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Identité citoyenne : « Garawoul », « Yalla bakhna »… Habitude de langage ou croyance, les Sénégalais en parlent

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Identité citoyenne : « Garawoul », « Yalla bakhna »… Habitude de langage ou croyance, les Sénégalais en parlent

Ils sont presque bloqués au bout de la langue des Sénégalais pour en déformer le jeu des lèvres. Exclamation habituelle, ils font partie intégrante du code de langage des populations, quels que soient l’âge, la religion et le statut. « Garawoul » (ce n’est pas grave), « Yalla bakhna » (Dieu est bon), parmi tant d’autres, révèlent, dévoilent et démontrent la spontanéité de la personne à réagir par rapport à nombre de faits malheureux, des moments de joie, de situation d’apaisement, de soutien, de se donner du courage, mais, cacheraient, selon d’aucuns une certaine… hypocrisie. Pour d’autres, au-delà d’une simple habitude de langage, cela participe à juger le niveau de croyance de la personne qui le dit surtout lorsqu’il s’agit de « Yalla bakhna », (Dieu est bon). Cependant, mis à part deux dénominatifs, nombreux sont en effet, dans le langage des Sénégalais, d’autres exclamations dont la connotation reflète les mêmes significations, le ton changeant selon les accointances avec l’interlocuteur, ses différences, qu’on le nargue ou qu’on lui apporte son soutien par la présence des mots. « Garawoul way » ; « mouk garawoul » ; « Mo garawoul » ; « dédéte garawoul ». « Monté dé, Yalla bakhna ! ». Identité citoyenne, habitude de langage ou croyance, les Sénégalais en parlent.

Dans la codification des langues, nombreux sont les termes ayant une signification particulière et à plusieurs sens, selon les personnes qui l’utilisent. Que l’on soit jeune, adulte ou d’un autre âge, plusieurs expressions ont perdu de leur essence originelle par le fait d’une « dénaturation » ou déformation de la langue, surtout dans les foyers citadins. Cependant, et même si, dans les campagnes, la « chose » n’a pas encore atteint certaines proportions, il commence à y gagner du terrain par le simple fait des « exodés », qui pour un moment particulier retournent à leur lieu de provenance. Cependant, tout prés d’une déformation, de nombreux termes dans le langage se sont adaptés à une certaine modernité, ou modernisation, dans un environnement en profonde mutation. Ce qui voudrait dire, que la langue marche avec le niveau de transmutation des jeunes, qui, par la force de la masse, parviennent à lui donner un certain sens ; qui, par moments, se démarque de sa signification originelle. Au-delà, certaines expressions, par une utilisation plurielle, sont par la force des choses, devenues une identité citoyenne chez les Sénégalais. C’est le cas, parmi tant d’autres de « garawoul » (ce n’est pas grave) et de « Yalla bakhna » (Dieu est bon). En effet, par une habitude d’expression selon un contexte particulier, simple causerie, échanges multiformes, jeu d’apaisement, encouragement et soutien, subtilité verbale, et ou hypocrisie, les Sénégalais se sont appropriés ces deux termes à tel point qu’il est presque impossible au Sénégalais moyen de ne pas l’utiliser le temps d’une journée.

De l’habitude de langage à une identité citoyenne

De par une utilisation à outrance, c’est de manière incontestable que le terme « garawoul » est devenu une véritable identité citoyenne chez les Sénégalais. « Pour ma part, j’ai l’habitude de l’utiliser. Mais, je dois reconnaître que par instants, je ne sais même pas le pourquoi », déclare Moussa Ndiaye, gestionnaire de fonction. Poursuivant ses propos, il dira, « seulement, je ne fais pas partie de ces personnes qui ne disent pas ce qu’elles pensent. Des fois, on me reproche d’être trop direct. Aussi, je puis vous assurer qu’en le disant comme ça, je reviens toujours pour dire ce que je pense et ressens réellement ». Sur le même registre, Racine Bâ, businessman, ajoutera, « c’est vrai que nous tous, utilisons ce terme. Chez moi, c’est une identité pour me signaler jeune qui est In. Mais, je dois reconnaître, que le terme cache beaucoup plus d’hypocrisie chez la quasi-totalité des personnes qui le disent, pour la bonne et simple raison que cela ne vient pas du cœur. On ne peut pas à tout moment dire garawoul. À force de le dire, cela devient du faux ». Autant que ceux-là, nombreux sont les Sénégalais qui soutiennent sans ambages, que l’expression « garawoul » cache les sentiments réels de la personne, plus qu’elle ne révèle. « Garawoul way » ; « mouk garawoul » ; « Mo garawoul » ; « dédéte garawoul » ; sont tous des exclamations renvoyant à la même connotation qui renseigne de la négativité du terme. Autrement dit, l’ensemble des termes voudrait dire, « non, ce n’est pas grave ». Aussi, ils reviennent, quels que soient le contexte et l’ampleur de l’incident auquel on est confronté. « C’est vrai. Content ou pas content, c’est le même propos qui revient. Moi, je dirais qu’au-delà d’une habitude de langage, c’est devenu une identité citoyenne. Mais, il faut aussi reconnaître le caractère d’homme d’apaisement du Sénégalais. C’est-à-dire qu’il est du genre à ne jamais vouloir faire ou dire du mal. Ce n’est pas de notre habitude à dire des mots déplacés. Alors, autant dire garawoul, même si on a mal qui évite d’extrapoler dans les échanges et dire quelque que l’on pourrait après regretter », défend Moussa Sarr, acteur culturel. De même avis, bon nombre de Sénégalais sont unanimes. Et pour cause, le fait d’utiliser un tel terme participe à mieux apaiser la souffrance, même si les enjeux sont parfois assez énormes. Seulement, reconnaissent-ils, que nombreuses sont également les personnes qui en font appel sans aucune sincérité. Habitude de langage pour devenir une identité citoyenne du Sénégalais.
 
Tout pour tout, « Yalla bakhna »…

Que l’on souffre, que l’on soit dans le besoin, que l’on soit content, malade, échec, que l’on manque d’eau, d’électricité, que les prix deviennent exorbitants, que le prix du carburant flambe, qu’il pleuve ou qu’il ne pleuve pas, que l’on perde son bien, que l’on nous trompe ou vole, parmi d’autres exemples, ce qui reste coincé au bout des lèvres du Sénégalais est bien entendu « Yalla bakhna ». Un bon réflexe qui renvoie à une soumission du croyant à son Créateur. Comme pour dire que ce qui arrive est du ressort de Dieu. « Yalla bakhna » (Dieu est bon), renverrait donc à mesurer le degré de croyance de la personne par rapport à une situation quelconque. En bien ou en mal. Cependant, force est de reconnaître que l’expression somme toutefois bien utilisée, ne reflète pas toujours une croyance réelle, car la personne qui le répète le dit, sans en mesurer l’impact réel. Autrement dit, à force de la répéter, tout comme le terme « garawoul », « Yalla bakhna » est aussi venu se greffer aux habitudes de langage du Sénégalais. Que l’on soit jeune, adulte, personnes âgées, chacun en fait son leitmotiv. Telle une musique populaire, tout le monde sait la chanter, et lui donner l’intonation qui répond à la situation qui se présente à soi. « Il ne se passe pas un jour sans que je ne dise, Yalla bakhna. Pour moi, cela participe à me donner du courage et raffermir ma foi. En le disant, je mesure les propos, car depuis un an, je pratique sans relâche le zikr. Donc, je peux dire que le dis tout en sachant ce que cela signifie réellement », défend Ibrahima Seck, vendeur de téléphone portable. Dans la même foulée, Lamine Diouf, agent commercial, avancera, « cela participe à donner courage surtout lorsqu’on est dans la difficulté et le besoin. Mais, il faut que c’est également une habitude chez nous que de le dire. Ce qui veut dire que par instants, il peut arriver qu’on le dise uniquement par instinct ». Pour sa part, Alpha Ndiaye, médecin défendra : « On m’a tellement dit Yalla bakhna que je suis arrivé à un tel point que je crois plus à la sincérité du propos, surtout lorsqu’il provient de la bouche d’une personne anonyme. Ce qui veut dire que pour moi, il faut bien que l’on soit proche de la personne pour le lui dire. Si ma femme me dit Yalla bakhna par rapport à une situation qu’elle connaît et que je traverse ; pour moi c’est sincère, et c’est une manière de me donner plus de courage, à pouvoir surmonter certains obstacles. Idem pour mes parents, frères et sœurs, car je sais qu’ils sont très proches de ma personne. Ou encore une personne d’un certain âge qui sait ce qu’elle dit, et à quelque moment le dire. À cet instant, cela dévoile une certaine croyance de la personne, pour certains, mais pour d’autres c’est uniquement une habitude ». À côté, une jeune fille très à la mode se nommant Aïcha Diop, grosse lunette, jean serré taille basse, petit haut, déclarera, « vous savez, chez nous, on dit beaucoup de chose pour montrer notre appartenance à la société. Moi, je ne prie pas tous les jours, je jeûne quand je peux, mais pour autant je dis tout le temps Yalla bakhna. C’est un signe et une marque d’attention pour la personne. On s’en sert aussi pour faire comprendre à un homme qui court derrière nous qu’il y a d’autres filles, outre que nous. Pour ce faire, on lui dit, écoute Yalla bakhna, et là il comprend que nous voulons lui dire, va essayer ailleurs. Mais, il arrive qu’on le dise tout en mesurant son ampleur et sa signification. C’est à peu près comme garawoul quoi ». Et, de propos en propos, pour Malick Wone, c’est une seule chose. « On le croît pas. On le dit, mais on ne le croit pas. Pour tout, on le dit. Ha ! Non, mais c’est trop. Tout le temps Yalla bakhna, Yalla bakhna ! Dieu a toujours été Bon et ça, tout le monde le sait ».

C’est dire, que les Sénégalais sont partagés par rapport à l’utilisation de deux termes qui, de par leur redondance, sont devenus une identité citoyenne et participe à apaiser comme la musique dont on dit qu’elle apaise les mœurs. Partagés entre habitude de langage pour devenir une identité citoyenne et croyance, « garawoul » et « Yalla bakhna » sont à même de juger une certaine personnalité de la personne à savoir et à pouvoir réagir par rapport à une situation donnée. Même si derrière, il arrive qu’ils se frottent à un degré…d’hypocrisie. Aussi, comme l’a soutenu l’imam Tafsir Camara, faut bien, lorsqu’on est croyant de se tourner vers Dieu, mais faut-il croire en ce que l’on dit ou avance. 
  
Trois questions à Aly Khoudia Diaw, sociologue

Qu’est-ce qui explique selon vous l’utilisation à outrance par les Sénégalais des termes « garawoul » et « yalla baxna » ? 
 
Le contexte sénégalais, dans sa culture et dans ses traditions multiséculaires, a toujours accordé une place très importante aux représentations, qu’elles soient de types animistes, musulmanes ou autres.

La croyance que nous avons en Dieu, et qui dicte l’essentiel de nos délibérations conditionne nos rapports face à toutes les formes de situations. Je pourrais dire que le terme « garawoul » est presque une forme de résignation, aussi bien devant les choses qui dépendent de nous que des choses qui ne dépendent pas de nous. 
   
 Devant la mort, devant l’accident, devant les échecs, devant les catastrophes, c’est toujours les formules de réconfort, d’encouragement du genre « garawoul », suivi en cela du terme « yalla baxna ». Comme pour dire que l’espoir n’est pas perdu, et que Dieu fait toujours ce qui est mieux pour le croyant. C’est que dans la structuration de notre mentalité et de notre environnement immédiat, c’est Dieu le seul juge et l’individu, quels que soient le contexte et la situation du moment, quelle que soit la tragédie, ne doit jamais remettre en cause la volonté divine, et mieux, ne doit jamais perdre espoir.

Or, ce qui fait vivre les hommes, et ce qui fait tenir les sociétés, c’est l’espoir. L’existence de Dieu est donc nécessaire, non seulement à l’explication de certains phénomènes, mais aussi à l’acceptation de certaines situations et conditions humaines.

Donc, « garawoul » pour la consolation et pour le dépassement, « mougneul », car Dieu, forcément, reconnaîtra les siens, parce que justement il est miséricordieux, « yalla baxna ».

Pensez-vous que ce qui est une habitude de langage a glissé de son contexte sémantique pour revêtir les formes d’une identité citoyenne caractéristique du Sénégalais ?

Habitude de langage, oui forcément, et cela traduit notre désarroi profond face pourtant à des choses qui relèvent du rationnel, parce que où que vous soyez dans le monde, si vous entendez le terme « garawoul », même sur la planète Mars, ne vous retournez pas, il s’agit d’un immigré sénégalais sur Mars qui a transposé son fatalisme en ces lieux. C’est extraordinaire, la manière dont le « type » sénégalais parvient au dépassement grâce à la seule formule du « garawoul ». Vous faites deux heures entre Ouakam et le centre ville, garawoul, parce que nous Sénégalais, nous n’avons pas la mesure du temps. Un esprit rationnel ne trouvera jamais d’excuse à cela. Vous mourrez du paludisme ou du tétanos, au lieu que votre voisinage se remette en question, c’est le contraire qui se passe, car on trouvera toujours des subterfuges en invoquant Dieu, alors que quelle que soit la situation, on est toujours responsable en tant qu’acteur principales de nos délibérations, qu’elles soient de convictions abrahamiques, jésuites, ou Mahométistes. Donc à mon niveau, le problème réside fondamentalement dans le dépassement de « l’en-soi »pour accéder au « pour-soi, c'est-à-dire, à une sorte de liberté idéelle pour asseoir une grille d’analyse de nos faits et gestes dont nous serons les seuls maîtres, et non pas nous réfugier dans un fatalisme béat et sans retenue.

Le terme « yalla baxna » mesure-t-il le degré de croyance du Sénégalais ?

Non, car son utilisation est devenue mécanique, presque inconsciente, c’est devenu un réflexe, le premier d’ailleurs. Bien sûr que « alla bakhna », nous avons été formatés en la croyance en Dieu depuis notre naissance, mais il ne suffit de dire que « Yalla bakhna », car même «bou yalla baxé, bou mou la terré baye sa toll », comme disent les wolofs. Je pense que la religion est un tout qu’il faudrait cependant dissocier de la tentation à la facilité pour expliquer nos échecs par la volonté divine. En cela, mes convictions sont claires et précises, et je l’ai évoqué lors d’une conférence qu’il ne s’agit pas de faire nos cinq prières pour ensuite se jeter sur la première bonne femme qui passe ou du « ammel hakk ba goudi niou déme tedi », (faire du tort toute la journée, et ensuite aller se coucher). La religion, c’est autre chose, et je pense que le « yalla baxna traduit plus une impuissance, et l’espoir que demain sera un jour meilleur, plutôt qu’un signe de croyance réelle et effective. Donc, de manière générale, ma conviction est que nous devons prendre du recul, pour mieux apprécier la sémiologie populaire, afin d’en cerner le sens véritable. 



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