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L'odyssée infernale d'un Africain sans-papiers

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L'odyssée infernale d'un Africain sans-papiers
Omar Ba, un Sénégalais de 28 ans, a fait plusieurs tentatives pour entrer clandestinement en Europe. Dans un témoignage poignant, il raconte la soif dans le désert, les noyés, les passagers des pirogues jetés par-dessus bord...

« Je suis parti du Sénégal le 5 septembre 2000. J'avais 20 ans. Je voulais soulager ma famille. J'avais honte d'être là alors que d'autres envoyaient de l'argent à leurs parents. J'ai pris une pirogue à Saint-Louis afin de rejoindre les Canaries. Pendant le voyage, une embarcation partie en même temps que nous s'est fait rentrer dedans par un navire. Des passagers se sont noyés. J'ai vu mes premiers cadavres. Puis notre pirogue a pris l'eau. Nous avons quand même atteint Dakhla, au Maroc.

Je commençais à mesurer le danger. Mais je me suis dit que pour aller en Europe il fallait souffrir. L'Europe, c'est l'Eldorado ! En décembre, j'ai pris la route pour Lampedusa, une île italienne en Méditerranée. J'ai été arrêté au Tchad, et jeté en prison. Les militaires m'ont mis avec d'autres prisonniers dans une camionnette. Ils nous ont abandonnés en plein désert. Sans eau, sans rien. Nous avons dû suivre des caravaniers algériens.

« Aider les autres, c'est courir le risque de finir comme eux »

J'ai fini par arriver devant Melilla, cette enclave espagnole au Maroc par laquelle beaucoup de clandestins essaient de passer. Pour aller de l'autre côté il y a un grillage, des fils barbelés électrifiés, un hélicoptère qui tourne. Des soldats nous ont tirés dessus. C'était affreux. Ça a été mon premier contact avec l'Europe. Et ma première grosse claque. Je n'ai pas réussi à entrer.

J'ai décidé d'essayer par Ceuta, une autre enclave espagnole, grâce au camion d'un passeur algérien. Le camion nous a laissés au pied d'un col qu'il n'aurait pas pu franchir. L'un de nous, un Nigérien, n'en pouvait plus. Il s'est couché sur le sol. Le sable et le vent l'ont enseveli sur place. C'était atroce, on ne pouvait rien faire. Il fallait déjà utiliser son énergie pour avancer. Aider les autres, c'est courir le risque de finir comme eux...

Nous avons été arrêtés par la Gendarmerie royale marocaine, qui nous a tabassés. De là, j'ai réessayé d'aller à Lampedusa. En Libye, je suis monté dans une pirogue. Parmi les passagers se trouvait une jeune Somalienne malade, avec son bébé. Elle est morte pendant la traversée. Nous avons jeté son corps à la mer. Plus tard, nous avons été pris dans une tempête. La barque a chaviré, beaucoup de passagers se sont noyés. J'ai été repêché par des policiers italiens. Je me demande souvent si le bébé a survécu...

Les policiers nous ont amenés à Lampedusa, et j'ai été expulsé. Retour à Dakhla, au Maroc, en septembre 2001. J'avais passé un an à tournoyer ! J'ai de nouveau décidé d'aller aux Canaries, en prenant une pirogue gambienne. Nous étions une cinquantaine pour trente places. Le troisième jour le riz a commencé à manquer, et la pirogue à s'enfoncer. Un des passagers, un Gambien, s'est mis à jeter des passagers à l'eau pour alléger la barque. Je n'ai pas réagi. Sur le moment, une seule chose comptait, enlever du poids. Il y a eu des cris, des gémissements. C'était l'horreur... Mais dans ces circonstances, on devient lâche, égoïste et sans scrupule.

La barque s'est stabilisée. Mais le GPS avait pris l'eau. Impossible de savoir où nous allions. Certains passagers sont morts de déshydratation. D'autres se sont jetés à l'eau. Moi aussi, ça m'a traversé l'esprit. Dans ces conditions, il faut plus de courage pour vivre que pour mourir.

« Je me suis senti coupable d'avoir survécu »

Je suis resté là, épuisé, dans cette barque remplie de cadavres. Il y avait une odeur terrible. Au bout d'une semaine je pense, j'ai été recueilli par un cargo. Il m'a débarqué à Fuerteventura, aux Canaries, au milieu des gens qui bronzaient sur la plage... Longtemps, je me suis senti coupable d'avoir survécu. Pourquoi moi ? Peut-être parce que j'avais l'habitude de la faim vu qu'au Sénégal, je ne mangeais pas tous les jours. Et j'étais plus lucide que d'autres car je n'avais pas pris d'amphétamines. Beaucoup en achètent au marché de Dakhla pour supporter la torture du voyage.

Aux Canaries, les autorités m'ont mis dans un avion pour Barcelone. Et j'ai rejoint Paris dans un camion de fruits de mer. J'ai failli mourir gelé dans la chambre froide. À Paris, je me suis fait expulser. Retour au Sénégal... Finalement, j'ai eu une bourse pour aller étudier en France.

Tout ça m'a hanté pendant des mois. Je m'étais juré de ne jamais en parler. Je le fais. Pas pour dissuader les Africains de venir en Europe. J'y suis bien, moi ! Mais ils ne doivent pas venir dans ces conditions. Je parle parce que si le mythe persiste, des milliers d'Africains continueront à mourir en mer. »

 

Omar Ba raconte son histoire dans Soif d'Europe, éditions du Cygne, 134 pages



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