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LE JOURNALISTE ET SA CONSCIENCE : Doit- il tout dire ?

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LE JOURNALISTE ET SA CONSCIENCE : Doit- il tout dire ?
Il existe dans notre métier des chartes qui rappellent le journaliste à ses devoirs. Elles insistent sur le respect nécessaire de la vérité. Un journaliste, stipulent-elles, ne doit pas user de moyens déloyaux : mensonge, déformation de faits ou de documents, accusations sans preuves. Mais le journaliste doit-il pour autant tout dire ? 

La journée internationale de la presse est l’occasion pour nous de questionner le rapport que le journaliste entretient alors avec la vérité. L’une des règles qu’il doit observer, comme le commande la déontologie qui reprend ici le serment d’Hippocrate, est de ne « dire que la vérité, rien que la vérité et toute la vérité ». Et cela doit se traduire par le refus de travestir les faits au nom de quel que intérêt que ce soit. Il est à la fois l’œil et l’oreille du public qui réclame son droit à l’information, à la bonne information. Plus qu’un témoin alors, on ne lui pardonnera pas d’exhiber une vérité appréhendée en un certain lieu, à une certaine heure, mais toute la vérité. C’est là que réside toute la difficulté, comme l’avait laissé entrevoir Léon Blum, rentrant de la déportation et s’adressant à ses confrères en ces termes : « La règle d’or de ce métier n’était pas de ne dire que la vérité, ce qui est simple, mais de dire toute la vérité, ce qui est bien plus difficile ».

Au-delà de l’apparente « légèreté » du travail de journaliste qui se contenterait de tendre son micro ou de vider l’encre de sa plume pour remplir les colonnes de son journal, sans même la moindre rature, il y a le tragique dédoublement du sujet. Un sujet en perpétuel mouvement, traçant la frontière entre le communicable et l’indicible, s’érigeant en justicier, se faisant hara-kiri pour des causes jugées « justes » etc.

On aurait alors tort de penser, un seul instant, que le métier de journaliste puisse se ramener à un simple commerce courtois, « objectif » entre un réel inoffensif, tenu à équidistance d’intérêts inavoués et son observateur impartial.

Le temps des « prédateurs »

Le journaliste n’est pas un sujet désincarné. Il est un élément de la société dont il reproduit souvent les valeurs ou les tares. Ainsi, à côté des journalistes qui font correctement leur travail, dans les limites du « l’humainement possible », il y a une autre race de « prédateurs », ceux qui sont venus se remplir les poches sans se soucier des règles d’éthique et de déontologie qui régissent la profession.

Chaque jour que Dieu fait, la dignité d’honnêtes citoyens est bafouée au nom d’intérêts occultes. Des journalistes qui ont tourné le dos à la vérité, trempent leur plume dans l’encre de la compromission. Au lieu d’être reproducteurs « passifs » des faits, ils se transforment en « artistes » créant ou en réinventant les faits. Ce sont des maîtres chanteurs, ils sèment la terreur dans le camp des détenteurs du pouvoir (économique, politique ou religieux), avec la menace de divulguer des « informations compromettantes ». Ils publient des articles incendiaires qui ne s’embarrassent pas des règles minimales de l’équilibre de l’information. Après avoir « descendu » la victime le jour, le soir, quand la nuit se pare de son costume sombre, ils rasent les murs à la recherche du « butin du silence ». Plus cyniques, plus machiavéliques, ces journalistes qui se cachent sous la signature d’autres usurpateurs du métier pour commettre leur forfait. Ce masque leur permet de jouer les sapeurs-pompiers, moyennant virement bancaire.

Le journalisme passif

Aussi, en cas de conflit entre deux personnes ou des groupes d’individus, le journaliste alimentaire offre ses services au mieux disant. Il reçoit sur sa table des informations estampillées par la « source intéressée » de « bétons » et aucun effort de sa part pour en vérifier l’authenticité ou de la mettre en perspective. Sans doute pressé d’annoncer une nouvelle « exclusive » et inattendue, le fameux « scoop », pressé de « rentrer dans ses fonds ». Souvent à la recherche du sensationnel, autrement dit, de l’information qui vend le plus. Ce confrère sert d’instrument à des politiciens véreux ou à des lobbies qui utilisent, sans état d’âme, le mensonge comme arme, en manipulant ou intoxiquant pour arriver à leur fin. Ces « marchands de soupe » sont prêts à tout pour vendre leur marchandise. Cette recherche de l’événement sensationnel installe, en outre, entre confrères, une rivalité préjudiciable au code d’honneur de la profession que rappellent les chartes : le journaliste doit observer à l’égard de ses pairs courtoisie et fair-play.

Ce confrère qui s’installe dans la facilité pratique ce qu’on pourrait appeler le journalisme passif ou journalisme assis, celui qui conduit forcément à un journalisme « intéressé ». Ce genre de journalisme n’aime pas les profondeurs, la surface est son domicile.

Si la presse traîne aujourd’hui une image de corrompue, gangrenée, mafieuse, peuplée de ratés, à la limite peu glorieuse, la faute aux « prédateurs » et aux usurpateurs du métier.

Le jeu de miroir se moque de la critique facile

L’écho de la critique facile parvient à nos oreilles, celle consistant à voir dans ce jeu de miroir une auto flagellation ou auto culpabilisation, à indexer les autres corporations, en s’inscrivant paresseusement dans une logique de comparaison pour montrer que la notre n’est pas la plus pourrie. La responsabilité qui pèse sur nos frêles épaules nous interdit de voir les choses sous cet angle.

Le regard culpabilisant de l’opinion à l’égard d’une certaine presse ne mène pas forcément à une auto culpabilisation. Quoi de plus normal, après avoir parcouru une distance, de s’arrêter et de procéder à une introspection. Sans doute l’évocation de ces tares, a entamé le crédit des médias, a ébranlé la confiance de l’opinion à leur égard. Mais elle a surtout permis – nous pensons que c’est le plus important - au journaliste de donner un sens toujours plus élevé de ses responsabilités. L’ultime fin de cet exercice, celui qui consiste à se mettre devant le miroir, en posant son moi devant soi, en se dédoublant, est de montrer que le rôle du journaliste trouve son sens dans son adhésion et sa soumission à un idéal de vérité. Le journaliste doit relater les faits avec exactitude et s’il lui arrive de les interpréter, qu’il le fasse de façon argumentée et qu’il les commente, au besoin, à la lumière de convictions clairement affichées. Il doit surtout éviter d’occulter ou d’édulcorer, de déformer ou de grossir certains faits, par négligence ou par parti pris gardé secret.

Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Certes, le journaliste doit faire de la recherche de la vérité son compagnon. Mais la vraie interrogation est : peut-il ou doit-il dire toute la vérité ? Au journaliste, on demandera de mettre en pratique l’hymne du Wassoulou : « Dire la vérité en tout lieu, en tout temps ».

Dans les faits, la vérité passe par le regard ou l’oreille du journaliste. Ce qu’il a entendu, il le recompose, le réinterprète. Forcément, quelque chose se perd en route. Le réel porte l’empreinte du style, et fait l’objet d’une mise en scène. Il s’agit, alors, pour le journaliste de filtrer les informations puisque certaines d’entre elles ne sont pas communicables. C’est la dure réalité à laquelle il est parfois confronté, avec surtout le souci de respecter la vie privée d’autrui. L’information ne doit pas porter atteinte à la dignité des personnes. Car la question que doit se poser le journaliste dans l’intimité de sa conscience est celle de savoir si le droit à l’information est supérieur à l’intime tragédie humaine ? C’est en cela que consiste la déontologie du métier. Dans cet ordre d’idée, l’art de masquer devient de plus en plus une nécessité éthique. C’est l’auto-censure, même si dans la profession ce mot est tabou. Nous pouvons alors soutenir avec Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal « le Monde » que : « tout peut être dit mais pas n’importe quand ni n’importe comment ». Car il est des vérités assurément inutiles, et finalement pernicieuses. Est-il nécessaire, pour les médias, de flatter abusivement les curiosités les plus médiocres ? Il existe également des vérités déplaisantes, blessantes ou traumatisantes. Tout ceci doit passer devant le tribunal de la conscience du journaliste. Le filtre de la conscience

Mais si la déontologie fait de la vérité un impératif essentiel, cela ne doit pas nous faire oublier que le rapport du journaliste avec la vérité n’est pas chose simple. Le temps est d’abord son premier ennemi, il doit faire vite pour rendre compte. Autre danger pour le journaliste, alors que le réel n’a pas fini son déploiement, sa rédaction lui demande de faire un commentaire sur un fait qui n’a pas encore dit son dernier mot. Rendre compte d’une réalité multiforme, c’est cette exigence que l’opinion nous impose.

La conscience est le seul filtre capable de trier ce que le journaliste a vu et compris de ce qu’il dispense à ses lecteurs. Il doit s’interroger en permanence, se méfier de lui-même, d’où la nécessité de prendre du recul, d’échapper aux différentes influences. Il doit être en marge de la foule pour mieux l’observer. Cette mise à l’écart est nécessaire pour avoir un regard serein.

Nous mesurons la lourde responsabilité du journaliste et le rôle central qu’il occupe au sein de la société. Sans la liberté des médias, les autres libertés sont illusoires. C’est pourquoi l’opinion doit prendre toute la mesure des difficultés de la mission des journalistes, pour ne pas les exposer à la critique facile. Souvent des personnes mal intentionnées projettent leurs propres fautes, tares, angoisses sur eux. La presse a bon dos et cela fait souvent l’affaire des imposteurs et des calculateurs sans moral. Aidons –la à courir le beau risque de la vérité, il y va de la santé de la démocratie.



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