IMPLICATION DES BUS DANS LES CATASTROPHES SUR LES ROUTES : Des chauffeurs déroulent les causes des nombreux accidents

Les clients avaient chanté le confort de ces bus. Aujourd’hui ils ont peur de ces véhicules pointés du doigt à cause de la fréquence des accidents au Sénégal. Sur le parking de Léopold Sédar Senghor où se trouve la plus grande gare routière de bus de la capitale, les chauffeurs livrent une analyse critique de la fréquence de ces accidents.

Les bus de 65 places sont stationnés dans le parking du stade Léopold Sédar Senghor. Près de la tente de « Nioko-transport », les passagers descendent des taxis à 17 heures, ce mardi 22 juin 2010. D’autres achètent les tickets. Cinq mécaniciens vérifient le moteur d’un bus près d’un poteau électrique. Un peu loin de cette effervescence, Mamadou Ndiaye égrène son chapelet sur une natte étalée sur la chaussée, près de la portière du bus « horaire » Grand Médine-Touba. Sa tunique et son bonnet noirs sont les signes extérieurs de son appartenance à la confrérie mouride. Les photos des chefs religieux de cette confrérie sont collées au bas du pare-brise. Ce talibé mouride n’accuse pas les chauffeurs dans la fréquence des accidents, il est plutôt fataliste. « Aucun chauffeur au monde ne souhaite faire un accident. Si Dieu dit qu’il y aura un accident, personne n’y peut rien. Il y a beaucoup de commentaires sur les accidents des bus mais il faut prendre en compte le destin », résume Mamadou Ndiaye. De l’autre côté du parking, près du centre socioculturel de Grand-Médine, les chauffeurs devisent sur le côté droit du bus « Rimbo-transport ». Apprentis et conducteurs analysent de façon beaucoup plus rationnelle l’implication des bus dans des accidents. Adossé à une chaise, les jambes pliées, le jeune homme de teint noir charge d’abord les chauffeurs. « Ils conduisent sans respecter le code de la route. Ils garent sans respecter le code de la route. Parfois, ils se stationnent sur la route. Beaucoup de facteurs expliquent ces accidents », rapporte le chauffeur Cissé.

La hantise du versement

Modou Diouré, chauffeur de bus malien, évoque la fatigue et le manque d’expérience des conducteurs de ces bus. « Parfois, dans la nuit, on voit un conducteur braquer les phares sur une voiture venant dans le sens inverse, c’est un comportement qui entraîne les accidents », estime Modou Diouré. Le chauffeur Cissé reprend la parole et dit : « Les bus sénégalais ont un chauffeur tandis que ceux du Mali ont deux chauffeurs qui se relaient ». Plus d’une vingtaine de bus sont stationnés. La rentabilité a poussé les acteurs économiques à investir le secteur. La ruée vers les bus cache les contraintes imposées aux chauffeurs. « Les propriétaires de ces bus exigent des chauffeurs des versements de 250.000 francs Cfa, 300.000 francs Cfa et plus par semaine. Les chauffeurs sont obligés de travailler sans se reposer. Ils se mettent dans des situations qui favorisent les accidents », fulmine Ousmane Sarr.

« Les accidents, c’est moins l’état du véhicule »

Habillé d’un boubou multicolore, un autre chauffeur ajoute. Il parle à haute voix comme pour attirer l’attention de ces jeunes confrères qui sirotent le café devant d’un bus. « Beaucoup de conducteurs de bus ne maîtrisent pas toutes les techniques. Ils ne savent pas qu’on ne freine pas un bus comme on freine un car rapide ou un taxi », relève le chauffeur Ousmane Sarr qui conduit depuis 1976. Il a été conducteur de camion, de taxi et de cars « Ndiaga Ndiaye » avant de finir aujourd’hui au volant d’un bus. Evoquant son expérience et les scènes d’accidents rencontrés sur la route, Ousmane Sarr estime que l’homme est responsable au premier chef de ces catastrophes. « Je vous assure, beaucoup de chauffeurs ne respectent pas le code de la route. Ils conduisent comme ils veulent. D’autres ne connaissent rien des panneaux de signalisation. Il y a certains qui pensent que les lignes continues servent à orner les routes. Les accidents, c’est moins l’état du véhicule, l’état de la route que les comportements des conducteurs », se désole Ousmane Sarr. Sous le hangar, les conducteurs qui viennent d’arriver se renseignent sur leur position pour leur prochain départ.

Inexpérience de certains chauffeurs

Mamadou Diop est un conducteur de bus en chômage technique pour des questions de principe. Sa chemise fleurette et son pantalon jean, ses babouches blanches ne confèrent aucune harmonie. La personnalité du chauffeur se lit à travers son port vestimentaire. Mamadou Diop s’en prend aux propriétaires de voitures. « Ce n’est pas tout chauffeur qui peut conduire un bus. Je pense qu’il faudra des séances d’entraînement de quelques jours avant d’engager les longs courriers. Au Sénégal, on voit des personnes quitter le garage, l’atelier de mécanique ou un taxi pour conduire un bus. Elles n’ont pas d’expérience. Elles ne connaissent pas les routes », énumère Ousmane Diop.

La quête du profit, dit-il, est l’une des raisons qui poussent les transporteurs à confier leurs bus à des chauffeurs inexpérimentés. Au fil du temps et au regard du chapelet d’accidents mortels sur les routes, le confort de ces bus chanté par les clients a cédé la place à la peur.