L’incroyance et la malcroyance sont des maux qui minent le vécu quotidien des religions au Sénégal. Certains comportements le démontrent de plus en plus dans le rang des fidèles des communautés religieuses. L’Abbé Michel Kama, Vicaire à la Cathédrale de Dakar et chargé de la catéchèse, se prononce sur ces pratiques sénégalaises.
Qu’est-ce qu’un incroyant dans la religion chrétienne ?
Nous distinguons deux types d’incroyance : le malcroyant et l’incroyant. Les malcroyants, ce sont ceux qui croient mais qui croient mal. Ceux-là savent l’importance de la messe du carême, de l’amour, mais ne le pratiquent pas. Tandis que l’incroyant est celui qui ne croit pas du tout. C’est celui qui ne veut pas du tout de salut. On dit que quelqu’un est un incroyant quand il ne veut ni entendre parler de Jésus-Christ, ni de Mohamed (Psl), ni d’un quelconque personnage divin.
Est-ce que l’incroyant peut être assimilé à un athée ?
L’incroyant ne peut pas être tout à fait assimilé à un athée. Parce que l’athée, c’est quelqu’un qui grâce à sa raison nie l’existence de Dieu, ou qui refuse la réalité de Dieu. Un athée, c’est celui qui a réfléchi sur la religion, sur Dieu et qui met une croix rouge sur tout cela. Tandis que l’incroyant peut croire en d’autres réalités que la religion.
La malcroyance ou l’incroyance, est-ce un péché ?
La malcroyance ou l’incroyance peuvent ne pas être un péché. Car il s’agit d’une situation. Et dans une situation d’incroyance ou de malcroyance, quelqu’un peut se retrouver dans un péché. Celui qui connaît la réalité religieuse et n’adhère pas à cette cause dans une situation précise peut commettre un péché de cette manière. Mais celui-là, qui ne maîtrise pas cette réalité, qui l’ignore, ne pêche pas. Celui qui a reçu son baptême, sa communion, sa confirmation et qui s’est marié, mais néglige les prescriptions religieuses pour telle ou telle autre raison, pèche. Celui qui sait qu’un chrétien ne doit pas avoir deux femmes, mais qui se permet d’en prendre deux ou trois femmes, pèche. Tout ceci pour dire qu’il y a une grosse partie de l’incroyance ou de la malcroyance, qui peut conduire au péché.
Mais quelles sont en réalité les raisons de l’incroyance des familles chrétiennes au Sénégal ?
C’est des raisons multiples et diverses. Mais il y a surtout : l’absence de contact vrai avec la Bonne nouvelle de Dieu. Le manque d’expérience spirituelle. Les contestations du fait chrétien et les préjugés. Les gens ont peur de se montrer comme vrai chrétien et cela conduit à la malcroyance ou à l’incroyance. D’ailleurs, c’est ce pourquoi, le défunt Pape Jean-Paul II, dès son intronisation avait dit aux chrétiens du monde : «N’ayez pas peur.» Un peuple mal formé à la réalité religieuse recule. Un peuple qui ignore la réalité religieuse, politique, civile, recule ou reste sur place. C’est pourquoi, nous, nous pensons que l’athéisme est une contestation du fait chrétien. L’athéisme met en valeur la présence terrible du mal, dans un monde qui semble incompatible avec l’existence d’un Dieu amour.
Qu’est-ce qui peut amener un chrétien à ne plus croire en Jésus ?
Plusieurs raisons amènent l’un ou l’autre de nos frères ou sœurs à quitter la religion chrétienne pour la religion musulmane ou vise versa. Mais ceux qui ont quitté la religion chrétienne pour la religion musulmane devraient être les meilleurs en Islam. Puisqu’ils ont changé de religion pour des raisons précises. Mais ce sont eux, en général, les plus minables, dans l’autre religion. Car ce sont eux, qui ont amené par exemple l’alcool dans l’Islam. Les musulmans ne boivent pas. Si aujourd’hui, certains s’y adonnent, c’est certainement dû au fait que nos frères chrétiens, qui se sont convertis, ne pouvant plus changer ce côté alcoolique, ont fini par rallier d’autres frères musulmans à leur cause. Et, c’est de la même manière que ceux qui quittent l’Islam pour la religion chrétienne, apportent aussi quelques mauvaises graines de l’Islam. Mais ce qui est fondamental, dans tout cela, c’est le changement du cœur. Malheureusement beaucoup de personnes n’ont plus cette foi pour convertir leur cœur.
«Les tièdes, je les vomirai», a dit le Christ dans la Bible. Est-ce une manière de priver le paradis aux malcroyants ?
Pas tout à fait. En disant : «Les tièdes, je les vomirai», le Christ indexe les paresseux. Ceux-là qui ont la paresse spirituelle. Il y a des croyants qui ne veulent pas prier, mais qui se disent chrétiens. Et c’est pour leur montrer l’importance de la prière que le Christ a prononcé cette phrase à laquelle vous faites allusion. Et c’est également pour pallier cette paresse spirituelle qu’il nous a enseigné le «Notre Père», qui est une prière fondamentale que chaque chrétien doit réciter tous les jours...
L’incroyance ou la malcroyance des chrétiens n’est peut-être pas due à la froideur de certains prêtres ou religieux dans la transmission du message évangélique ?
Je ne suis pas d’accord que l’on dise des prêtres, qu’ils sont à la base de l’incroyance ou de la malcroyance de certains fidèles. Il n’y a pas que les prêtres qui évangélisent. Les signes de Dieu, notre nature humaine, la mort, la naissance et bien d’autres choses, évangélisent. Toute la vie de l’homme est une évangélisation. Même si, un prêtre de la Cathédrale ne fait pas son boulot comme il se doit, un prêtre de Ste Thérèse, fait son boulot. Donc un seul prêtre ne peut pas détourner les croyants de leur idéal à cause de son comportement. Même si ce que le prêtre dit ou ce qu’il fait n’amène pas un fidèle à la conversion de son cœur, si ces actes et faits ne reflètent pas tout le temps, le message évangélique, au moins la réalité de la messe doit toucher les croyants. Et, c’est pourquoi les prêtres disent la messe tous les jours.
La malcroyance et l’incroyance sont de l’avis de certaines personnes dues au fait que l’Eglise est pour l’inculturation. Est-ce votre avis ?
Il faut voir l’évolution du monde, par rapport à ce que nos grands parents étaient et ce que nous, nous sommes actuellement. Chaque peuple a ses valeurs. Nous avons des valeurs sénégalaises. La valeur du djome, du soutoura, du mougn (la patience), qui modulent toute la personne sénégalaise. Et pour mieux vivre notre vie chrétienne, l’Eglise accepte l’adaptation de ces valeurs aux pratiques religieuses. C’est cela l’inculturation. Et la valeur du djome par exemple entre intrinsèquement en relation avec la valeur chrétienne. Parce que celui qui a du diom ne vole pas, ne fait pas l’adultère. Celui qui a du diom, doit toujours écouter et vivre de cette vérité. Cela ne devrait donc pas attiser la malcroyance ou l’incroyance pour quelqu’un qui pratique ces vertus. Puisque toute personne qui fait siennes ces valeurs, vit le message évangélique sans s’en rendre compte.
De nombreux chrétiens, surtout au Sénégal portent encore des amulettes, des cauris protecteurs et autres. Tandis que la foi chrétienne enseigne que seul la croix du Christ sauve du mal. Est-ce la malcroyance, l’incroyance ou l’influence de la société sénégalaise qui est fortement maraboutique ?
Il faut considérer dans ce cadre deux choses. Celui qui se soigne et celui qui cherche à se soigner alors qu’il n’est pas malade. Un chrétien qui est malade et qui ne trouve pas un remède à l’hôpital, pour son mal, mais qui apprend qu’il y a un vieux à Ziguinchor pour le guérir de ce mal, il peut aller voir ce guérisseur qui va le sauver de sa maladie. Il faut donc distinguer le guérisseur, le maraboutisme et certaines divinations dans le but de se soigner. L’Eglise ne refuse pas qu’on aille voir un guérisseur pour guérir son mal. Mais l’Eglise est contre la divination. L’Eglise est contre le maraboutisme. Parce que dans le maraboutisme, il faut le reconnaître, il y a des vices. Il y en a qui cherchent de l’argent et qui vont voir des marabouts, qui leur font des choses pour arriver à leur fin. D’autres vont voir des marabouts, qui utilisent des cauris, et qui leur dise : «Méfiez-vous de la femme noire avec qui vous habitez ! Méfiez-vous de telle personne !» Et ils poussent ainsi les gens à faire des péchés, puisque le problème peut ne pas être cette personne que ce marabout prétend lire et voir à travers les cauris. Voilà pourquoi, l’Eglise n’est pas d’accord avec ces marabouts.
L’autre chose, c’est la peur qui habite les Sénégalais. Nous avons trop de supertitieux au Sénégal. L’homme sénégalais trouve un peu de poussière, de la poudre sur sa table au bureau, et ça y est. Il se dit : «Quelqu’un veut me tuer. Quelqu’un veut prendre ma place.» Il n’y a que les superticieux qui s’attachent de ces amulettes jusqu’au cou. Les vrais croyants dépassent la superstition et croient en Dieu. Ils savent que tout vient de Dieu, tout dépend de Dieu et tout finit en Dieu. Il n’y a que les peureux qui portent ces choses. Voilà pourquoi maintenant, on évite même qu’il y ait des gens qui viennent à l’Eglise avec ces amulettes. Puisqu’on ne peut pas croire en Jésus et vouloir s’attacher des amulettes. Il faut choisir l’un. Il faut que nos chrétiens dépassent enfin cette étape de peur, pour croire en l’existence d’un Dieu unique, le Dieu de Jésus-Christ, qui est plus fort que tout marabout.
En cette période de Carême quel message avez-vous à lancer vers ces incroyants et ces malcroyants ?
Je les invite à dépasser l’athéisme moderne qui relativise tout. Qu’ils évitent le positivisme qui prétend que l’homme est incapable d’affirmer avec exactitude une vérité qui n’est pas d’ordre expérimental. Qu’il dépasse le rationalisme moderne qui fait que certains se disent : «Ces prêtres-là, ne font rien, les chrétiens se trompent.» Il faut que les Sénégalais évitent d’être encombrés par leur moi, leur orgueil. Qu’ils évitent d’être encombrés par la sensualité à l’argent, à la femme... Car tout cela empêche de voir les réalités d’en haut. En un mot, j’invite tous les chrétiens et même les musulmans à la foi, à la vraie foi en Dieu.
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