La circoncision aujourd’hui : Une valeur en déclin

L’Africain est tenu de passer par une importante épreuve qui marque son entrée dans le monde des adultes. La circoncision, puisque c’est le terme qui la désigne, obéit en Afrique traditionnelle à des critères précis et des règles strictes. Ce qui faisait que l’initié qui en ressortait acquérait des valeurs qui en faisaient l’égal de ses aînés et l’un des gardiens de la société. Mais de nos jours, la circoncision fait l’objet de nombreuses controverses dues à des mutations et aux diversités ethniques. Et la vie citadine l’a juste réduite à une pratique chirurgicale qui n’a rien à voir avec la cérémonie d’initiation qui faisait sa force. Cela fait que certains en ville tentent de la préserver contre vents et marées. Mais pour cela, il faudrait d’abord la connaître.

L’univers du «leul», qui est l’espace d’initiation ou de formation à la fonction de l’homme, se perd grandement en milieu urbain. Or, il revêt une importance particulière dans la formation à la fonction de l’homme africain et sénégalais. C’est grâce au «leul» que l’homme s’offre une conduite et un itinéraire qui le guideront toute sa vie. Mais cela ne peut avoir de sens que dans un contexte d’initiation obtenu dans ce que l’on appelle la case de l’homme. 

La période des grandes vacances est le moment où cela se pratique le plus souvent, car les parents en profitent pour faire subir à leurs enfants l’incontournable phase de la circoncision qui les fait sortir de la période indolente de la vie enfantine. En effet, la circoncision est un moment important dans la vie du jeune homme. Elle est aussi une pratique animiste qui a transcendé les religions révélées. Aujourd’hui, elle prend plusieurs formes. Elle peut être associée à des rites également, elle peut renforcer l’émancipation sociale. Les jeunes garçons y acquéraient des valeurs de bravoure et de loyauté envers la communauté. Ils y recevaient des enseignements de principes, qualités d’homme qui leur permettaient d’affronter dignement et courageusement les épreuves de la vie. Le «Botal-mbaar», le maître de la circoncision, endosse toute la responsabilité des initiés en cette période. Il donne des conseils et demande en retour respect et considération. C’est lui qui oriente, corrige et inculque des valeurs à ses disciples. Son rôle est de veiller sur les circoncis, tant sur leur bien-être que sur leurs désirs. Il est à leur totale disposition, car c’est lui qui occupe la fonction du parent durant cette la période de la formation. 

En tant que responsable, il est pétri de valeurs éthiques et morales liées à la culture et à la réalité sociale de son milieu. Sa connaissance dans le domaine du «leul» fait qu’il est en mesure d’enseigner ses vertus et exigences. Sa présence inspire confiance. Peur, parce qu’il sanctionne sévèrement en cas d’erreur, afin d’éduquer les autres en même temps. Confiance en lui, renforcée par la richesse des histoires qu’il raconte et sa pertinence. Mais aussi et surtout des secrets qu’il donne à ses élèves. Le sens de la responsabilité, du partage, du respect, et surtout de la dignité et du courage sont véritablement les principes de base de la formation. 

En effet, la cérémonie d’initiation des circoncis fait partie du patrimoine immatériel de la culture sénégalaise. Mais depuis quelques années, cette pratique traditionnelle n’est plus respectée dans les zones urbaines. Ce qui fait que certaines croyances et valeurs ont tendance à être oubliées. Et cela impacte négativement la société et aboutit en quelque sorte à une dégradation de nos us et coutumes. Aujourd’hui, les jeunes ignorent des valeurs comme le «diom» (le courage), le «ngor» (la dignité) ou le «kersa» (la retenue). Parce qu’ils n’ont pas subi cette épreuve dans toute sa rigueur ou bien n’ont pas pendant cette période pu avoir un bon guide afin qu’ils puissent bénéficier d’une bonne conduite. Evidemment, cela est vrai si toutefois l’on fait une rétrospective pour analyser la circoncision dans toute sa consistance, car dès les premiers jours de l’accession de l’enfant à la case de l’homme, l’on porte à sa connaissance qu’il vient de franchir le seuil d’une nouvelle vie qui sera forcément différente de celle d’auparavant. Bienvenu dans la case de l’homme dans toute sa rigueur et sa consistance ! Dès lors, un groupe de pédagogues et de juges lui sera affecté pour qu’ils puissent veiller sur sa formation pour qu’au sortir de cette épreuve, l’enfant puisse être un homme aguerri. C’est-à-dire capable de supporter toutes les épreuves de la vie avec dignité et courage. Rares sont en effet ceux qui sortent de cette situation sans changement. Dans la campagne et dans les zones traditionnelles, ce que l’on constate diffère totalement de ce qui se fait en milieu urbain. Les circoncis dans la campagne font un groupe et sont logés dans la brousse avec un staff composé de fins connaisseurs de la pratique culturelle et qui sont la plupart du temps des oncles. Et là, ils sont appelés à goûter aux rudiments de la vie en vivant avec les moyens du bord. Les circoncis sont tenus pendant cette phase à l’abri des femmes. 

Leçons au monde 

De nos jours, la circoncision en milieu urbain ne se pratique plus comme auparavant. Cela, à cause des mutations qui ont tendance à détruire certaines valeurs liées à cette pratique. L’on remarque que les parents n’éduquent plus selon l’exigence de la tradition afin de s’adapter aux us de leur environnement. Ce qui est à l’origine des problèmes qui aboutissent parfois à des situations regrettables. A une certaine époque, l’on ne circoncisait quelqu’un que quand il avait atteint l’âge de se marier. Et à partir de ce moment, ayant atteint la maturité, il était jugé apte à subir les épreuves d’initiation sans aucune difficulté. Et à cet âge, le jeune homme savait distinguer beaucoup de choses. Il était adulte et responsable. 

A contrario, ce à quoi l’on assiste aujourd’hui ressemble plus au «mbaar» et non au «leul». Parce que ceux qui sont concernés par la circoncision, ce sont des enfants dont la tranche d’âge est comprise entre 2 et 7 ans. Des enfants dont l’esprit n’est pas assez ouvert et digne de recevoir et d’assimiler certaines leçons. 

L’enfant aura du mal à comprendre certaines notions techniques faisant appel à une curiosité. Et au sortir de cette épreuve, il ne maîtrisera pas grand-chose des valeurs cardinales que l’on se sera évertué à lui inculquer. La seule chose qui semble attirer son attention, c’est les belles chansons qu’il se contentera de réciter sans même la moindre prétention par rapport à leur origine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains individus ont tendance à se reconnaître dans le «mbaar» qui est un espace où se regroupent plusieurs circoncis sans une moindre activité de formation, où l’on ignore les valeurs fondatrices de la circoncision. 

Les initiés ne comprennent pas véritablement le sens de l’honneur, de la dignité, du courage, du partage, de la loyauté en gros, le pacte de sincérité qui les lient aux autres. Cependant, le «leul» signifie un dortoir, autrement dit un lieu d’initiation où sont regroupés des stratèges avec comme mission d’orienter, d’éduquer et de divertir les initiés. C’est à cet endroit qu’on forme au mieux l’enfant pour qu’au sortir de cette épreuve il puisse se comporter en digne représentant de sa lignée et de son clan. C’est-à-dire qu’il puisse user de l’ensemble des principes qu’on lui a inculqués durant son séjour au «leul». Pendant cette période de formation, le jeune initié est tenu à l’écart des femmes. Une façon de lui faire comprendre le rôle et la place de la femme dans la société pour qu’il apprenne à lui donner tout ce qu’elle mérite en matière d’amour et de respect. Egalement, l’on porte à la connaissance du «ndiouli» qu’il ne doit coucher avec celle-ci qu’après l’avoir épousée. Cette interdiction est d’autant plus importante qu’elle se trouve dans presque la plupart des religions comme l’islam. 

Le pacte de sang dans la circoncision

La circoncision est un processus long et symbolique. Mamadou Faye Mbaye, s’applique depuis 2004 à perpétuer cette pratique en milieu urbain pour tenter de rétablir les valeurs traditionnelles. Il assure que le pacte de sang est une valeur cardinale dans la pratique de la circoncision. C’est pourquoi, il estime que la circoncision suppose un travail de préparation. D’où ce qu’on appelle «ngomar». Etant donné que cela se passe une seule fois dans la vie de l’homme, il est indispensable de préparer l’enfant psychologiquement à cette phase cruciale. C’est pourquoi les anciens attendaient jusqu’à l’âge de 20 ans voir plus, pour faire subir à l’homme cette épreuve. 

Dès lors, il existait trois sortes de «leul». A commencer par, le «leul» simple, ensuite le «leul-mbaar». A cette étape, la tante paternelle, est tenue d’attacher un bracelet au poignet de son neveu, pour lui faire comprendre qu’il est temps pour lui d’entrer dans la case de l’homme et qu’il est obligé de supporter l’épreuve quelle que puisse être la douleur. Ainsi, on inculque à l’adolescent tous les phénomènes de socialisation que comporte l’initiation. Il doit aussi savoir qu’il est et restera un être qui vit avec ses semblables et qui doit rester ainsi. Enfin, le «mbaar», qui est sous l’autorité du «koumax», qui en est l’administrateur principal. Autant de préalables pour permettre à l’enfant de comprendre l’importance de la circoncision. Le pacte de sang, signifiant que les initiés sont égaux les uns envers les autres, qu’il n’y a pas de propriété individuelle et que la solidarité constitue en quelque sorte tout le symbolisme dans la pratique de la circoncision. Ce qui donne à croire que tous les initiés doivent rester unis et indivisibles.

Les composantes du «leul» et leur rôle

Comme le veut toute entreprise, pour son bon fonctionnement, l’univers du «leul», dispose lui aussi de personnes capables d’assurer sa bonne marche. Ces dernières, obéissent à une hiérarchisation dont le sens est à chercher dans la mission de chacun des membres qui composent l’espace du «leul». Et parmi ceux-ci, on note : le «koumakh» c’est-à-dire l’administrateur du «leul». Son rôle est d’organiser la pratique de la circoncision en prenant en compte divers pa­ramètres ainsi que les personnes compétentes en matière d’enseignement. Apres lui, vient le «ngamane», c’est-à-dire le docteur qui se charge d’initier les adolescents et de les soigner jusqu’à ce qu’ils sortent de cette case, où ils auront passé entre 30 et 40 jours. Ensuite, le «Botal-mbaar», autrement dit le principal conseiller et maître des initiés. Cette personne est considérée comme étant la plus importante parce que sa maîtrise des valeurs traditionnelles de la société fait qu’il est le garant de l’univers du «leul» et des initiés. 

Il a la capacité de voir le danger à venir pour pouvoir l’éviter. Son âge lui a permis d’accumuler de la sagesse et de pouvoir conjurer le mauvais sort chez les «Ndioulis». En même temps, c’est lui le chargé de la formation dans la case de l’homme. Et il travaille en parfaite collaboration avec ses supérieurs hiérarchiques. En plus, on remarque le «Salbé-ridial» qui coordonne les diffé­rents «salbés». C’est lui le coordonnateur des diverses ac­ti­vités. Enfin, viennent les «rong-à-rong», qui sont les encadreurs, c’est-à-dire, ceux qui passent le plus de temps avec les initiés. Ces différents individus composent l’espace d’initiation et coordonnent les activités à mener au cours de la formation.