du seul témoin oculaire qui a porté secours aux deux adolescents, dans l’indifférence totale des automobilistes présents, et celui du survivant dans l’article ci-après.

Prenons connaissance des circonstances de l’accident qui a tué le jeune Moustapha. Descendus du bus scolaire avec la permission du chauffeur, les jeunes personnes ont fait part de leur intention de s’acheter des friandises courantes en cette saison : des « mades ». Après cette course, les deux jeunes gens n’avaient plus qu’à faire une petite trotte pour rejoindre le domicile de leur tutrice. Ils ont bien acheté les fameux fruits acidulés originaires de la Casamance naturelle. Ces fruits dont on raffole au Sénégal, petits et grands, Blancs et Noirs. La paisible promenade des adolescents va prendre une tournure dramatique, lorsque leur attention sera attirée par un objet ovale qui reposait négligemment sur le gazon (sic) de l’agence Sonatel de l’avenue Cheikh Anta Diop. Moustapha confie son « made » à son camarade Mohamed Basse, le temps de saisir ce qui se trouve être une grenade.
Habitués à voir l’arme dans les films de la télévision, ils ont su immédiatement de quoi il en retournait. Moustapha a repris tranquillement son « made » des mains de Mohamed tout en continuant de marcher vers la maison. Il comptait sans doute le montrer à ses autres camarades de l’internat familial de Mermoz. Le bilan aurait alors été plus lourd si la grenade avait explosé devant toutes ces têtes frisées. En cours de route, Moustapha a manipulé la grenade dans tous les sens en mangeant son fruit acidulé. Mohamed lui disait de se méfier tout en devisant à ses côtés. A force d’être sollicitée par les mains innocentes de Moustapha, la grenade finit par rompre et exploser. Lui arrachant les yeux, les bras et l’éventrant. Des blessures auxquelles le jeune garçon n’a pas survécu. Les médecins qui ne se faisaient d’ailleurs pas d’illusion sur l’issue fatale en ont tôt informé sa tutrice. Paix à l’âme de Moustapha Fall.

Mais déjà quelques remarques s’imposent. Il y a du souci à se faire pour notre sécurité. Ce n’est pas en Casamance seulement que le gouvernement doit déminer. La preuve en est avec cet accident qui a tué un jeune élève et gravement traumatisé un autre. La presse nous fait part de temps à autre de cas similaires. Nous y apprenons, lorsque l’information n’est pas confinée par les autorités, qu’un enfant a perdu un membre après avoir ramassé et joué avec un engin de la mort. Dans le cas des deux élèves, on peut légitimement s’interroger sur la nature réelle d’une grenade qui peut créer autant de dégâts physiques. N’étant pas spécialiste ni artificier, nous ne pouvons pas en dire grand chose. Mais il est sûr que la grenade fatale a fait l’effet d’une bombe sur le pauvre corps. Si un spécialiste veut bien nous faire bénéficier de ses lumières, nos colonnes lui sont ouvertes.

Lorsque c’est sur un terrain militaire ou un champ de tir quelconque qu’une arme traînerait, nos concitoyens seraient avertis du danger et pourraient au moins se méfier. Mais abandonner une grenade sur une grande avenue très fréquentée et pire encore, sur la pelouse d’un endroit public, donc accessible à tous, c’est faire crédit à la mort. Nous ne sommes pas en sécurité, nos enfants non plus. Le pire reste à venir. Depuis la survenue de l’accident mortel, les autorités de notre pays font la sourde oreille aux sollicitations de la directrice du daara et du complexe scolaire. L’accident a eu lieu jeudi 8 avril entre 19 et 20 heures. Le lendemain, les autorités de la présidence de la République ont été informées par Zeyda Mariama Niasse. Aucune réaction à ce jour. Le ministre de l’Intérieur qu’en temps normal, elle a l’habitude d’appeler à son domicile, n’a pas consenti à la prendre au téléphone, il serait « occupé », selon la terminologie diplomatique de nos gouvernants actuels. En revanche, pour casser et massacrer de l’étudiant, notre ministre de l’Intérieur est toujours au front. Tenter d’étouffer l’affaire paraît insensé parce qu’il y a eu mort d’homme. Il est de coutume dans notre pays de se réfugier derrière l’argument vaseux de la fatalité ou facile de la volonté divine. Mais en l’occurrence, il ne s’agit pas d’une mort qui aurait surpris le jeune garçon dans son lit durant son sommeil. Il s’agit d’une mort brutale causée par la présence d’une grenade qui n’aurait pas dû se trouver là, à la portée de ces enfants. Que je sache, Dieu ne fait pas usage de grenade, mais bien les services du ministère de l’Intérieur dont la police. La police qui est souvent en opération sur l’avenue Cheikh Anta Diop pour mater les révoltes estudiantines. Le dernier face à face a eu lieu d’ailleurs le même jour que l’accident. Bavure policière ? Oubli d’un engin mortel par les policiers débordés ?

Nous sommes fondés à attendre de nos autorités qu’elles nous donnent les explications sur les raisons de la présence de cette arme de mort sur l’avenue Cheikh Anta Diop. Moustapha Fall ne ressuscitera pas pour autant, mais pour qu’il ne soit pas mort pour rien, nous devons savoir ce qui s’est passé et faire que cette négligence coupable ne se reproduise plus. C’est le moins que nous puissions faire pour Moustapha à qui son pays n’a pas permis de récolter les fruits de l’avenir.

 



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