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Intimité sur les réseaux sociaux : Quand la modernité pousse la pudeur vers la sortie

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Intimité sur les réseaux sociaux : Quand la modernité pousse la pudeur vers la sortie

Entre la volonté pour certains de chercher des solutions à leurs problèmes de couple, d’ordre sexuel de surcroît, et celle pour d’autres, de révéler au grand jour ce qui devrait être intime, la pudeur sénégalaise a pris un grand coup. De plus en plus, sur les réseaux sociaux et autres nouvelles technologies de l’information de la communication, on voit du tout et on parle de tout. Un constat qui pousse aujourd’hui à s’interroger sur la pudeur et cette « banalisation » de la sexualité au Sénégal. Car l’anonymat d’internet est souvent un leurre, et même un piège.

Vu sous un certain angle, on est tenté de se demander où est-ce qu’on va. Entre l’histoire de cette adolescente qui a fait le buzz, pour s’être déshabillée sans aucune retenue sur une vidéo pour l’envoyer à son petit ami ; ces nouvelles danses (‘’twerk’’, ‘’coller la petite’’ ou ‘’bombasse’’) à caractère carrément sexuel ; ou encore toutes ces personnes qui ont tout simplement décidé d’exposer leur moments intimes au grand public sur les réseaux sociaux ; il y a lieu de s’interroger. Que dire alors du comportement de Niang Kharagn Lo qui vient de publier sur l’application snapchat la photo de son sexe ? Aujourd’hui, et de plus en plus, la morale, la pudeur ou plutôt le ‘’kersa’’, ces valeurs bien sénégalaises sont terriblement mises à mal. Ce sont les fondements de la société qui sont questionnés.

« La sexualité n’est plus aussi taboue qu’avant. En tout cas, le sujet. D’où certaines attitudes récurrentes et insolites dont on entend parler de nos jours», constate Nastou Fall. A son image, nombre de Sénégalais jugent aujourd’hui que, d’une certaine manière, cette « pudeur »  perd du terrain. On ne s’en soucie plus comme c’était le cas, il n’y a pas longtemps. Les faits quotidiens, dévoilés au grand jour, à travers les médias et les réseaux sociaux, sont pour certains des preuves suffisantes. Pis, « tout ceci a des répercussions, d’une certaine manière, sur les faits et gestes de la population, surtout des jeunes », pensent d’autres. Autre regard, autre réalité à laquelle cet artiste de renom dit être obligé de faire face, c’est qu’« on est au Sénégal. Beaucoup de choses ont changé ». Jeune de par son âge et bien imprégné des réalités de la jeunesse, l’artiste qui préfère taire son nom pense qu’il faudrait que les Sénégalais ne se voilent pas la face. « Soit ce sont les médias qui montrent un certain visage de notre société ayant toujours existé, soit ce monde qui évolue est en train de perdre notre Sénégal du ‘kersa’. »

En effet, alors qu’il était récemment en tournée en Europe, il avoue avoir mis du temps à comprendre que cette fameuse adolescente qui s’est dénudée pour son copain vient du Sénégal. Loin de lui l’idée de jeter l’opprobre sur cette dernière, il signale toutefois que la réaction de tout le monde mérite des interrogations. « C’est devenu monnaie courante de voir des gens mettre au grand jour, sur Internet, des vidéos du genre. Et à côté du fait que nombreux sont ceux qui semblent s’en offusquer, ceux-là mêmes sont ceux qui s’empressent de télécharger la vidéo et de se la passer », dit-il. Puis, de s’interroger, sur un ton sérieux : « Mais où va ce pays ? »

Une bonne question à laquelle A. Fall répond en attirant l’attention sur l’usage à outrance des réseaux sociaux (snapchat) par les jeunes. « Quand on en arrive au Sénégal à décider de se filmer dans des toilettes en train de se laver ou de faire ses besoins, c’est que la pudeur a pris la porte. C’est privé. » Pour cette demoiselle, assistante de direction dans une agence nationale du pays, « on pense que ce sont les femmes qui ne répondent plus à cette qualité, mais, c’est tout le monde. Hommes, femmes, enfants ».

Quand la pudeur prend la porte…

Entre la réalité domestique des Sénégalais et cette autre vie qu’ils mènent sur les réseaux sociaux, la barrière est mince. Sous le couvert de l’anonymat, certains préfèrent se dévoiler tels qu’ils sont. Ou alors, mettent à nu leurs pulsions, problèmes ou complexes sexuels, sans retenue. Du coup, on voit du tout. Ce qui fait dire à Abdoulaye Fall, sociologue, doctorant-chercheur à l’Ifan, qu’effectivement « dans ces espaces, la sexualité est débattue sans retenue. Que ce soit sur Facebook, WhatsApp ou encore Telegram. Chacune et chacun raconte son histoire, sa vie amoureuse, ses relations intimes avec son copain ou son conjoint sans peur d’être jugé ». Toutefois, estime-t-il, « si aujourd’hui, les réseaux sociaux sont transformés en des espaces de dialogue et d’échange sur la sexualité, c’est justement parce que la question est insuffisamment abordée dans les familles. Du coup, les jeunes en général et les femmes en particulier vont poser le débat dans ces cadres, pour en discuter entre pairs, avec tout ce que cela comporte toutefois comme risque. Un risque qu’ils ne mesurent pas suffisamment car, lorsque l’on est entre pairs, il est souvent très difficile de mesurer les dangers encore moins de se préoccuper des questions de pudeur ou de décence, du moment où le groupe offre un certain gage de sécurité à ses membres ».

Adepte d’un groupe privé de facebook où elle a pris l’habitude de soumettre ses problèmes au jugement de personnes qu’elle ne connaît point physiquement, Salimata Niang, 37 ans, mariée et mère de 2 enfants, ne voit aucun inconvénient à aborder des sujets d’ordre sexuel entre femmes. Toutefois, en ce qui concerne quand même le caractère élargi de l’espace qu’elle a choisi, elle dit : « Ces personnes qui sont en tout cas dans ce groupe auquel j’appartiens sur facebook sont de bonne foi. Il n’y a rien d’impudique dans ce que nous nous disons. C’est juste qu’on a l’opportunité d’avoir des conseils objectifs par rapport à nos problèmes et ce n’est pas tout le temps d’ordre sexuel. Il y a même des hommes sages parmi nous. » Mieux, Salimata qui est dans un ménage polygame attire même l’attention sur le fait que beaucoup de couples y sont sauvés. « Et entre nous, quand les sujets sexuels se succèdent, les membres se plaignent. Juste pour vous dire qu’on n’a pas forcément des gens à qui nous pouvons nous ouvrir, sans détours, sur nos problèmes. Les gens sont devenus bizarres et de la méchanceté gratuite plane toujours dans l’air. Autant parler à de purs inconnus qui n’en ont rien à faire de nos histoires. »

L’impulsion de nouveaux cadres de dialogue, sans   retenue…

Certes, le dialogue a toujours existé au Sénégal. Cependant, d’après M. Fall, il se faisait jadis dans des cadres spécifiques comme le « lël » chez les garçons, sous l’arbre à palabre ou le « pénc », du côté des adultes ou encore dans les « mbootaay » et autres « ndey dikké », en ce qui concerne les femmes. « Chaque catégorie d’âge disposait ainsi d’un espace voire d’un cadre de rencontre, d’échange et de dialogue dans lequel certains sujets sont abordés entre pairs. Le monde évolue cependant et les avancées technologiques ont impulsé de nouveaux cadres de dialogue, d’espaces de rencontre et de discussion à travers notamment les réseaux sociaux.

En l’absence aujourd’hui de ces cadres traditionnels d’échanges dans un monde où l’individualisme prime désormais sur le communautarisme et où les familles mononucléaires prennent le dessus sur celles élargies, la seule voie de recours pour les jeunes, tout comme pour certains adultes, demeure les réseaux sociaux où, à l’instar des « pénc », des « lël » et des « ndey dikké », tous les sujets sont pratiquement débattus ». Toutefois, poursuit le sociologue : « Ces sphères ont la particularité d’asseoir un certain brassage des cultures, puisque les personnes qui s’y retrouvent viennent de divers horizons, donc de cultures forcément différentes. Evidemment, certaines questions sociales voire sociétales y sont débattues et des solutions apportées. C’est pourquoi je disais tout à l’heure d’ailleurs que ces réseaux sociaux ont certes des avantages, mais aussi des inconvénients pour ses utilisateurs. Au moment où certains en tirent profit, d’autres par contre en pâtissent. »    

PAR AI?SSATOU THIOYE



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