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Le sociologue Djiby Diakhaté sur la crise multiforme au Sénégal : « Le peuple sénégalais est un peuple totalement anesthésié » (Interview)

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Le sociologue Djiby Diakhaté sur la crise multiforme au Sénégal : « Le peuple sénégalais est un peuple totalement anesthésié » (Interview)
Le professeur, Djiby Diakhaté ne voit pas l’avenir du Sénégal…en rose. Pour cet enseignant au département de Sociologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Sénégal n’est pas engagé sur une bonne voie. le sociologue qu’il est, analyse dans cette interview à nettali.com, la crise présente et s’essaie dans la prospective. Entretien

Nettali : La situation politique, économique et sociale du Sénégal semble baigner dans une certaine anarchie. En tant que sociologue, quelle lecture en faites-vous ?

Je crois bien que le terme « anarchie » que vous avez utilisé sied bien au contexte présent. Nous sommes en effet dans une situation essentiellement marquée par l’anarchie. Et l’anarchie, c’est précisément cette absence de repères, cette incapacité à trouver un référentiel autour duquel s’articulerait la conduite des affaires d’une communauté et s’articuleraient en même temps les conduites des différents acteurs qui se mobilisent à l’intérieur de cette communauté. Vous vous rendez compte qu’au Sénégal, tous les grands secteurs de la vie nationale sont pratiquement dans une situation non pas seulement de crise, mais aussi d’incertitude. D’abord, vous avez le secteur économique avec ses différentes composantes qui est dans une situation d’incertitude totale. Le secteur primaire, l’élevage, la pêche, l’agriculture et l’extraction minière rencontrent des difficultés tellement aigues que ses différents acteurs sont obligés de quitter leur terroir par le phénomène de l’exode et s’installer en ville, en créant des bidonvilles de plus en plus importants. Ou alors, ses acteurs sont tentés par l’émigration clandestine. Parce qu’ils ne voient plus aucune lueur d’espoir pointé à l’horizon. Si vous prenez le secteur secondaire c’est-à-dire le secteur de l’industrie et au Sénégal nous avons essentiellement des industries de transformation qui dépendent du secteur primaire alors que celui-ci est en crise. Les huileries qui dépendent de l’arachide ne peuvent pas fonctionner en plein régime si l’arachide a des problèmes. Or, on sait évidemment qu’aujourd’hui le bassin arachidier rencontre de sérieuses difficultés. Les producteurs sont de plus en plus découragés par toute cette organisation politique qui accompagne les emblavures réservées à l’arachide. En conséquence, les industries rencontrent des difficultés parce que le secteur primaire dont elles sont dépendantes est aujourd’hui en difficulté. L’autre problème est qu’en fait, l’organisation interne de ces industries pose problème en terme de gestion et de management des ressources humaines. Ce qui fait que les industries de pointe qui existent au Sénégal sont pratiquement toutes aux aboies. Prenez les Ics, la Sénélecn ou la Sar, on se rend compte que le poumon de l’industrie Sénégalaise est aujourd’hui étouffé par une gestion et une politique inadaptées et qui installe le secteur secondaire dans l’incertitude. Si vous prenez le secteur tertiaire c’est-à-dire celui des affaires et du commerce, là c’est l’informel le plus total. C’est un secteur non structuré où les acteurs ne sont soumis à pratiquement aucune réglementation et où l’informel prend le devant. Alors, dans ce genre de situation, il devient extrêmement difficile et même impossible de voir comment fonctionne ce secteur parce que vous n’avez aucune indication en terme statistique pour pouvoir dire le nombre d’acteurs que mobilise ce secteur mais aussi les flux d’argent mobilisés. Et, cela constitue un véritable manque à gagner pour les autorités en terme de recettes fiscales. Donc, on se rend compte que les différents secteurs de l’économie, primaire secondaire et tertiaire sont dans une situation d’incertitude. Et cette situation d’incertitude, d’anarchie que l’on va retrouver aussi au niveau des valeurs.

Vous voulez dire que l’affaissement moral dénoncé par certains et qui se manifeste par la transhumance politique, l’achat de conscience, les détournements etc, se serait que la conséquence de la crise économique ?

Ce sont deux choses qui sont profondément liées. En réalité des travaux qui ont été fait récemment ont permis de montrer qu’il y a des connections profondes entre le domaine des valeurs et le domaine économique. Si aujourd’hui, les pays asiatiques sont considérés comme des pays émergents, c’est parce qu’ils ont pu fonder leurs activités économiques sur l’authenticité de leurs valeurs culturelles qui sont essentiellement des valeurs de solidarité, des valeurs de travail, de transparence et d’honnêteté. Comment est-ce qu’on peut asseoir un véritable développement économique si les acteurs de ce développement n’ont pas une conduite qui soit en phase avec les exigences du développement ? Le développement, c’est d’abord l’homme, il faut que cet homme soit imbu de valeurs d’honnêteté, de valeurs de justice, de valeurs d’opiniâtreté au travail, un ensemble de valeurs qui doivent constituer les véritables soubassements d’un développement intégral. Ça veut dire qu’aujourd’hui, si on a un problème sur le plan des valeurs, sur le plan de la culture, cela va se répercuter nécessairement sur le niveau de développement économique. Il me semble que nous avons une tradition que nous aurions pu vivifier, que nous aurions ressuscité en travaillant dans le sens de l’expansion de ses valeurs chez les jeunes plus particulièrement à travers les circuits officiels d’éducation, tels que l’école. Mais là aussi, ça permet de voir que le système éducatif est aussi dans une situation d’incertitude. Parce que nous avons encore un système éducatif qui est arrimé au modèle colonial. En réalité, au lendemain des indépendances, on n’a pas opéré une rupture en développant un système éducatif qui travaille dans le sens de mettre en place un type de Sénégalais respectueux de certaines valeurs authentiques. Aujourd’hui, l’école est plus ou moins extravertie parce qu’elle est en train de distiller des valeurs qui ne sont pas authentiquement Sénégalaises, authentiquement négro-africaine mais des valeurs qui sont essentiellement occidentales. Il est vrai que les tenants de la négritude avaient travaillé déjà dans le sens de la réhabilitation des valeurs africaines positives mais c’était essentiellement difficile dans un contexte où la langue française était utilisée comme un support de communication. Comment est-ce qu’on peut réhabiliter la culture négro-africaine positive en se fondant sur la langue des occidentaux ? Et, Sartre affirmait qu’entre les colonisés, le colon s’est arrangé pour être l’éternel médiateur. Et comme les mots sont des idées, quand le nègre déclare en français qu’il rejette la culture française, il prend d’une main ce qu’il rejette de l’autre. Il installe en lui comme une broyeuse l’appareil à penser de l’ennemi. Ce qui veut dire qu’il y a un travail à faire en terme de réhabilitation des langues nationales.

Mais entre la crise économique et le dépérissement des valeurs, comment faire pour changer les choses. Par où prendre le taureau par les cornes pour sortir de la crise ?

On peut véritablement dire qu’on est dans une situation d’impasse, mais je crois qu’en même temps lorsqu’un diagnostic est objectivement établi, il offre lui-même les perspectives d’une thérapeutique. C’est-à-dire qu’on ne peut pas établir une solution efficace qui ne soit pas fondé sur un diagnostic efficace. Donc, le diagnostic nous a permis de montrer qu’il y a incertitude. En conséquence, il va falloir partir de ce diagnostic là pour voir les premiers éléments de solution. Premièrement dans le domaine de l’économie, on se rend compte que le secteur qui mobilise une bonne partie de la population sénégalaise, c’est le secteur primaire. A ce niveau, il y a un travail à faire et il me semble les politiques qui sont orientées vers ce secteur, sont des politiques qui sont encore tatillonnes, des politiques qui manquent de visibilité, de vision et d’ambition. Donc, il y a un travail à faire et qui consiste à voir de façon systématique qu’est-ce qu’on devrait faire pour renforcer le secteur de l’élevage, de la pêche et de l’agriculture. Pour ce qui est de l’agriculture, on se rend compte que la pluviométrie dans les pays de l’Afrique sub-saharienne est de plus en plus déficitaire. Donc, il y a nécessité de développer l’agriculture irriguée, les cultures de contre saison. Et les barrages de Diama et de Manantali en partie devraient participer de cela. Mais, on se rend compte qu’aucune emblavure n’est développée de manière à pousser les jeunes à aller vers le delta du fleuve Sénégal pour apporter un coup de pouce à l’agriculture irriguée. On pourrait aujourd’hui parfaitement utiliser le système confrérique et l’orienter vers l’activité de production. En vérité aujourd’hui, il me semble que ce qu’on devrait faire en terme d’appui aux confréries, ce n’est pas donner de l’argent pour construire des mosquées ou autre chose, mais c’est de demander aux différentes confréries de formuler des projets et de financer ces projets. Ainsi, les confréries devraient avoir une direction composée de penseurs, de scientifiques dans tous les domaines qui formulent des projets bancables en terme de développement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Et l’Etat pourrait financer ces projets d’intérêts publics qui participeraient au développement de l’économie nationale dans tous ses compartiments. Il est inadmissible que le ranch de Doli qui constitue un réceptacle pour tous les éleveurs et les pasteurs du Ferlo fasse l’objet d’une récupération de la part de l’Etat et d’une réaffectation à fins d’activités agricoles. Ce serait une manière de fragiliser le domaine de l’élevage. L’autre aspect est que si vous voyez le domaine des valeurs, encore une fois, on ne peut pas développer les valeurs si on ne passe pas par l’éducation aussi bien formelle que non formelle. Il faut aussi qu’au niveau de l’éducation que l’on définisse les finalités et les valeurs que l’on cherche à développer chez les jeunes. Or jusque là, quand on parle d’éducation, les gens mettent plus l’accent sur les connaissances que sur les conduites. Traditionnellement, la conduite était notée à l’école et constituait un élément essentiel, mais aujourd’hui c’est le laisser-aller. La déclaration universelle des droits de l’enfant n’est pas venue faciliter les choses parce que justement elle stipule un certain nombre de principes qui ne sont pas en forcément adéquation avec nos valeurs en terme d’éducation, en terme de prise en charge de l’enfant. De la même manière à ce niveau la famille devrait être renforcée. La famille, c’est la cellule sociale de base et c’est au niveau de la famille que l’enfant reçoit les premiers rudiments, les premières valeurs. Or, il se trouve aujourd’hui que les familles sont tellement confrontées à la crise qu’elles n’ont plus la possibilité de donner les premières valeurs à leurs enfants. Aujourd’hui en fait, le père est à la recherche de la dépense, la mère est à la recherche de la dépense et les enfants sont livrés à eux-mêmes. Ce qui fait que le phénomène des enfants de la rue ou des enfants qui ont une conduite plus ou moins défectueuse atteint des proportions de plus en plus élevées. Parce que la famille ne peut plus jouer le rôle qui lui était dévolu.

Vous utilisez beaucoup l’expression « il faut ». N’avez-vous pas le sentiment que ce sont là des voeux pieux ? Pensez-vous aujourd’hui, que Sénégal est capable de changer positivement en tournant le dos à certaines pratiques et s’inscrire définitivement dans une dynamique qui le conduirait au développement ?

En fait, ce qui se passe c’est que nous avons un Etat, et de tous les temps d’ailleurs, qui met plus l’accent sur l’accessoire que sur le primordial. L’Etat opte plus pour les dépenses de prestige que pour les dépenses d’utilité publique urgentes. Ainsi, on met plus l’accent sur les routes, sur les monuments, les parades et les grandes fêtes que sur le développement de l’emploi des jeunes, la création d’opportunités qui permettent aux jeunes de faire exploser leurs énergies et de développer leur imagination. A partir de ce moment, il y a un travail de recadrage et de reconversion à faire. Mais, en même temps vous vous rendez compte que devant cette situation de crise généralisée et absolue qui est en train de traverser le pays, on a une situation de dilettantisme, de fatalisme dans laquelle s’embourbe le peuple dans son intégralité. C’est comme si en fait on laissait faire en se disant on n’y peut rien. Ce qu’il faut voir, c’est que dans cette affaire, il y a la conjugaison de deux facteurs. Le premier facteur, c’est les appareils idéologiques d’Etat qui fonctionnent très bien et qui sont essentiellement les médias publics.

Ces appareils sont-ils toujours efficaces ?

Bien sûr qu’ils restent efficaces. Vous voyez, ils jouent toujours le jeu. Quand le président de la République se rend à la Mecque, qu’on lui ouvre la « Kaaba » et que cela fasse l’objet d’une médiatisation à grande échelle, c’est une façon de dire aux gens que vous n’avez pas un président mais vous avez à peu près un envoyé de Dieu. Et il ressemble effectivement à un envoyé de Dieu. Il le fait et son fils le fait aussi. Vous vous rappelez, il y a un 4 avril où un monsieur avait défilé avec une pancarte sur laquelle on avait écrit « monsieur le président je veux un rendez-vous ». Comment alors un monsieur peut-il traverser les barrières de la gendarmerie, de l’armée et de la police, marcher sur plus de cent mètres et se présenter au niveau de la tribune du président avec sa pancarte. Et deux jours après, il a été reçu par le président de la République et il a dit publiquement on a un président qui reçoit tout le monde. Ça, c’est l’appareil idéologique d’Etat qui fonctionne, qui cherche à faire croire au peuple que vous avez le meilleur président. Ainsi, l’appareil idéologique d’Etat arrive à endoctriner une bonne partie de population. Parce que nous sommes dans un pays où le taux d’analphabétisme est très élevé et où les gens sont sensibles à des formules de ce genre. Et pour pouvoir les décoder, cela suppose un esprit éveillé qui permet de lire de façon critique un certain nombre de choses qui se produisent. Il y a aussi les cercles confessionnels c’est-à-dire les confréries qui fonctionnent en fait comme un appareil idéologique d’Etat très fort. C’est-à-dire, l’Etat s’est appuyé sur ces cercles confessionnels pour amener les adeptes de ces cercles à accepter leur situation, à se dire que ce qui arrive même si c’est mauvais ne relève pas de la faute de nos dirigeants mais ça relève de la volonté divine. Et que l’individu doit accepter tout ce qui lui arrive, il ne doit pas rechigner devant un destin fâcheux, il doit toujours être heureux. Il doit se dire que ce qui m’arrive c’est mieux pour moi même si c’est une catastrophe. Alors, quand nous avons tendance à accepter les choses ainsi, cela veut dire que la plus grande catastrophe peut nous arriver, mais nous considérons toujours que c’est Dieu qui a voulu qu’il en soit ainsi. C’est le cas du bateau le « Joola », c’est le cas de beaucoup d’autres catastrophes qui nous sont arrivées.

Vous voulez dire que le peuple sénégalais est un peuple est anesthésié ?

Il est totalement anesthésié, et on est dans une situation où évidemment vous avez l’Etat qui déploie son appareil idéologique d’Etat, vous avez les cercles confessionnels qui sont arrimés à la ligne idéologique de l’Etat et qui sont en train d’amener les adeptes à accepter leur situation. Lorsque vous combinez ces deux choses, vous avez un peuple qui est totalement inhibé dans une certaine mesure et qui a tendance à accepter comme une sorte de fatalité ce qui lui arrive en ne formulant aucune question mais en se contentant de cette situation.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une force qui résiste à cela comme l’opposition, une certaine élite intellectuelle et la société civile ? Ou bien celle-ci ne fait pas le poids ?

En fait, une société n’est jamais statique, elle connaît des mutations. Donc, forcément il y aura des mutations et les mutations peuvent être de plus ordres. C’est-à-dire que la société elle-même dans son mode de fonctionnement suscite des conflits qui de l’interne vont déterminer des mutations. Ce qui veut dire que même si on avait laissé la situation comme telle, elle ne peut pas continuer éternellement. A un moment ou à un autre et à l’intérieur du régime même, des changements vont se produire. Et vous êtes en train de voir même qu’à l’intérieur du cercle au pouvoir, il y a des combats de positionnement de toutes sortes qui seront de nature à apporter des mutations. L’autre aspect, c’est l’opposition qui, malgré tout est en train de se battre même si après tout elle manque d’organisation et de prise sur les masses. Vous avez une opposition qui est encore plus ou moins divisée qui a un problème à asseoir une unité forte. A chaque fois qu’on se dit que c’est fini maintenant l’opposition a une unité organique, qu’elle va lutter pour un plan d’action bien déterminé, on se rend compte que des fissures commencent à se manifester ça et là. Donc, nous avons une opposition qui manque de prise sur les masses, qui est plus ou moins éloignée voire décalée des masses, qui ne peut donc pas capitaliser le mécontentement populaire pour le transformer en action de contestation contre les dérapages de l’Etat.

En réalité, vous savez le problème en Afrique dès qu’on est au pouvoir on a tendance à bénéficier d’une situation plus ou moins commode. Par exemple, les fonctionnaires qui sont envoyés en milieu rural et qui sont dans les centres d’expansion rurales ou qui sont dans le milieu scolaire exécutent leur mission dans le cadre du service public. Mais les populations ont tendance à les pendre pour des éléments du régime au pouvoir et cela participe de la consolidation du régime au pouvoir. Est-ce que l’opposition est en train de faire un travail de déconstruction et de sensibilisation à ce niveau là ? Est-ce que l’opposition a la possibilité de jeter ses tentacules jusque y compris dans les endroits les plus reculés du pays. Et on se rend compte que très souvent il y a un décalage entre l’opposition et les masses. Ce qui risque de se passer, c’est qu’à chaque fois que les masses ont de problèmes ou rencontrent des difficultés, elles ont besoin de sentir la présence de l’opposition. Lorsqu’elle n’est pas présente, les masses ont tendance à dire que cette opposition n’est pas là pour nous. Il y a eu les militaires invalides qui ont été bastonnés, les recasés de Yeumbeul avec les inondations, on a plus vu Farba Senghor, on a plus vu Doudou Wade que les éléments de l’opposition. C’est là où il y a problème et Wade l’a compris quand il a mis en place le Craes en lui assignant entre autre mission la sensibilisation et la médiation sociale. C’est une certaine façon d’écarter l’opposition de ce cadre plus ou moins sensible de prise en charge des frustrations et du mécontentement populaire. Et l’opposition est parfaitement tombée dans le piège. Je dis qu’au Sénégal, nous avons une demande d’opposition très forte, mais nous avons une offre d’opposition très faible. Si vous jouez sur l’économie, vous avez l’offre et la demande. La demande, elle est forte, mais l’offre est faible et c’est ce qui nous amène dans une situation de déficit oppositionnel. Parce que la demande d’opposition exprimée par le peuple n’est pas suffisamment satisfaite par l’offre que l’opposition met en place. Donc, il y a un travail de réorganisation à faire, un travail de réaffiliation de l’opposition à la masse. Ces deux travaux doivent être exécutés sans quoi, l’opposition risque encore d’être tatillonne pour une période encore plus ou moins longue.

Qu’en est-il de l’élite intellectuelle ?

L’élite intellectuelle Sénégalaise est aujourd’hui de plus en plus orientée vers deux perspectives et qui malheureusement ne sont pas des perspectives porteurs de changement profond. La première perspective, c’est le travail dans le sens de la promotion individuelle. Les uns et les autres ont tendance à développer des stratégies qui leur permettent d’avoir une promotion individuelle, une promotion au niveau de leur activité professionnelle ou encore promotion au niveau de l’Etat. Deuxièmement vous avez une autre élite intellectuelle, qui plutôt que de travailler pour un changement profond au niveau du peuple, considère que la science n’a rien à voir avec la société. Autrement dit, ce sont des gens qui sont enfermés dans leur tour d’ivoire et qui disent nous n’avons rien à voir avec ce qui se fait dans la société, nous avons un travail de l’intellect à faire et un travail de l’intellect seulement. Ce sont donc des gens qui s’occupent de considérations plus ou moins spéculatives articulées de productions intellectuelles et qui sont plus ou moins déconnectés des préoccupations de la société. Mais, dans un cas comme dans l’autre, on se rend compte que l’élite intellectuelle ne joue véritablement pas le jeu de la société. C’est comme si elle est en train par rapport au jeu de la société de faire hors jeu en jouant un mauvais jeu parce que cherchant simplement à tirer son épingle du jeu. Dans tous les cas, c’est une élite intellectuelle aussi qui reste coupée de la société et qui ne participe pas trop à un travail de sensibilisation et de transformation radicale des mœurs politiques, de l’activité économique et qui permettent d’opérer des mutations profondes et salutaires pour le peuple.

Est-ce que vous entrevoyez des germes d’une mutation à venir dans le cours terme ?

Dans le cours terme, c’est problématique par contre dans le moyen terme et le long terme il va y avoir des mutations profondes qui, me semble t-il, ne viendront ni de cette opposition qui est encore mal organisée, ni des intellectuels qui sont repliés sur eux-mêmes, et vivant dans leur tour d’ivoire, ni de l’Etat qui préfère le statu quo, ni des cercles confessionnelles qui actuellement sont en train de gérer une situation de rente. Ce changement, me semble t-il, viendra de ces populations elles-mêmes qui en un certain moment se diront qu’elles n’ont plus la possibilité de vivre dans une situation de crise. Cela veut dire qu’elles en arriveront à un point de non retour où ayant le dos au mur il ne leur reste plus qu’à prendre en main leur propre destinée. Vous allez avoir une sorte de mécontentement brutale qui va s’exprimer non pas en passant par les circuits officiels mais en les enjambant. Et cela a commencé lorsque vous voyez des populations qui manifestent très souvent dans la rue pour que l’on érige leur localité en département ou en région ou alors pour qu’on exclut des enseignants qui sont affectés dans leur établissement parce qu’ils ont fait tel dérapage. On se rend de plus en plus compte qu’il y a des signes avant coureurs d’une explosion populaire inévitable qui va se produire et qui va court-circuiter les circuits officiels de l’opposition et du syndicalisme. Deuxièmement, vous allez voir un certain nombre d’influence qui viendront de l’extérieur et en particulier de ce qui se passe dans les pays environnants. Parce que le Sénégal ne peut pas continuer, il ne l’est pas d’ailleurs, à être un microcosme enfermé sur lui-même et totalement insensible à ce qui se passe tout autour de lui. Donc, ce qui se passe sur nous aura des répercussions sur nous sans compter les influences exogènes qui viennent par les Techniques de l’information et de la communication (Tic) et par les médias. Toutes choses qui vont exercer une influence sur les populations, sur les acteurs et qui vont les amener à un moment ou à un autre à se rebeller pour essayer de transformer de façon plus ou moins acceptable leur condition d’existence. Car, lorsqu’une société est exposée à un vécu catastrophique, il peut non pas l’accepter mais s’y accommoder. Il y a une différence, parce que si on s’accommode à une situation c’est qu’on n’a pas de solutions. Mais tout système d’accommodation a des limites et lorsque cette accommodation atteindra ses limites, il va y avoir une explosion qui sera inattendue. Et cette explosion ne sera pas organisée, parce que justement elle se fera en dehors des circuits d’expression du mécontentement établi. Et cette explosion se fera de manière anarchique et on va retrouver de l’anarchie dont nous avions parlé tantôt.



1 Commentaires

  1. Auteur

    Jardinfleuri

    En Octobre, 2014 (00:20 AM)
    Je respecte votre analyse, que je trouve parfaitement juste.je préfère vous dire tout de suite, que je suis française, et que j'ai toujours été passionnée par votre culture;

    cela dit, j'approuve ce que vous dites à demi mots. A savoir, que ce qui tue le développement de votre pays, c'est la corruption. Même si ce n'est pas votre propos, c'est ce qu'on peu lire entre les lignes.

    Pour ma part, je cotoie beaucoup de jeunes sénégalais, qui sont particulièrement brillants. Je déséspère hélas, tout le jours, de voir cette jeunesse inemployée, toute cette vitalité, qui n'est pas reconnue dans votre pays. Je suis très afligée de voir cela. En même temps, pardonnez moi, mais je pense que le problème du Sénégal, comme beaucoup de pays de l' Afrique de l'Ouest, est de rester calquer sur le modèle français. Or, le modèle français est mort depuis longtemps.

    Ouvrez les yeux, arretez de suivre un modèle qui est en train de se suicider!

    VOtre pays a un énorme potentiel, je ne parle pas de ressources naturelles, je parle d'intelligence. Je participe à l'enseignement au Sénégal. Je croise de jeunes étudiants; extremement brillants. Que fait le Sénégal pour garder ces forces vives? Pas grand chose.

    Vous avez les mêmes travers que l'occident. Pendant que vous batailllez sur les elections (qui ne permettent d'élir que des pourris), vous laissez tomber votre jeunesse, pleine de vie, pleine d'espoir, mais surtout, pleine de solutions pour votre avenir.

    BIen à vous
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