Les radios communautaires sont confrontées à de nombreuses difficultés qui ont pour nom : paiement des factures d'électricité et d'eau, personnel peu qualifié ; problèmes d'équipement, bénévolat etc. Pourtant, elles jouent un rôle très important dans le règlement du conflit casamançais. Grâce à ces outils de communication, des familles divisées par le conflit, se parlent désormais. Sud a donné à la parole aux acteurs des radios communautaires.
La radio communautaire joue
déterminant dans le règlement de la crise casamançaise. Cet outil de communication
a permis aux communautés de se parler, déchirant ainsi le voile de la méfiance.
Seulement, cette radio communautaire qui est au service des communautés manque
de ressources financières pour subvenir à ses besoins. Le personnel non
qualifié travaille pour la plus part du temps dans le bénévolat. L’Ong Word
Education a installé, à ce jour, treize radios communautaires à travers toutes
les régions de la Casamance naturelle. La radio communautaire souffre de
plusieurs maux, comme l’affirment les acteurs. «Comme toutes les radios
communautaires, nos difficultés sont liées, entre autres, à la compétition avec
les autres les radios, notamment commerciales de la place. Ce n’est pas évident de survivre à côté de
ces radios privées et étatiques. L’autre
problème, ce sont les factures d’électricité qui coûtent chers. Nous sommes à
250 000 F Cfa pour la facture d’électricité et celle du téléphone est à 280000
F Cfa», dira Mme Aminata Mané,
directrice de la radio «Kassoumay FM» à Ziguinchor, par ailleurs Présidente du
Réseau des radios communautaires pour la paix et le développement en Casamance.
Des problèmes matériels
Robert Diokou, directeur de
radio «Poukoumel FM» Goudomp lui emboîte le pas : «Les difficultés que
nous rencontrons sont multiples. La première est d’ordre matériel. Notre
émetteur est endommagé par la foudre et nous sommes restés plus de 3 mois sans
émettre. C’était le «deuil» total dans
tout le Balantacounda (fief des Balantes). Nous n’avons pas d’ordinateurs
pour travailler, de dictaphones. La
petite subvention (1.300.000 F Cfa) de l’aide à la presse que nous avons reçue,
nous a juste servi à construire des locaux».
La radio Poukoumel FM a aussi des
problèmes pour payer ses factures de courant et d’eau. Diatou Cissé,
responsable de radio «Fogny FM» pose les mêmes problèmes : «Notre radio n’a pas
de fonds, et elle est dans une zone enclavée. Nous n’avons pas de partenaires
pour soutenir la radio. Or, il y a des dépenses à faire pour se procurer du
matériel de reportage : dictaphones, batteries, cassettes, ordinateur».
Difficultés à honorer les
factures…
A la radio communautaire
Fogny FM de Bignona, on est confronté aux mêmes difficultés. «Les factures
d’eau et d’électricité dépassent largement nos ressources financières. Certes,
il y a des personnes de bonne volonté qui viennent de temps en temps à la
rescousse, mais le problème est là : l’absence de fonds handicape la radio»,
confie Kéba Badji de Fogny FM. Quant à «Kouma FM» de Samine Balante, elle manque d’équipement et de ressources
financières pour payer les factures d’eau et d’électricité. «Vous savez qu’on
nous interdit de faire de la publicité commerciale, cela constitue un frein à
la bonne marche de la radio. Certaines Ong de la place comme Word Education,
Ancs, en collaboration avec Londolo, aident les radios à payer leurs factures
d’électricité. Nous n’avons qu’un seul ordinateur pour stocker nos éléments et
faire le journal, si elle tombe en panne,
il n’y aura pas de journal.
Aussi, en cas d’attaque la radio est fermée jusqu’au lendemain»,
explique Ibrahima Kaffa Djité. A «Egnama FM» de Pata situé à 66 km de Kolda, ce
sont des problèmes de formation de personnel qui sont mis en exergue. Pour
Mamadou Diallo, animateur et technicien dans cette radio, «Certes, nous avons
des difficultés financières, mais nous parvenons à payer nos factures. Les
animateurs sont payés à la fin du mois. Nous sommes tous des bénévoles. Nous
sommes une jeune radio qui a démarré ses programmes au mois de décembre. C’est
vrai qu’à l’occasion des fêtes, le directeur de la radio donne des pécules au
personnel. La radio reçoit de temps en temps des soutiens financiers et du
matériel», dit-il.
Un personnel peu qualifié
En ce
qui concerne «Fouladou FM», une radio installée il y a moins de deux ans, la difficulté est liée à la formation du
personnel. «Nous n’avons pas assez de journalistes formés, résultat des
courses, nous éprouvons beaucoup de difficultés à faire le journal. Il y a
aussi un problème de techniciens, un seul formé. En plus, la radio
ne fait pas de recettes» ; dira Babacar DIOUF, directeur des programmes de la radio de «Fouladou FM». Quant à
Youssouf Diallo, responsable des programmes de «Tanaff FM», située dans le
département Goudomp, il souligne que «les difficultés sont surtout liées à la
formation du personnel. Mais avec Word Education, beaucoup de gens ont été
formés. L’autre problème, c’est le bénévolat du personnel. Il n’y a pas assez
de ressources pour le payer. Ce qui fait que nous avons des difficultés pour
maintenir les gens. Nous les formons, mais quand ils ont des propositions
ailleurs, ils n’hésitent pas à partir.
Sans compter les difficultés pour payer nos factures d’eau,
d’électricité. Le peut d’argent que nous avons provient des communiqués, de la
publicité, de l’aide de la presse. Et il ne peut pas faire face à nos besoins».
Kassoumay FM de Ziguinchor n’échappe pas à cette difficulté : «La plus grosse
difficulté, c’est que nous ne parvenons pas à honorer nos engagements
financiers vis-à-vis du personnel, faute d’argent. Puisque le peu d’argent que
nous recevons est destiné à payer les factures d’électricité et de téléphone,
deux outils importants dans la vie d’une radio. Les journalistes, les
techniciens et les animateurs se démènent comme des diables pour faire marcher
la radio, malheureusement nous n’arrivons pas à les motiver et c’est notre
grand souci», confie Aminata Mané. Même
si elle concède «qu’il arrive de temps en temps que des partenaires paient nos
factures, mais il faut remuer ciel et terre
et ce n’est pas évident».
Les problèmes de genre
Robert Diokou, directeur de
radio «Poukoumel FM» Goumdomp évoque le même problème : « Nous avons des
ennuis avec les ressources humaines, surtout du côté des femmes. Celles qui
étaient avec nous sont parties parce qu’elles sont dans les liens du mariage et
c’est difficile de les remplacer».
Diatou Cissé, responsable de radio «Fogny FM» abonde dans le même :
«L’autre contrainte que nous avons, c’est le manque de formation du personnel.
Les gens ont été formés sur le tas. En plus, la radio est installée dans une
zone de conflit. C’est pourquoi nous avons besoin plus de professionnalisme
pour traiter l’information sensible en zone de conflit». Alassane Tamba de
«Kanoulaye FM dit la même chose : «Les difficultés sont d’ordre financière. Le
personnel travaille dans le bénévolat et nous n’avons pas de quoi le motiver.
Les équipements manquent. Il y a des
gosses qui ont quitté parce qu’on ne parvenait pas à leur donner un pécule.
Vous comprenez, dans ces conditions, les problèmes que nous rencontrons pour
payer les factures de courant et d’eau».
La radio de la communauté
Au-delà de ces difficultés,
la question est de savoir si les communautés se sont appropriées de leur radio
? «L’autre grand souci que rencontrent les radios communautaires, c’est que les
communautés ne s’approprient pas de leur outil. Par exemple, la radio «Kassoumay FM» de Ziguinchor est
confiée à des femmes de développement qui mènent leurs activités
individuellement, elles demandent tous les mois les factures. Le travail reste
de notre côté, nous devons sensibiliser la population pour
pousser les communautés à s’approprier
de cet outil. Depuis la naissance de cette association, on a écrit des
lettres à toutes les autorités de la localité pour leur faire savoir l’utilité
des radios. Même les femmes du bois sacré, à l’époque, avaient reçu leur lettre
d’information», souligne Aminata Mané. Quant à Diatou Cissé, responsable de
radio « Fogny FM », elle dit le contraire : «La communauté s’est appropriée
totalement de la radio. Les gens envoient des communiqués pour informer les
parents. Avant, c’est le bouche à oreille qui fonctionnait pour informer
parents et amis d’un évènement heureux ou malheureux, aujourd’hui ce n’est plus
le cas. Les associations villageoises participent financièrement au
fonctionnement de la radio», dit-elle, avant d’ajouter : «Des familles se sont
séparées du fait du conflit et grâce à la radio communautaire, les gens se
parlent, ne se méfient plus les uns les autres. La population se déplacent, la communication
passe, là nous n’avons aucun problème.
Les gens interviennent à travers les émissions interactives, les
combattants n’ont aucun problème avec la radio, au contraire, ils sont conscients qu’elle joue un rôle
important. La radio communautaire est un outil de développement, de
communication». Alassane Tamba de «Kanoulaye FM est du même avis : «La
communauté s’est appropriée la radio, en participant financièrement à ses
activités. Les groupements de promotion féminine (GPF), les associations de jeunes,
des ONG, des sociétés comme la Sonatel, ont mis la main à la pâte». Même son de
cloche chez Ibrahima Djité, à la «Kouma FM 105.6» : «Les populations
s’approprient la radio, à travers les émissions interactives et de paix. Par exemple, l’émission sur la bonne
gouvernance et la consolidation de la paix qui passe 8 fois dans le mois, est
des plus suivies».
La crainte des politiciens
En effet, les difficultés
rencontrées par les radios communautaires en font dès fois des proies faciles
face aux politiciens en mal de popularité. «Nous sommes à 40 km de Vélingara,
aucune infrastructure, pas d’ONG pour nous venir en aide. C’est pourquoi nous
sommes obligés de composer avec les politiciens pour faire revivre la radio qui
a des charges. Nous consommons du carburant, de l’électricité, de l’eau etc. Le
conseil rural nous donne la dotation de
carburant. Ces difficultés font que nous sommes obligés d’accepter les temps
d’antenne des politiciens pour que la radio fonctionne normalement», concède
Babacar DIOUF, directeur des programmes
de la radio de «Fouladou FM». Mais pour
Diatou Cissé de «Fogny FM » il n’y a rien à signaler : « Nous ne sommes
pas confrontés à ce genre de problème. Les hommes politiques viennent passer
leurs communiqués. Mais nous refusons les querelles politiciennes, car la
vocation de la radio communauté est d’œuvrer pour l’unité et la paix des
populations». Pour Robert Diokou, directeur de radio «Poukoumel FM» de Goudomp, «Les collectivités
locales doivent, dans leur budget, prendre en charge les collectivités locales
en payant leurs factures de courant et d’eau et la rémunération du personnel,
sous forme de motivation. D’ailleurs, certains responsables de collectivités
avaient fait des promesses en ce sens, mais rien à l’arrivée». En tout cas, pour la patronne de «Kassoumay
Fm» de Ziguinchor, «L’interdiction de la
publicité est un handicap, alors qu’au même moment nous payons
les droits d’auteur au Bsda. Si on ne nous permet pas de s’adonner à des
activités lucratives, ça va être difficile de tenir. Nous comptons sur nos autorités, mais elles
doivent comprendre que c’est un devoir vis-à-vis des radios communautaires qui
sont en train d’abattre un excellent travail dans la promotion de la paix, du
développement».
Rien à signaler
Quant aux partenaires, ils
n’affichent aucune mine d’inquiétude par
rapport aux hommes politiques. « Non, là je suis rassurée. En mettant en place
les radios communautaires, on insiste sur un point fondamental : si l’outil n’est pas approuvé par les
autorités locales nous nous interdisons de le mettre en place. Une fois que la
radio est créée, on insiste sur l’éthique et la déontologie. Nous les
sensibilisons sur comment utiliser cet
outil dans le cadre de la consolidation
de la paix et du développement. Les radios sont les premières à prendre leurs
responsabilités quand un danger les guette», dira Mme Oulimata Ndiaye,
assistante programme à Word Education. Elle ajoute : «Les hommes politiques ont
compris l’utilité des radios communautaires, parce qu’il y a d’autres
programmes qui interviennent dans d’autres domaines comme la paix, la bonne
gouvernance, la transparence, décentralisation, sur ces questions, les radios
font appel à des personnes ressources pour leur donner la parole. Les radios
mettent des garde-fous pour que les hommes politiques ne les utilisent pas
comme un outil de propagande politicien. Cependant les hommes politiques
interviennent à la radio pour donner des informations utiles à la
communauté».
Ils reconnaissent les
difficultés…
Du côté de Word Education,
l’Ong qui a installé ces radios communautaires, on reconnaît les difficultés.
Ibrahima Soly Mandiang, journaliste
superviseur des radios communautaires pour la paix et le développement de la
Casamance, déclare que «la première difficulté est liée à la maintenance, il
n’y a pas de structures pour accueillir le matériel de diffusion et de
traitement de l’information. Le personnel connait un déficit de formation. Des
gens sont engagés dans les radios sans la moindre formation, alors se posent
des problèmes de manipulation du matériel», dit-il, avant de poser le problème
de la charte des radios communautaire : «Il faut revoir le problème de la
charte des radions communautaires. Il y a la question des statuts juridiques et
des droits d’auteur. On nous demande 100.000 CFA pour les droits d’auteur.
Qu’elle est la redevance et qu’est-ce que la radio doit gagner en retour ?»,
s’interroge-t-il. Quant à Mme Oulimata
Ndiaye, assistante programme à Word Education, elle relève que «la difficulté
majeure, c’est le renouvellement de l’équipement. Word Education donne un
équipement de qualité pour permettre à la radio communautaire de démarrer.
Ce sont les communautés qui
construisent les locaux qui doivent abriter les radios, mettent en place les
organes, font fonctionner la radio et cherchent le personnel pour pouvoir fonctionner les radios. D’après
la charte des radios, c’est le
bénévolat. Le plus souvent, les radios communautaires sont implantées dans les
zones où le tissu social a été dénaturé, dans des zones économiquement pauvres.
Et un problème de motivation financière se pose au niveau des radios
communautaires». Parlant de l’attachement de la communauté à sa radio, elle
déclare : «Aucune communauté ne souhaite la panne de sa radio, car les
populations ont l’habitude d’écouter leurs folklores, de revivre les réalités
de la communauté. Nous avons vécu l’expérience avec Poukoumel FM de Goudomp.
Pour montrer leur engagement, toutes les communautés se sont réunies et ce sont adressées à Word Education, les imans
sont montés au créneau pour nous sensibiliser sur la fermeture de la radio.
Les communautés ont
collecté une somme pour que la radio
démarre le programme. C’est pour vous dire l’attachement de la
communauté à sa radio. Dans chaque cour de maison, il y a un poste radio, les
communautés se sont réappropriées ce puissant outil de communication», dit-elle.
Les difficultés, souligne l’assistante de programme, sont là et les populations
essaient, autant que possible, de contribuer à les éradiquer. «Les autorités
doivent accompagner ces outils, surtout dans la résolution de leur difficultés,
pour motiver le personnel, acheter les équipements. Certes, le réseau est en
train de faire un important travail grâce à l’aide de la presse qu’il
bénéficie. Il réfléchit à la possibilité de se doter d’un émetteur de secours,
le temps de permettre à certaines radios de réparer leur émetteur», dit-elle.
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