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[ Dossier ] Les fous assaillent Dakar

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[ Dossier ] Les fous assaillent Dakar
Un des plus grands carrefours de l’Afrique de l’Ouest, Dakar la capitale sénégalaise est devenue un point de convergence de bon nombre d’individus parmi lesquels les malades mentaux qui deviennent de plus en plus nombreux. Ainsi, la ville est frappée de plein fouet par ce phénomène de la folie.  Sorcellerie, volonté divine ou drogue ? Enquête !

8 heures. De fines gouttelettes d’eau tombent sur Dakar en ce début de matinée de septembre. Nous sommes dans les artères de la capitale sénégalaise. Une femme, la trentaine environ attire notre attention. Pieds nus, tête rasée, habillée en aillons très sales  laissant apparaître tout son corps, elle fouille dans un tas d’ordures jetées à coté. Tout à coup, elle sort de cette saleté une mangue pourrie qu’elle commence à manger tout en chassant les mouches qui assaillent son butin. Après avoir fini de manger, elle continue à fouiller dans les ordures jusqu’à ce qu’un groupe de gamins vienne l’importuner. " Amy dof ! " (Amy la folle)  disent ces bambins en chœur. Subitement, elle se retourne, murmure quelques mots incompréhensibles avant de les poursuivre. Ces enfants, Amy ne les attrapera pas puis qu’autre chose attire son attention au cours de cette course : un sachet d’ordures qu’une ménagère vient jeter le long de la chaussée. Elle s’arrête et commence à chercher on ne sait quoi dans ce sachet rempli de restes de nourritures, et d’autres pacotilles.

A limage d’Amy, les malades mentaux sillonnent les rues de Dakar du matin au soir. Ces malades mentaux deviennent de plus en plus nombreux : ils sont au centre ville, en  banlieue, aux populeux quartiers, aux arrêts cars, bref, ils sont partout dans la capitale sénégalaise, sans protection sociale, sans nourriture, sans assistance, sans abri, et sont ainsi exposés à tous les écueils de la vie.

D’après le Docteur C. Devaux Pédopsychiatre au CHU de Pointe à Pitre, « la maladie mentale  est une altération de l’état de santé relative au psychisme et aux fonctions intellectuelles. Elle est aussi une perturbation qui affecte la pensée, les sentiments, ou le comportement d’une personne à un tel point que sa conduite devient incompréhensible et inacceptable pour son entourage. L’individu est affecté autant dans son équilibre personnel que dans ses relations avec autrui » (source : www.ac-guadeloupe.fr/ash/avs_f2.pdf)

A la question de savoir les causes de la recrudescence des maladies mentales à Dakar, Serigne Saliou Mbacké Diouf, sociologue répond : «Elles (les causes) sont multiples. La première, c’est que nous sommes dans une société qui est de plus en plus désacralisée. Cela veut dire que Dakar est devenue un point de rencontre de beaucoup de marges et de marginalités. Et qui dit marginalité, dit explosion ou encore nucléaire dit également désolidarisation. L’individu prime beaucoup sur le groupe. Ce qui fait que les plus faibles sont laissés en rade. Deuxième aspect, du fait de la pauvreté, les familles n’ont plus les moyens de garder chez elles les membres qui sont atteints de maladies mentales. Ce qui fait que le manque de moyens explique un peu cet écart. L’autre écart, la maladie mentale était lié à un  phénomène que l’on pouvait expliquer en psychologie, en psychanalyse etc. mais aujourd’hui il y a des maladies de la drogue c'est-à-dire des gens qui en usant de la drogue se sont mis à l’écart de la société. Donc, à coté des maladies liées à une pathologie psychologique ou psychanalytique tel le traumatisme etc., on peut parler des maladies liées à des drogues (composant chimique capable de perturber les communications neuronales) ou à des drogues dures (cocaïne, héroïne, ecstasy) ;et ces gens là par la force des choses deviennent des malades mentaux parce qu’ils n’ont  plus les mêmes réflexes que ceux des autres composants de la société. L’autre aspect, c’est le train Dakar- Bamako qui joue son rôle. Ces deux pays qui veulent se débarrasser de leurs fous via le train. Ce n’est pas vérifié mais le constat est là dans les pays où il y a des gares, il y a beaucoup de fous.

Donc parmi les causes, il y a la désolidarisation, le traumatisme, les drogues dures, mais aussi les malades  qui quittent leurs pays ou régions pour venir s’installer dans la capitale »

Docteur Ndoye Aminata, psychiatre, (la psychiatrie se définit comme une partie de la médecine chargée de repérer, de soulager et de traiter les maladies mentales : DEVAUX), au centre national hospitalier de Thiaroye,  ajoute quant à elle : « l’une des causes principales des maladies mentales est la drogue. Actuellement, les jeunes  en consomment beaucoup. Et comme vous le savez, la consommation de la drogue peut entraîner une décompensation. Les drogués sont ainsi prédisposés à présenter une pathologie mentale. L’autre point essentiel est le manque de prise en charge des malades. Quant on est atteint d’une maladie mentale parce qu’il y’en a beaucoup quand même, on présente des troubles de l’humeur, on a aussi des hallucinations, une altération de la perception du réel, on est perturbé…, et tout ceci nécessite beaucoup de frais. Et si toutefois  la famille du malade n’est pas courageuse, elle lâche du lest et laisse le souffrant partir. Ce qui fait que beaucoup de malades errent partout. Par exemple les sapeurs peuvent nous emmener parfois des malades qui étaient dans la rue, mais même si on essaie de les aider, à défaut de la surveillance des parents, ils retournent dans la rue. En plus, même les malades qui se font internés  par leurs propres familles ont le même problème. Une fois qu’il y a du mieux, adieu l’hôpital. Ce n’est que lors qu’ils rechuteront qu’on les reverra. La majorité des malades ne respecte pas leur rendez vous. Egalement, il y a le manque de centres psychiatriques. A Dakar, il n’y a que deux à savoir le centre de Thiaroye et celui de Fann ».

Parmi les principales maladies mentales dont parle notre interlocutrice, nous pouvons citer, d’après le Docteur Devaux : Les névroses qui présentent des critères tels, les souffrances d’angoisse, l’absence de perte du sens de la réalité parmi tant d’autres Les psychoses : états polymorphes s’installant avant la puberté caractérisés par des perturbations sévères de l’organisation de la personnalité entravant de façon radicale l’appréhension de la réalité par l’enfant, (de la réalité d’autrui comme de la sienne). La dépression  qui s’explique par les troubles du comportement, l’échec scolaire, la tristesse, sentiment de dévalorisation et remords.

A coté des psychiatres, il y a les guérisseurs traditionnels qui même si on ne le dit pas sont beaucoup consultés à la recherche d’une guérison tant attendue. Ainsi, ils sont en contact permanent avec les malades mentaux,  tout comme les psychiatres. Serigne Ndiaye est un guérisseur traditionnel depuis plus de 15 ans. Son autel domestique installé à l’arrière cour de sa demeure et qui est composé de petits canaris remplis de liquide noirâtre, de cornes décorées de cauris,  en dit long sur ses pouvoirs mystiques. Assis sur une peau de chèvre, vêtu d’un sabador immaculé, chapelet à la main, notre interlocuteur qui habite un des populeux quartiers de Dakar évoque le manque de croyance chez certains de l’existence des Djins ainsi que certaines pratiques mystiques. « Certaines personnes sont devenues folles à cause de leur négligence. Les Djins (créatures issues de croyances, de traditions sémitiques. Ils sont en général invisibles pouvant prendre différentes formes. Ils ont une capacité d’influence spirituelle et mentale : wikipédia) existent bel et bien. Et tout le monde en a. Mais le problème est que certains n’y croient pas tout simplement. Ils attendent d’être attaqués par les Djins pour venir ici. Parfois ils ont la chance d’être guéris mais tel n’est pas toujours le cas. Parce que parfois ils viennent ici trop tard lorsqu’ils sont désespèrés. Pour dire donc que les causes ne sont pas simplement la drogue, les traumatismes …il y a aussi les Djins et la sorcellerie (elle désigne tout ce qui est considéré comme surnaturel sans appartenir à la religion officielle : wikipédia). Beaucoup de gens font recours à la sorcellerie pour rendre fou quelqu’un. Parfois des personnes viennent jusqu’ici me demander ce genre de pratiques et même si je ne le fais pas d’autres peuvent le faire », affirme le marabout sexagénaire.

Du coté des sénégalais rencontrés également dans la rue, les appréciations diffèrent.

Fatou Mbacké, étudiante en maîtrise  à la FASEG (UCAD), rencontrée au quartier de Niarry Tally rejoint l’idée du docteur Ndoye Aminata. « Le Chanvre indien est la cause principale des maladies mentales. Les gens en usent et en abusent. Dans mon quartier beaucoup de jeunes sont devenus fous à cause de la drogue. Par exemple ici il y a un gars qui était tellement bien mais depuis qu’il a commencé à filer le mauvais coton, il est devenu bizarre, et personnellement je pense qu’il est entrain de devenir progressivement fou à cause des joints qu’il fume tout le temps. » Pape Saer, la trentaine, habitant Sacré cœur 2 argue : « Pour moi si les maladies mentales gagnent en ampleur c’est parce que les parents sont parfois irresponsables. Au lieu d’emmener leurs enfants à l’hôpital, ils consultent les charlatans. Ces gens là ne peuvent rien faire pour un malade de la drogue. »

L’aggravation de ce phénomène est à l’origine de beaucoup de conséquences. D’après le sociologue : « L’une des principales conséquences  est la dégradation de la considération, du respect qu’on avait en vers l’homme. Roosevelt disait : "la civilisation d’un pays ne se mesure pas à la hauteur de ses grades ciels mais justement à la façon dont les couches les plus vulnérables sont traitées."Et justement depuis quand en Afrique on laisse les gens qui ont perdu la raison tout nus ? Je crois que cela n’est pas notre société. Nous devons retourner en arrière pour essayer d’intégrer ces gens là».

En tout cas quelques soit la cause de l’ascension  du phénomène de la folie dans notre pays, le constat reste le même. La capitale  sénégalaise est envahie par des malades mentaux. Une situation qui pousse à s’interroger sur l’avenir du pays face à l’ampleur de ce phénomène,  qui peut freiner l’élan de développement du pays.

Sununews.com



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