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Kadhafi au Sénégal... Retour sur une visite haute en couleur

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Kadhafi au Sénégal... Retour sur une visite haute en couleur
Le leader charismatique de la Libye, le colonel Mouammar Kadhafi, souvent à l'origine de controverses, était dans son élément lorsque, profitant de la visite d'Etat de quatre jours qu'il vient d'effectuer au Sénégal, pays de la Téranga (hospitalité) africaine, il a asséné quelques-unes de ces "vérités" qui font la marque de fabrique de son personnage.

Pour la Guide de la Révolution du 1er septembre 1969, cette visite a servi de tribune pour rappeler au monde comment les puissances coloniales occidentales ont pillé l'Afrique et contribué à l'installation du sous-développement sur le continent.

Invité d'honneur aux cérémonies marquant le 46ème anniversaire de l'indépendance du Sénégal, qui consacre l'émancipation de ce pays autrefois sous joug français, le chef de l'Etat libyen s'était préparé.

Resplendissant dans sa tenue, faite d'un savant dosage des styles africain et arabe parfois agrémentés d'emprunts aux traditions vestimentaires occidentales, le Guide libyen n'est pas passé inaperçu dans la foule, sa grande taille et les nombreux éléments de sa garde de sécurité aidant.

Les Sénégalais, notamment les jeunes, sont sortis par milliers pour apercevoir le leader du Maghreb-africain, dont c'était la première visite dans leur pays depuis plus de vingt ans.

A son arrivée à l'aéroport international Léopold Sédar Senghor, c'est l'hymne de l'Union africaine (UA) qui avait été joué, en lieu et place de l'hymne national, avant que le chef de l'Etat libyen ne passe en revue de la garde d'honneur.

Par ailleurs, pour mieux marquer la visite de son ancien ennemi juré, devenu aujourd'hui son allié politique, le président Abdoulaye Wade, qui partage la passion du Guide de la Révolution libyenne pour le Panafricanisme, a déployé un important arsenal militaire, notamment des troupes et des moyens aériens, pour donner encore plus de couleurs au faste des célébrations de l'anniversaire de l'indépendance du Sénégal.

Le défilé du 4 avril a été diffusé en direct par les télévisions nationales des deux pays.

Trois détachements des forces armées libyennes, comprenant des femmes et des éléments des redoutables unités de commandos, ont pris part au défilé, tandis que des avions libyens et des hélicoptères saoudiens participaient à l'impressionnant déploiement de forces aériennes.

Kadhafi, qui était assis à côté de son hôte, le président Abdoulaye Wade, a assisté à cet événement en compagnie de quatre autres chefs d'Etat africains, Joao Bernardo Vieira de la Guinée- Bissau, Pedro Pires du Cap-Vert, Omar Bongo Ondimba du Gabon et Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, président en exercice de l'UA.

Si le défilé et le show aérien ont offert un véritable spectacle, les discours sans restrictions du Guide libyen, qui s'est exprimé à plusieurs reprises au cours de sa visite, ont marqué les célébrations de l'anniversaire de l'accession du Sénégal à la souveraineté internationale.

La première salve a été tirée sur les lieux du défilé, où il a enjoint les Sénégalais d'exiger des réparations de l'ancienne puissance coloniale, la France, pour la colonisation et les "dommages" causés aux Tirailleurs sénégalais qui s'étaient battus pour la France au cours des deux Guerres mondiales.

"La France doit réparer les dommages causés à votre pays. Elle doit dédommager ceux qui se sont battus dans les rangs de son armée et sont aujourd'hui oubliés. Elle a l'obligation de le faire et vous devez lutter pour obtenir ces réparations", a martelé Mouammar Kadhafi.

Le lendemain, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale sénégalaise, il avait repris le refrain des réparations.

La France et l'Italie, avait-il indiqué, doivent verser des dédommagements aux Africains si les pays européens veulent sincèrement tourner la page du colonialisme, une pratique inhumaine qui a déraciné des millions d'Africains en les arrachant à leur continent.

"Nous ne sollicitons pas des bonnes actions ou la charité de leur part, mais nous réclamons le prix des produits et des richesses qu'ils ont pillés en Afrique", a souligné le dirigeant libyen.

Faisant allusion à l'émigration des Africains vers l'Europe, il a déclaré: "comment se fait-il qu'ils parlent aujourd'hui d'immigration? Ne comprennent-ils pas que les Africains ne cherchent qu'à récupérer les richesses que ces pays leur ont prises?".

"Lorsqu'ils nous ont envahi avec leurs armées, n'avaient-ils pas conscience que c'était illégal? Ils ont pillé nos richesses et nos matière premières, nous laissant dans une situation d'arriération. S'ils veulent que nous cessions d'aller vers eux il faut qu'ils nous rendent ce qu'ils nous ont pris", a-t-il expliqué.

S'exprimant encore sur son sujet favori, celui des Etats Unis d'Afrique, le Guide de la Révolution libyenne n'a pas caché sa frustration devant la lenteur du processus de mise en place d'un gouvernement africain doté d'une armée, d'un parlement et d'un marché unifiés.

Il a, plus particulièrement, appelé à la nomination en urgence d'un ministre africain de la Défense, qui sera responsable de la force africaine de maintien de la paix dont la création est imminente.

"Nous devons nommer de toute urgence un ministre de la Défense qui supervisera la paix et nos forces de défense. Comment voulez- vous faire avancer les choses lorsque 50 ministres de la Défense parlent en même temps? Je pense que nous devons mettre rapidement un terme à cette situation", a encore relevé le chef de l'Etat libyen, tout en soulignant que l'époque où chaque pays africain agissait en solo est révolue, "un petit Etat ne peut pas négocier avec des pays puissants unis".

Il a également plaidé pour la création de ministères panafricains des Affaires étrangères et du Commerce extérieur pour mener les négociations avec la Chine, l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon, tout en avertissant que le continent n'ira "nulle part" tant que la situation actuelle n'aura pas changé.

L'énigmatique leader africain, qui entretient avec l'Occident une relation d'amour-répulsion, n'a pas oublié de rappeler ses vieilles querelles avec les pays occidentaux, à l'époque où son pays était frappé par les sanctions décrétées par les Nations unies et maintenu dans une situation d'isolement du fait de sa politique étrangère sans compromis.

"La Libye a servi de cadre pour la formation des forces africaines de libération, leur fournissant de l'argent et des armes, ce qui avait conduit les pays occidentaux à l'inscrire sur la liste des soutiens du terrorisme.

"La Libye a payé un lourd tribu et le peuple libyen s'honore de ces sacrifices, qu'il considère comme un devoir sacré", a noté Mouammar Kadhafi, tout en appelant à la protection de la liberté difficilement gagnée par l'Afrique, insistant sur la nécessité d'une intégration pour prévenir une re-colonisation de l'Afrique.

Il a, par ailleurs, exhorté les quatre principaux pays pétroliers d'Afrique (Algérie, Libye, Nigeria et Angola), à créer un fonds spécial pour venir en aide aux pays les plus pauvres du continent.

"Le refus d'aider les pays africains les plus pauvres est une attitude irresponsable. Nous devons agir pour réduire les souffrances des pays pauvres frappés par l'augmentation des prix du pétrole", a affirmé le Guide de la Révolution libyenne, tout en soulignant que son pays ne peut, à lui tout seul, aider tous les pays africains concernés.

A l'occasion d'un rassemblement organisé en son honneur par des milliers de femmes sénégalaises, dans l'enceinte du Stade Léopold Sédar Senghor, le chef de l'Etat libyen avait expliqué que l'Afrique doit promouvoir les langues africaines et oeuvrer en faveur de l'adoption d'une "lingua franca", au lieu de gaspiller des ressources en les consacrant à l'apprentissage du français, de l'anglais, de l'espagnol et du portugais.

A son avis, il est "honteux" que les Africains s'adressent les uns aux autres par l'intermédiaire d'interprètes.

L'un des temps forts de sa visite a été la pose de la première Pierre d'un immeuble de 50 étages, la "Tour Kadhafi", à Dakar, qui devrait, selon Cheikh Tidiane Gadio, le chef de la diplomatie sénégalaise, "magnifier la présence libyenne au Sénégal, avec des investissements productifs".

Ce complexe d'une valeur de 250 millions de dollars contiendra un hôtel, un centre de conférences, des bureaux et d'autres infrastructures.

Cependant, le grand bénéficiaire des retombées politiques de la visite du Guide de la Révolution libyenne sera sans doute le président Wade, qui va solliciter le suffrage des électeurs pour obtenir un second mandat en 2007.

"Vous avez la chance d'avoir quelqu'un comme le président Abdoulaye Wade", avait déclaré le chef de l'Etat libyen, s'adressant aux Sénégalais qui célébraient la fête de l'indépendance. "Essayez de tirer profit de lui. Ne le laissez pas tomber. Il faudra toujours le soutenir pour le bien du Sénégal et de l'Afrique".

Il reste à savoir si ce soutien se traduira par des voix supplémentaires pour le président Wade à l'occasion des élections de l'année 2007.

Mouammar Kadhafi avait ensuite abordé un point très sensible dans son plaidoyer très controversé en faveur de la présidence à vie en Afrique, à un moment où le continent avance difficilement sur la voie de la démocratie et où de nombreux chefs d'Etat africains sont fortement admonestés pour avoir manipulé la Constitution de leur pays afin de prolonger leur mandat.

Qualifiant la limitation du mandat présidentiel par la Constitution d'"obstacle au développement et au bon fonctionnement des Etats du continent", le Guide libyen a affirmé devant les députés sénégalais: "on peut rester président à vie si telle est la volonté du peuple. Ce n'est qu'en Afrique que les mandats sont limités".

"Les pays occidentaux qui parlent de démocratie ont des Rois et des Premiers ministres qui ne sont que des fonctionnaires. Si je prends l'exemple du président George Bush, il n'est en place que pour le décorum, mais la personne qui détient la réalité du pouvoir est ailleurs et il ne faut pas que cela arrive en Afrique", a affirmé le chef de l'Etat libyen.

Ce plaidoyer radical peut sembler audacieux et susciter l'ire des démocrates libéraux, mais venant d'un leader imprévisible, doté d'une redoutable capacité à surprendre, sinon à confondre ses détracteurs, il est peu probable qu'il constitue une surprise pour les experts en relations internationales.

A la fin des années 2004, alors que le monde était pratiquement à court d'idées en ce qui concerne ses relations avec la Libye, Kadhafi avait pris tout le monde par surprise en décidant de mettre un terme aux programmes nucléaires de son pays.

Cette décision peut être motivée par plusieurs raisons, mais cet acte unilatéral et le paiement de dédommagements aux familles des victimes du vol de la Pan-Am qui s'était écrasé en 1988, à Lockerbie, ainsi qu'à celles des victimes de l'avion d'Air France qui s'était écrasé au Niger, en 1989, ont contribué à améliorer l'image internationale de la Libye.

Le Guide libyen avait réussi en l'espace de deux ans à recevoir plus de dirigeants occidentaux que de nombreux autres pays africains n'ont pu le faire en deux décennies.

Les sociétés occidentales se livrent également à toutes sortes d'acrobaties pour retrouver une place dans l'industrie pétrolière libyenne, ce pays autrefois considéré comme un Etat paria.

De même, si l'on suppose que la présidence à vie est un système adapté à la Libye, compte tenu des particularités de ce pays, les analystes politiques estiment qu'il constituera non seulement une régression, mais qu'il pourrait également se révéler une dangereuse panacée pour les innombrables crises socioéconomiques et politiques qui sévissent en Afrique et au regard des immenses problèmes de développement qui interpellent ce continent à l'orée du 21ème siècle.

Elle pourrait même avoir pour résultat de transformer le rêve des Etats unis d'Afrique en véritable cauchemar.



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