Le gouvernement sénégalais vient de lancer une campagne agressive de lutte contre la mendicité. Les principales cibles sont les écoles coraniques, qui vivent pour la plupart des aumônes collectées dans la rue par leurs élèves.
La mendicité est interdite par une loi, jamais appliquée, qui remonte à l’époque de Léopold Sédar Senghor. Le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, a toutefois fait une déclaration, le 24 août, pour "mettre en demeure" les mendiants. Un discours suivi d’effets puisque plus d’une centaine de mendiants ont depuis été interpellés à Dakar. Sept maîtres coraniques ont par ailleurs été arrêtés pour "incitation à la mendicité" ; ils sont passés devant un tribunal le 1er septembre et attendent leur verdict.
L'organisation Human Rights Watch estime qu’au Sénégal plusieurs dizaines de milliers d’enfants, âgés de 2 à 17 ans, sont contraints à la mendicité pour assurer le fonctionnement d’écoles coraniques. Les marabouts qui dirigent ces écoles se justifient en expliquant que l’aumône (zakat) est l’un des piliers de l’islam.
"Interdire la mendicité sans s’attaquer aux racines du problème ne peut pas fonctionner"
Guejopaal Gnane est professeur de philosophie dans la capitale sénégalaise. Il a rencontré un marabout dans une dara - école coranique – du quartier Assainies de Dakar.La dara dans laquelle je me suis rendu est extrêmement pauvre. Il y a une cinquantaine d’élèves qui y vivent. Ils sont répartis dans six chambres, de 9 m² environ, où ils dorment à même le sol. C’est très sale. Dans ma vidéo, on voit même des flaques de boue vertes dans la cour. J’ai vraiment été touché par ce que j’ai vu.
Je ne sais pas d’où viennent les talibés [élèves de l’école coranique] de cette dara, mais j’ai l’impression que ce sont des enfants un peu abandonnées, que des parents très pauvres ont confié au marabout.
Le marabout m’a dit qu’il était bien sûr contre l’interdiction de la mendicité décidée par le gouvernement. Selon lui, on ne peut pas leur retirer leur moyen de subsistance sans leur en donner un autre. Il m’a affirmé qu’ils n’avaient pas le choix et qu’ils allaient continuer. J’imagine que, pendant un certain temps, les petits mendiants vont s’éloigner du centre-ville de Dakar, mais je suis sûr qu’ils reviendront.
Il faut que les autorités comprennent qu’effectivement, à Dakar, la
plupart des "talibés" n’ont pas d’autre choix que de mendier. C’est vrai
que les marabouts ne devraient pas ouvrir des écoles s’ils n’ont pas
d’argent pour faire vivre leurs élèves. Mais en même temps, c’est la
réalité. Alors interdire la mendicité sans s’attaquer aux racines du
problème ne peut pas fonctionner.
Il semble que le gouvernement se soit lancé dans cette campagne contre les mendiants sous la pression des bailleurs de fond, notamment des Etats-Unis, qui donnent de l’argent pour lutter contre la pauvreté, mais qui constatent que les choses n’évoluent pas. Et je reconnais que je ne vois pas bien ce que fait notre gouvernement contre la pauvreté. Cela dit, je pense que les discours des bailleurs de fonds sont loin de nos réalités. Ils se focalisent sur le travail des enfants, alors qu’ici ce n’est pas scandaleux. Dans mon village, les élèves des daras ne mendient pas, mais ils travaillent dans les champs. C’est malheureusement nécessaire.
Au Sénégal, on pratique un islam modéré, même dans les petites daras.
Mais avec ce genre de mesure, est-ce qu’on ne va pas pousser certains à
adopter un discours plus radical ?"
Les petits mendiants reviennent déjà...
Guejopaal Gnane a fait un tour cet après-midi (3 septembre) dans son
quartier d'Assainies à Dakar. Malgré les efforts de la police, il semble
que les petits mendiants des écoles coraniques ressortent peu à peu.
0 Commentaires
Participer à la Discussion