L'assassin de Safiétou Diédhiou condamné à trois ans de prison : Les Sénégalais d’Annecy parlent de décision ‘incompréhensible, révoltante et inacceptable’

L'assassin de Safiétou Diédhiou, tuée le 18 août 2008, a pris trois ans de prison ferme après que le chef d'assassinat ne soit mué en chef d'accident par la cour d'assises d'Annecy. Un changement que dénonce la communauté sénégalaise d'Annecy qui parle de décision judiciaire ‘incompréhensible, révoltante et inacceptable’.

(Correspondant permanent à Paris) - La cour d’assises d’Annecy a jugé Thierry Mulatier qui a assassiné sa belle-mère, la Sénégalaise Safiétou Diédhiou Mulatier, enceinte de cinq mois. Le procès s’est tenu du 7 au 9 juin 2010. L’assassin a été condamné à trois ans de prison. Un verdict qui a mis toute la communauté sénégalaise d’Annecy et les parents de la victime dans l’émoi. Si la peine n’a pas été si sévère, c’est parce que les jurés n’ont pas retenu la thèse de l’assassinat, mais celle d’un accident. Alors que tous les éléments juridiques, consignés dans le réquisitoire du procureur de la République et qui ont envoyé Thierry Mulatier devant la cour d’assises, militaient pour la thèse de l’assassinat.

Safiétou Diédhiou a reçu au niveau de la tête un coup de pistolet automatique de calibre 7,65. Arrivés, les secours n’ont pas pu la sauver. ‘Les contestations médico-légales, faites sur le corps de la victime, puis l’autopsie mettaient en évidence l’existence d’une plaie crânienne et de deux plaies de l’oreille droite causées par un tir d’armes à feu. Selon les légistes, ce tir est bien la cause de la mort de Sophie Mulatier. (…).

L’expertise balistique, réalisée à partir de tirs effectués avec l’arme utilisée par Thierry Mulatier, et en tenant compte des résidus de tir découverts au niveau de l’oreille et du crâne de la victime, permettait de conclure à un tir à très courte distance que l’expert estimait comprise entre 5 et 25 cm’, lit-on dans le réquisitoire du procureur d’Annecy.

La communauté sénégalaise d’Annecy ne partage pas la thèse de l’accident. ‘Quelle n’a pas été notre surprise et notre désolation quand les jurés nous ont fait comprendre que c’est la thèse de l’accident qui a été retenue. Une thèse qui a été âprement défendue par l’avocat du meurtrier qui fût aidé, précisons-le, par le revirement de Patrick Mulatier, l'ex-mari de Safiétou Diédhiou qui est revenu sur sa première déclaration soutenant mordicus la thèse de l'accident’, explique Robert Ndiaye, président de l’association Sunugaal 74. Il ajoute : ‘alors que nous venons de vivre trois jours de calvaire lors desquels nous espérions, à la fin, une condamnation à la hauteur de l’acte’. Et c’est à cause, selon lui, non seulement de la thèse de l’assassinat, mais également des ‘nombreux témoignages faisant état de menace de mort, de propos haineux et raciste de la part de Thierry Mulatier envers notre sœur Safiétou Diédhiou’. ‘Tout en demeurant confiant en la justice de ce pays, nous attendions de pied ferme le jugement de ce meurtre par arme à feu commis sur une femme enceinte d’origine sénégalaise’, fait-il remarquer.

Mais les jurés ont décidé autrement en changeant les chefs d’accusation. Ce qui entraîne une peine de prison moins lourde. En plus, Thierry Mulatier a déjà fait deux ans de détention préventive. Ce qui réduit encore sa peine. ‘Cette décision est incompréhensible, révoltante et inacceptable’, s’insurge Robert Ndiaye. Pour qui, ‘c’est donc à juste titre que la communauté sénégalaise vivant à Annecy compte fermement continuer le combat derrière la famille de Safiétou Diédhiou qui compte bien faire appel de cette décision’. Surtout que l'expert en balistique a parlé de ‘l'hypothèse d'un tir intempestif, c'est-à-dire sans aucune intervention du tireur, était totalement impossible compte tenu du poids de la détente relativement élevée de l'arme en question’, rapport le document réquisitoire.

Le procureur d'Annecy en conclut, avec d'autres éléments à l'appui, : ‘Les relations extrêmement conflictuelles entre Thierry Mulatier et Sophie Mulatier, la parfaite connaissance qu'avait celui-ci de la manipulation des armes, la détermination dont il a fait preuve en s'approchant de sa victime au point de presque la toucher, l'absence de preuve d'une intervention directe de son père qui aurait pu le déstabiliser, les caractéristiques techniques de l'arme qui nécessite d'exercer une force conséquente sur la queue de détente pour faire partir le coup de feu, et enfin les difficultés psychologiques du jeune homme que son propre cousin décrit comme pouvant parfois ‘péter les plombs’, ainsi que son passage ce jour-là au domicile où selon son père il n'avait rien à faire, permettent de conclure que loin d'être accidentel, le geste de Thierry Mulatier était volontaire et même prémédité. Il devait être renvoyé devant la cour d'assises du chef d'assassinat pour lequel il est mis en examen’, conclut le procureur d'Annecy.

‘Une famille surarmée’

Quand on jette un regard sur les onze pages qui fait office de réquisitoire du procureur d’Annecy, on comprend pourquoi la communauté sénégalaise est sous le choc après avoir appris que la thèse de l’assassinat n’a pas été retenue.

Surtout qu’un pompier qui faisait partie de l’équipe de secours a soutenu devant les enquêteurs que le meurtrier avait dit à son père, Patrick Mulatier, épouse de Safiétou Diédhiou, après l’avoir assassiné : ‘Je te rends service.’ Lors de la perquisition du domicile des époux où réside également l’assassin, les gendarmes ont trouvé sur place tout un arsenal. Ils ont mis sur la main des pièces de cartouches de chasse de calibre 12, un pistolet à air comprimé. Dans une chambre de l’étage servant de bureau et de pièce informatique à Thierry Mulatier, ils ont retrouvé une douille percutée d’un calibre identique à celui de l’arme utilisée pour fusiller Safiétou. Il y avait aussi une des cartouches et une hache. Dans le grenier, un fusil à pompe avait été retrouvé. Même dans la voiture que Thierry Mulatier utilisé et qui appartenait à son grand-père, il y avait des éléments d’arme en mauvais état.

Selon le document, les investigations ont permis d’établir que la famille Mulatier ‘nourrissait une véritable passion pour les armes, attestée par le grand-père et la sœur de Thierry Mulatier qui racontait avoir quelques années plus tôt participé à une scène au cour de laquelle elle-même et son frère avait testé sur la personne de leurs cousins Thibault un gilet pare-balles de leur invention’.

Mais d’après l’assassin et son père, l’arme utilisée pour tuer Safiétou Diédhiou le 18 août 2008 avait été fournie à Thierry Mulatier par son cousin Thibault Schreiber qui a confirmé cette version. Ce dernier dit l’avoir achetée à 900 euros. Thibault Schreiber racontait que sa trouvaille avait provoqué chez son cousin une ‘immense joie’ le mettant, selon ses propres termes, ‘dans un état second’.

Tension permanente entre Thierry Mulatier et sa belle-mère

D'après le document réquisitoire, les relations entre Safiétou Diédhiou et son beau-fils n'ont jamais été au beau fixe. Tous les témoignages recueillis par les enquêteurs concordent sur ces relations exécrables. D'ailleurs même ‘la mère, les grands-parents et plusieurs amis de l'intéressé affirmaient pour leur part que malgré des débuts difficiles, cette relation s'était normalisée, et rien ne pouvait expliquer un geste criminel de la part du jeune homme’, lit-on dans le réquisitoire.

Les amis de Safiétou Diédhiou ne sont pas du même avis. Au printemps 2008, avant le coup fatal, une violente dispute avait opposé les deux personnes. Ce que Thierry Mulatier avait du reste confirmé aux enquêteurs, même s'il a minimisé cet incident. L'assassin avait mis sens dessous, sens dessus toute la maison bien rangée par Safiétou pour bien accueillir à la naissance sa fille. Il y a eu ‘le carnet intime de Sophie Mulatier comportant une annotation à propos d'une scène au cours de laquelle le couple aurait été menacé par Thierry Mulatier’, rapporte le document. Interrogé, le mari de Sophie, Patrick Mulatier confirme cela. Mais l'intéressé réfute et soutient qu'il prend l'arme pour la montrer à son cousin, Thibault Schreiber.

Pourtant, les amis, les proches et les collaborateurs de la Sénégalaise assassinée ont affirmé que Safiétou leur avait relaté cet incident. ‘De même, l'enquête de voisinage, menée parmi les voisins proches du couple, ne faisait confirmer le caractère houleux des relations familiales, et ce particulièrement depuis l'arrivée de Sophie Mulatier au domicile’, note le réquisitoire du procureur d'Annecy. Pour qui, ‘le père se plaignait souvent de son fils, oisif et désorganisé, lui-même se déclarant inquiet devant le caractère très renfermé du jeune homme’.

Pour rappel, Safiétou Diédhiou, ‘Sophie’ pour les intimes, et Patrick Mulatier se sont connus à travers un site Internet de rencontre. Ayant eu des atomes crochus, Patrick Mulatier a pris l'avion pour Dakar pour rejoindre ainsi Safiétou. Après quelques conciliabules, les deux tourtereaux s'envolent en noce après les consentements de la famille de la Sénégalaise. Visa en main, elle s'envole pour Annecy pour rejoindre son mari qui avait deux enfants d'un ancien mariage. Mais apparemment, l'un des enfants de Patrick Mulatier ne portait pas dans son cœur Safiétou Diédhiou qu'il finit par assassiner le 18 août 2008 alors qu'elle était en état de grossesse de cinq mois.