Jeudi 28 Mars, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Societe

Guinée-Bissau-Sénégal : La Casamance brûle en silence

Single Post
Guinée-Bissau-Sénégal : La Casamance brûle en silence

La «pause» annoncée mercredi par le commandant Lassana Massali a permis à l’armée bissau-guinéenne de recadrer son dispositif. Vendredi, dès 9 heures du matin, l’artillerie est entrée en action, aussi bien à l’est de Sao Domingos, où est installé son QG, qu’à l’Ouest, sur la côte Atlantique. Les pilonnages se sont poursuivis sans relâche jusqu’en tout début d’après-midi, trois orgues de Staline relayant quatre chars T34 à chenilles, de fabrication soviétique, à raison de trois ou quatre tirs toutes les deux minutes, selon notre correspondant sur place, Alain Yero Embalo. Les troupes se sont alors déployées avec pour objectif particulier un puits baptisé «Tchétchénia», en souvenir des disputes homériques entre indépendantistes dont il a été l’objet jusqu’à ce que les partisans de Salif Sadio en prennent le contrôle.

Comme toutes les autres positions militaires du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), le puits «Tchétchénia» est miné. De l’autre côté de l’invisible cordon explosif, des indépendantistes protègent l’une des bases de Salif Sadio, à environ trois kilomètres de là. Situé à quelques kilomètres à l’est de Sao Domingos, le puits alimentaient en eau les femmes et les enfants des indépendantistes installés dans le village de Mandina, tout près de la borne 190 qui délimite le tracé de la frontière entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Des deux côtés, des arbres brûlent. Mais nul pompier sénégalais ne vient au secours de la forêt casamançaise. L’endroit est classé zone de guerre depuis 1995.

Rien ne semble troubler les militaires sénégalais

«S’il y avait péril en la demeure, je ne serais pas assis à côté d’un climatiseur», expliquait hier à notre correspondant Alain Yero Embalo le colonel Saw, qui commande la zone militaire sénégalaise de Ziguinchor, à environ 26 kilomètres de Sao Domingos. De fait, la moto de notre correspondant est allée et revenue sans encombres de Ziguinchor, la principale ville de Casamance. Rien n’a semblé troubler l’heure du thé pour la douane et la police sénégalaises des frontières vaquant normalement à ses activités réglementaires. Aucune horde de journalistes non plus n’a d’ailleurs encombré ces derniers jours le poste de passage vers un conflit qui ne paraît pas intéresser davantage les plus hautes autorités du Sénégal.

Mardi, l’armée bissau-guinéenne a perdu deux hommes de plus dans l’explosion d’un camion de munitions qui a sauté sur une mine, ce qui porterait à six le bilan de ses pertes humaines depuis le début de l’offensive lancée le 16 mars dernier. Le même jour, les troupes du président Vieira ont reçu la reddition d’une demi-douzaine de proches du chef de guerre indépendantiste, Salif Sadio, parmi lesquels son beau-frère. Mais à moins de brûler complètement la forêt qui abrite les bases indépendantistes, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Et encore Salif Sadio serait-il capturé, on voit mal en quoi ce branle-bas de combat serait de nature à régler la question casamançaise.

Un silence politique assourdissant

La Casamance semblait retenir son souffle depuis l’accord de paix signé le 30 décembre 2004 entre le MFDC et le gouvernement sénégalais. Les retombées économiques promises et la consolidation d’un accord politique tardaient à se concrétiser. Aujourdhui, l’opération bissau-guinéenne rouvre le volet militaire dans un silence politique assourdissant. Selon l’Agence panafricaine de presse, le chef historique du MFDC, l’abbé Diamacoune Senghor a quand même écrit ces jours-ci à l’un des chefs militaires des indépendantistes, le commandant César Badiate, pour lui demander «de ne pas attaquer nos frères combattants de Salif Sadio». Du point de vue casamançais, la bataille engagée de concert avec l’armée bissau-guinéenne menace en effet de ne pas véritablement régler la question de la «réunification du mouvement», préalable posé à ne nouveaux pourparlers politiques avec Dakar. L’indépendantisme radical prêté à Salif Sadio ne s’éteindra pas forcément avec lui.

Depuis décembre 1982, le MFDC revendique l'indépendance de la première possession africaine (1446) du prince portugais Henry le Navigateur. Passée sous contrôle français en 1908, la Casamance était devenue partie intégrante du Sénégal indépendant, même si la géologie, mais aussi la géographie humaine, l’inscrivait plutôt dans le continuum bissau-guinéen resté sous dominium portugais. Les 32 350 kilomètres carrés de territoire casamançais ont du reste vu des rivalités entre la Guinée-Bissau et le Sénégal succéder à la concurrence coloniale entre la France et le Portugal.

Bissau donne des gages à Dakar

Les trois millions et demi d’habitants de la Casamance, des Diola en majorité, sont pour la plupart familiers du créole portugais en vigueur dans la sous-région. Ils sont séparés du reste du Sénégal par la Gambie, autre territoire turbulent dont le chef de l’Etat actuel, Yahya Jammeh, est issu d’un village voisin de celui de Salif Sadio. A l’occasion, Banjul sait agiter l’épouvantail casamançais vis-à-vis de Dakar. Mais cette semaine, c’est à propos de luttes intestines que la Gambie a saisi son puissant voisin, pour lui demander de l’aider à traquer l’auteur présumé d’un coup d’Etat que le président Jammeh affirme avoir déjoué le 21 mars, l’ex-chef d’état-major de l’armée gambienne, le colonel Ndure Cham, qui serait en fuite, en Casamance.

Dans ce jeu régional à plusieurs entrées autour de la Casamance, c’est Bissau qui a pris la main. De retour au pouvoir dans un pays ou des lustres d’agitation politico-militaires ont vidé les caisses, le président «Nino» Vieira entend visiblement donner des gages de bon voisinage à son pair Abdoulaye Wade, prouvant ainsi, s’il en était besoin, que lui-même et son armée retrouvée ont rompu avec un passé antérieur à sa déposition (1999). Il fut un temps en effet où soldats et surtout gradés bissau-guinéens compensaient leurs arriérés de solde par toutes sortes de trafics, armes comprises, dans lesquels la filière indépendantiste jouait un rôle central, en vertu de ses positions transfrontalières.

Un parfum d’hydrocarbures

Certains militaires bissau-guinéens ont difficilement renoncé a la juteuse contrebande organisée avec les Casamançais. Mais comme l’indiquait en février dernier un bulletin de la Société des pétroles du Sénégal (Pétrosen), au large de la Casamance, à la frontière des eaux territoriales entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, «a été découvert un potentiel de 1 à 1,5 milliard de barils d’huile lourde», une affaire très sérieuse qui mérite sans doute un coup de balai bissau-guinéen dans la fourmilière indépendantiste, même si, offshore, les compagnies pétrolières ont l’habitude de gérer ce genre de risque. Au cours actuel de l’or noir, le jeu en vaut sans doute la chandelle.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email